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18 mars 2009 3 18 /03 /mars /2009 15:00


 

La pièce de Schiller, qui est la source de toute la tradition romanesque cinématographique, avait déjà connu une fortune musicale importante en servant de base à un opéra de Gaetano Donizetti, Mary/ Marie devenant pour l’occasion Maria (l’opéra de Mercadante, Maria Stuarda, regina di Scozia la montrera encore régnante en son royaume, comme le titre l’indique). Il serait intéressant de savoir exactement avec quelle fréquence est représentée encore aujourd’hui la pièce. Elle a été reprise l’année dernière à Paris, au théâtre XIII, avec succès. Le romantisme du thème continue manifestement d’attirer le public, ce que l’enthousiasme qu’entraine chaque reprise de l’opéra confirme.

On m’objectera sans doute, et on aura raison, que le nom d’un compositeur belcantiste suffit souvent à affoler (parfois littéralement) les mélomanes. Il n’empêche que Rita ou le mari battu (que les spécialistes disent délicieux) ne suscite pas le même enthousiasme.

En dehors donc des prouesses vocales attendues Maria Stuarda offre donc pêle-mêle drame, histoire, costumes, thèmes familiers qu’on apprécie toujours de voir approfondir, château gothique, cours élisabéthaine, sextuor donizettien, souffrance, rébellion, rédemption et deux divas pour le prix d’une. Et mieux encore, deux chanteuses qui s’affrontent et qui même s’insultent. Eboli s’effondre devant Elisabeth qui se retire en silence, Elsa ne répond pas à Ortrud, Bolena pardonne à Seymour, Clytemnestre fuit Elektra. Le spectateur avide de bataille de monstres sacrés restent sur sa faim, sauf à écouter le duo Laura/Gioconda, ou celui qui oppose Aïda (rapidement domptée cependant) à Amnéris. Mais un acte entier de colère entre deux cantatrices avides de briller et dont les armes les plus acérées sont des vocalises ? Un grand ensemble qui met longuement en scène la montée de la haine avant son explosion ? Deux reines dangereuses, rien de moins ? On ne s’étonne pas de savoir que les créatrices en soient venues aux mains.


En dehors pourtant de l’anecdote et du plaisir archaïque, teinté de sadisme sans doute, qu’entraine l’écoute d’un tel opéra, on reste admiratif devant la haute qualité de la musique. Seule l’affrontement donne réellement son sens dramatique au livret, les éléments politiques et complexes de la pièce étant réduits, nécessairement. Restent donc le portrait inattendu d’Elisabetta, aux volutes gracieuses et hyper-civilisées dans le Ier acte, tandis que le rôle de Maria au III est un long monologue, une suite d’airs aux mélodies inspirées, à peine interrompu par quelques récitatifs des comprimarii. Et bien entendu la spectaculaire strette du II, le «Bastarda » habilement différé de la reine d’Ecosse, le gigantesque appel aux gardes de la reine d’Angleterre … et les suraigus phalliques du final du deuxième acte. Galvany n’hésita pas un soir à suivre Sills sur le contre-ré, ce qui est historiquement on ne peut plus approprié et qui confirme bien que dans Maria Stuarda l’affrontement vocal des chanteuses, le désir de faire jeu égal avec l’autre, sert finalement le propos du compositeur.   Suivre la discographie complète d’une œuvre assez bien servie au disque c’est refaire pas à pas l’histoire de la renaissance belcantiste. D’autres pourront mieux le faire et évoquer avec empathie ce qu’apportèrent au rôle titre Leyla Gencer, Beverly Sills, Montserrat Caballé, Joan Sutherland, Edita Gruberova et Mariella Devia. Et la manière dont s’investirent dans Elisabetta Shirley Verrett, Brigitte Fassbaender (qu’on rêve cependant d’y entendre), Viorica Cortez, Eileen Farrell, Huguette Tourangeau, Agnes Baltsa et Anna-Catarina Antonacci. Pour avoir une vue d’ensemble on ira voir ici : link et on ne boudera pas son plaisir.

 

 

Pour une seule chanteuse cependant Maria redevint Mary. Janet Baker, à défaut, peut-être, de pouvoir faire sien le rôle au théâtre, s’empara, à la surprise rétrospective générale, du rôle titre, elle qui s’était tenu à l’écart de ce répertoire depuis un Smeaton anecdotique au côté d’Elena Souliotis (à quoi s’ajoute, pour le disque seulement, un héroïque Romeo Bellinien.) Toujours souveraine, prince, altesse ou demi-dieu, la chanteuse (on peine à dire « la cantatrice) après avoir été une (presque) impératrice romaine (Poppéa), une reine carthaginoise (Didon aussi bien que Dido), deux héroïnes Troyennes (Cassandre mais aussi Cressida), après avoir régné sur la Thessalie comme Alceste haendélienne, et sur Ithaque comme Pénélope, choisit soigneusement les rôles qui devaient marquer ses adieux.

Alceste, celle de Gluck cette fois, semblait le couronnement (le mot est choisi exprès) d’une telle carrière, tant elle cristallisait ce que Baker avait offert de plus beau (et en plus la tessiture sopranisante lui convenait particulièrement à cette période). Orféo, c’était du Gluck encore, pouvait passer pour un clin d’œil à la tradition. Mais « Maria Stuarda » ? Un rôle de soprano belcantiste,comme personne ne l’ignorait plus en 82, pour un mezzo-soprano britannique ?

La caution du sujet et du nom – après tout c’est de la reine d’Ecosse dont il s’agit- rendait-elle légitime, par delà les incertitudes de ce que les puristes appellent « l’italianita », cette prise de risque ?

Et les Anglais eux-mêmes que pensaient-ils pour les adieux de leur cantatrice sans doute la mieux aimée (« beloved »)  depuis la mort de Ferrier de ce choix d’un opéra d’un compositeur italien loin, très loin de leur culture lyrique, faite à Purcell, à Haendel, à Britten et aux compositeurs d’opéras en langue française de stature classique (tout répertoire qui avait été central dans la carrière lyrique de Baker) ?

On ne peut pas s’empêcher de penser que ce choix est pourtant significatif et réfléchi. Ce n’était pas une prise de rôle, contrairement à Alceste. Baker savait donc parfaitement ce qu’elle faisait, vocalement, dramatiquement et symboliquement. Elle le chantait ensuite en anglais, comme lors de sa première rencontre avec le rôle. Ces ultimes Maria Stuarda/Mary Stuart étaient destinés à l’ENO, donc par définition les représentations devaient avoir lieu en langue anglaise. On peut légitimement se dire qu’il était intéressant de travailler sur une version et une partition déjà connue. Mais elle avait étudié également Jules César (définitivement trop grave ?) ou Charlotte (définitivement trop jeune ?) dans sa langue maternelle, sans oublier qu’elle aurait pu sans, difficulté, être Dido, Lucretia, Cressida ... Je crois donc définitivement que ce choix surprenant avait une raison presque éthique. Il s’agissait d’être à la hauteur tout simplement de sa propre stature, royale, et ce en chantant un personnage qui, quoi qu’écossais et catholique, faisait partie de l’environnement culturelle du pays. Peut-être aurait-elle pu chanter pour ces adieux Gloriana, si Gloriana avait été représenté alors (mais Baker pouvait beaucoup) et si le personnage avait été plus gratifiant humainement. Exit alors Donizetti et la nature italienne de son œuvre. Baker était Mary (et plus Maria ni même Marie) Stuart et en anglais, qu’importe le nom du compositeur de la musique.  


Une des soirées de la prise de rôle, en 73 et déjà à l’ENO, nous a été rendue par Ponto. Incarnée comme aucune n’ose l’être, sans réserve, puisque reine et sûre de son droit, sans angélisme et pourtant dans l’ensemble du II, là où toutes les autres extériorisent vocalement leur colère, une retenue et un tenue inimaginables. Les mots tombent comme des couperets, aussi mortels que la hache qui va trancher le cou de Mary. Tout l’opéra la voit, comme toujours, attentive à utiliser les mots en musicienne, à les intégrer dans la ligne vocale, à en faire, au-delà de leur vertu poétique, les moyens de border les notes. Et ce sans jamais qu’ils ne fassent obstacle au legato, dont ils assurent au contraire la pulsion. Ce qu’elle arrive à faire des deux cabalettes renvoi tout le monde à ses cours non pas de chant (les habitués du rôle et de ce répertoire, peuvent, elles, offrir autant de suraigus que l’on veut à la fin du deuxième acte, et murmurer la superbe prière du III sans donner l’impression de respirer) mais d’Histoire. Elle enfourche la première comme un cheval au galop et fait de la seconde, sans sacrifier le brillant de la page, une déclamation écrasante d’autorité. L’intelligence constante du phrasé dont nous avons donné quelques démonstrations, force autant l’admiration que la beauté intrinsèque de la voix qui trouve particulièrement à s’épanouir, timbre, couleur et vibration, dans le haut de la tessiture, très sollicitée ici pour une mezzo.

  

Face à elle, Pauline Tinsley, glorieux pilier de l’ENO et chanteuse insulaire encore plus que Baker elle-même, est Elisabeth. D’après sa rivale sur scène, sa ressemblance avec la reine Tudor était saisissante.



(Lady Macbeth, à droite. De loin on dirait Dame Judith Anderson, ce qui semble confirmer ce qu’en disait Baker).

Depuis quelques temps on nous rend les Abigaïlle, ses Gulnara, ses Lady Macbeth d’une chanteuse qui fera tout, d’Ortrud à La Reine de La Nuit, mais qui se plaça toujours du côté du tellurique et de la toute puissance. C’est dire qu’Elisabeth lui convenait (elle la reprendra face à Sills en italien cette fois). Tout en angles et en haine, le timbre âpre, la voix volumineuse mais sans le vibrato envahissant du grand dramatique qu’elle était, elle réussit l’exploit de « matcher » en allure, mais pas en beauté certes, Baker à la fin du deuxième acte. Son entrée froide le montrait déjà : la souveraine Tudor est une tête politique, pas la féminine coquette que pouvait peindre les titulaires habituelles du rôle (Farrell, exceptée, au disque). Au demeurant, qu’on se rassure, toutes les notes sont là et les vocalises aussi, même si l’aigu est parfois détimbré.

Les adieux de l’ENO dont je parlais tout à l’heure ont aussi été publié et même avant la soirée publiée par Ponto. Non seulement au disque pour Chandos (partenaire discographique de l’opéra), mais aussi, et surtout, en DVD. La production est un grand classique de la scène internationale. Sutherland et Tourangeau l’avait inaugurée. Plus tard à Viennes Gruberova et Baltsa en firent un triomphe. Baker est fascinante à regarder, quoi que l’on puisse dire à propos de son physique. D’abord à regarder chanter. On devine le palais très bas, la mâchoire inférieure sollicitée, le visage bouleversé par l’émission/émotion. Quelqu’un me disait qu’elle ne chantait pas comme une femme, mais … comme une basse ! Ensuite l’investissement semble la consumer intégralement. Il ne s’agit pas de noblesse marmoréenne, mais de quelque chose qui semble partir de la pointe des pieds, parcourir toute la silhouette, avant de sortir par la bouche, au prix d’efforts répartis dans tout le corps. Mais la maîtrise, comme chez toutes les grandes actrices, est si absolue que cet effort ne se traduit jamais par des contorsions. Et la noblesse, évidemment, est congénitale.





Après Tinsley, une jeune Plowright, habituée de l’ENO elle aussi, où elle avait été aussi bien Tosca que Desdémone, a repris le rôle de la reine d’Angleterre. Les rapports vocaux sont différents, les couleurs plus claires, plus immédiatement séduisantes de Plowright fait d’Elisabeth une possible rivale amoureuse, ce que n’était pas Tinsley.  Les défauts et qualités sont les mêmes que ceux que l’on connait bien : les aigus sont comme décrochés du corps de la voix, la diction n’a jamais la clarté et l’évidence de celle de Baker, mais l’investissement, y compris vocal, a une séduction, parfois histrionique, indéniable et le timbre intact est toujours personnel.  

 



La photo conclusive n’est pas flatteuse (celle de Plowright plus haut ne l'est guère plus), mais elle est moins expressive. C’est le seul « face à face » que j’ai pu trouver.




 




 

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commentaires

B
Essayez Elisabeth Jacquet de La Guerre alors !
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L
Non. Vous savez moi je n'écoute que des compositeurs fin de siècle. C'est beaucoup plus décadent.
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B
Dites, vous saviez que Mendelssohn a conçu l'idée du mouvement lent de la Symphonie n° 3 (dite Ecossaise) en visitant les ruines de la chapelle où Marie Stuart fut couronnée reine d'Ecosse ? Moi pas.
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