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7 juin 2010 1 07 /06 /juin /2010 10:46

 

 

J’écoute en boucle, depuis plusieurs jours, le récital Mozart qu’enregistra Edith Mathis en 1978 pour Berlin Classic.* Quoique devenu par la force des choses presque allergique au motet célèbre qui donne son titre au récital, le ravissement que je ressens m’interroge. Au-delà de la beauté du programme (tout est admirable, surtout les relativement rares « Bectracht dies Herz und frage micht », K.42 et « Quel nocchier che in gran procella » extrait de la Betulia liberata) ce qui me frappe  surtout c’est ce qui m’apparait comme la quintessence d’un chant mozartien bien compris : Mathis n’a ni charme, ni grâce, rien de ce qu’on associe en général au compositeur, pas même l’éclat radieux du suraigu. Mais … comment dire les choses …. Quelle fermeté ! Voilà c’est le mot. Que ce chant est dense, concentré, sans rien qui baille ou s’alanguisse dans le timbre. La conduite du son est systématiquement exemplaire, avec une intonation infaillible et un legato parfait, dans la vocalise comme dans la cantilène.  Chaque note, frappée en plein centre, est d’une rondeur réjouissante, quel que soit le registre et tout est admirablement soudé. Ce n’est certes pas une voix spectaculaire, mais, à y bien réfléchir, quel soprano peut attaquer avec cette assurance les sommets de sa tessiture sans jamais sacrifier son grave, lequel est aussi riche et homogène que le medium ?

Je remercie Tom, encore une fois, de m’avoir signalé cette particularité : parmi toutes les sopranos qu’on associe aux rôles de servantes et de petites sœurs, seule ou presque (il faut aussi compter avec Popp) Mathis peut raisonnablement regarder en face Chérubin, Suzanne, Zerline ou Annchën  sans craindre de perdre de sa substance vocale quand toutes les autres s’essoufflent à s’inventer un grave ou plus simplement à tricher. L’assise est là, d’une solidité à toute épreuve. Si le timbre n’a rien d’argenté, la voix est, techniquement, d’airain. Et le plaisir d’entendre dans ces pages quelque chose qui se tient avec autant de rigueur, avec cette honnêteté, cette franchise, sans jamais masquer la musique, est incomparable.  Mathis est, pour moi, une voix vertueuse, au premier sens du terme.

L’allure, la ligne et le courage. La solidité aussi. C’est probablement cette infaillibilité qui la différencie d’avec une autre mozartienne, helvète comme elle, d’adoption si ce n’est d’origine. Maria Stader (dont le legs en matière de récitals mozartiens touche à tout**) n’a pas la modernité de la technique de Mathis, laquelle peut vocaliser avec un délié autre et affronter les notes aigus sans jamais les fixer. Pourtant les deux voix me semblent avoir un esprit identique, la même superbe musicalité, si confortable moralement pour l’auditeur. A Stader l’emportement, l’éloquence, la personnalité débordante, le sourire et les larmes, au-delà du timbre polaire. A Mathis la virtuosité assumée, la justesse du piano à queue fraichement accordé, la chair du registre inférieur, la discrétion aussi. Mais le sérieux est exactement le même, qui ne laisse passer aucune facilité, et l’absence de sexualité (revers logique de si belles médailles et qui disqualifie d’emblée la Suzanne célèbre et décevante de Mathis chez Böhm, comme l’Elvira de Stader Chez Fricsay, obligée à des contorsions hystériques pour exister comme « femelle ») est aussi remarquable chez l’une que chez l’autre. D’ailleurs ce que j’ai entendu de plus manifestement apetissant chez Mathis c’est sans doute, et paradoxalement, son formidable Chérubin, garçon comme peu d’autres et même sans aucune ambigüité générique.  

L’éthique vocale, la ligne (à au moins deux sens du terme) de conduite qu’elles professent se perçoivent audiblement avec pour résultats ces sonorités d’une netteté et d’une probité, idéales à mes oreilles dans ce répertoire, reliées par un legato qui n’escamote jamais ni les consonnes, ni les voyelles, indemnes de ports de voix à l’italienne comme de vibrato envahissant. L’écoute successive de l’air des marronniers par Stader puis par Freni rend éclatantes l’intelligence et la musicalité de la première, alors qu’elle ne peut pourtant pas exhiber une pulpe vocale et une sensualité, inexistante chez elle, en guise de séduction.   

Il n’est donc pas donné à toutes de respirer son Mozart. Même les plus grandes, dans le même répertoire d’airs de concert et de musique sacrée ont pu tomber, non sans violence, à côté. On ne  passera pas sous silence l’attentat commis par Sutherland qui a toutes les qualités sauf celles pour bien chanter Mozart parce qu’il nous semble caractéristique : c’est le triomphe de la mollesse et de l’uniformité (et partant, évidemment, de l’ennui). Ce n’est pas réellement une surprise chez une chanteuse aussi peu classique. En revanche, et là on l’attendait sans doute au  tournant, après Sexto, Idamante, Vitellia, j’ai beaucoup écouté le récital de Baker sous la direction de Leppard. Un de ses tous derniers (il a dû être enregistré en 84 ou en 85, pour Erato, après donc ses adieux scéniques) et doté, comme le récital de Mathis, d’un beau et exigeant programme, sous l’auspice du même increvable motet.*** Hélas la voix s’éteint, le timbre grisaille et le grave s’échappe, ce que ne peut pas rattraper un aigu encore facile et la manière mélancolique de la chanteuse. Le disque est cependant, à titre de témoignage, passionnant. Avec la même musicalité suprême que Stader ou Mathis, une singularité autre et un génie des mots et du ton supérieur, Baker nous montre précisément, par négatif, ce qui est nécessaire au chant mozartien et qu’elle n’a plus (mais que nos deux sopranos ont à revendre) : la tension de la phrase, la densité du timbre, l’énergie en somme, qui doit habiter et faire vivre ces pages. Baker négocie et camoufle : confortablement installée en studio elle n’affronte plus rien. Au-delà de toute question philologique, il me semble que le chant mozartien ne peut pas être un chant confortable ou moelleux. Pour animer ces lignes la voix doit absolument remporter une victoire de haute lutte et nous montrer avec éclat de quel bois elle est faite avant de s’équilibrer. C’est pour cela,  à ce qu’il me semble du moins, qu’annexer Mozart à la facilité et au brillant italiens, voire belcantiste, c’est ignorer ce qu’à démontré Michel Delon pour la littérature française et que j’ai envie d’appliquer (artificiellement sans doute) à la musique du temps et surtout à son esprit.  

 Pour s’en convaincre, et de manière éclatante à mes oreilles, il suffira de comparer ces deux versions et visions de Rosina. A vous de deviner laquelle me semble illustrer le mieux mon propos.   

 

 

     

 

 

*Ce billet, pourtant court, a été ébauché il y a déjà un certain temps, je suis depuis, je dois l’avouer, passer à autre chose. Pour le détail du programme voir ici

** Stader a beaucoup enregistré pour DG et, au fur et à mesure des rééditions brouillonnes dont la firme est coutumière, il n’est pas évident de s’y retrouver. Le plus simple est encore d’écouter la compilation parue il y a une dizaine d’années et qui regroupait un beau panorama mozartien d’airs d’opéra (Zerline, Suzanne, Cherubin … en allemand) et de concert, en plus de l’indispensable récital d’airs d’oratorio dirigé par Richter.  Pour les airs sacrés on se tournera vers les compléments de la Messe du couronnement (version Markevitch, toujours chez DG).

*** Détails

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commentaires

M
<br /> Il faut avouer que le Songe de Scipion est une oeuvre dont l'inspiration est fluctuante comme la Fortune, c'est rare dans le Mozart vocal, mais là… Mathis ne chante que l'air de célébration<br /> finale (2 versions si je me souviens bien), elle ne peut rien changer au fait que cette musique est d'un manque d'intérêt patent. La réussite c'est la rencontre de Popp (la Constance) et Grubi<br /> (la Fortune). L'une et l'autre sont à leur sommet, et ajoutent au charme (borné mais effectif) de leurs deux airs respectifs. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Il faut surtout regretter que le Roi Pasteur de Hager qui réunissait Mathis et Auger en couple pastoral n'ait jamais été reporté en CD. Je ne l'ai jamai entendu.<br /> <br /> <br />  <br />
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L
<br /> Mais vous ne jamais dites rien d'Il Sogno di Scipione qui réunit Mathis et Gruberova ! Problèmes de musique ou d'interprétation ?<br />
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M
<br /> Je réécoute (eh oui, encore) Ascanio in Alba, dirigé par Hager avec des sabots, mais décidément Mathis est fantastique : tendre, tenue, fragile et fastueuse, plus qu'une nymphe des bois, mieux<br /> qu'une déesse (la déesse, c'est Lilian Sukis en Vénus, qui rame dans la vocalise, mais on se roulerait dans son timbre peluché). Vous avez remarqué que ces airs de Silvia (il y en a au moins deux<br /> admirables) ne sont jamais donnés ni enregistrés en récital ? alors que le moindre contre-ténor y va de son Ascanio… Faut-il que cette œuvre splendide soit à ce point discréditée (opéra de cour<br /> et de mariage) pour qu'on la délaisse ? <br />
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M
<br /> Allez, ça se porte en toute en saison, comme cette robe jaune.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Oui, c'est superbe, évident. Je connaissais Mathis dans cette pièce avec Karajan (disque DG) mais je la trouve meilleure là, et puis la voir chanter ça est un régal.<br />
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F
<br /> Dans du Mahler ? Non mais vous voulez ma mort ? Et en plus en septembre alors que c'est une pièce de printemps ... Je suis triste.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais c'est superbe.<br />
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