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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 09:01

 

 

Vœu pieux : que ces quelques lignes entrainent des achats immédiats du coffret Eloquence qui réédite une œuvre devenue introuvable et dont la richesse m’a ébloui de l’ouverture à l’ensemble final. Peter Maag a bien eu raison de la défendre, de la représenter et de l’enregistrer pour Decca, au-delà de l’anecdote : il s’agit, comme on le sait, d’une première version musicale de la pièce qui inspirera le Fidelio de Beethoven. Les deux œuvres, aux similitudes parfois troublantes dans la construction des airs (le grand air de Leonora et celui de Florestan/Florestano en particulier) peuvent cohabiter car elles ne reposent pas sur la même école et ne visent sans doute pas à provoquer chez l’auditeur les mêmes émotions. La Leonora de Paër est un semi-seria italien, sentimental et amoureux, sans métaphysique, gorgé de musique … trop de notes aurait pu médire Joseph II. Mais pour l’auditeur jamais repu c’est un voyage continu et enchanteur dans une contrée où l’invention mélodique des lignes vocales ne le cède qu’à la richesse et à l’inventivité de l’orchestration. Paër, un pied en Allemagne (celle de Mozart), un autre en Italie (celle de Cimarosa et bientôt de Rossini), était un grand, un passeur sans doute, mais un passeur de génie. La direction de Peter Maag est sans aucun doute à la hauteur des enjeux, qui joue la carte de l’euphorie dans l’amour et dans la joie, avec une vie fascinante, un élan et évidement une beauté plastique du geste qui éloigne définitivement l’entreprise de la notion de résurrection musicologique. Jamais il ne nous dit « attention fragile » pour la simple et bonne raison qu’il n’en a pas besoin : la musique se défend très bien toute seule.    

Les interprètes participent grandement à la réussite. Gruberova, le nom le plus célèbre ici avec celui de Siegfried Jerusalem, chante Marcellina avec de presque trop grandes manières, malgré la vivacité dont elle fait preuve. Parfois c’est surtout Mozart, celui des airs de concert les plus héroïques et du seria, qui affleure, en particulier dans le deuxième air, qui est pourtant avant tout une moquerie de soubrette. C’est la conséquence naturelle de la froideur, qu’on réalise ici être bien congénitale, de la voix. Vocalement, nous sommes en 1978 et Gruberova est simplement sensationnelle. Précise et honnête en tout et d’une beauté radieuse, à faire tourner la tête à n’importe quel gardien de prison, déjà éclatante et personnelle de timbre, charnue sur toute la tessiture, y compris les amorces de graves (qui n’ont rien à voir avec ce qu’on a pu connaître d’elle par la suite) et d’une fraicheur poétique (qui a dit « lunaire » ?) qui compense le manque occasionnel de piquant italien. On écoute ravi la moindre de ses interventions,  et comme Paër et son librettiste on réservé au rôle une belle part, on est servi. Elle renvoie un peu, par comparaison, sa Leonora à un gentil et honorable anonymat, mais, à l’écoute attentive, Ursule Koszut mérite mieux que de la condescendance. Voix souvent pâle, vibrato inexistant, elle a quelque chose qui évoque les baroqueuses d’un temps, en suscitant, contrepartie d’un certain éclat virginal, un sentiment d’absence de substance solide : elle tire beaucoup sur la trame de la voix, car Leonora est un rôle d’une redoutable exigence (même si l’expression est utilisée pour tout et n’importe quoi, je vous assure que ce n’est pas une parole en l’air), mais, studio aidant sans doute, sa probité étonne, y compris dans des vocalises solides (le trille est disgracieux en revanche) et si les accents dans les récitatifs sont un peu générique, l’énergie ne lui manque pas et elle ne se fait pas avaler dans les ensembles, loin de là. Avant tout on reste admiratif d’une chanteuse qui nous permet de nous faire saisir les merveilles musicales de « Oh qual soave incanto » ou de « Esacrabile Pizzaro ! ... Il tuoi gemiti dolenti » avec élégance et tenue (et des aigus solides au passage).      

Du côté des hommes maintenant, la barre est maintenue haute. Giacchino est ici baryton. Wolfgang Brendel est un peu rude, très viril, ce qui contraste agréablement avec la féminité béate de Gruberova. Il n’a pas, lui, de belles manières, mais, à sa façon, en impose tout de même et il renverserait volontiers sa Marcellina dans le foin. On peut être gêné par le rapprochement de sa voix très sombre avec celle du Rocco de la basse Giorgio Tadeo, seul italien de la distribution. Dans les ensembles où ils interviennent, même dans le trio avec Marzelline  on peine à distinguer qui chante quoi, qui est le père pas assez noble et qui est le prétendant qui ne l’est pas plus, d’autant que Tadeo adopte souvent lui aussi un registre bouffe que sa musique d’ailleurs n’est pas sans exiger. Mais en contrepartie le transalpin manque peut-être un peu de stricte vigueur vocale, ce que Brendel, moins crémeux, a, à sa manière rocailleuse. Pizzaro est, cette fois, ténor et c’est un certain Norbeth Orth qui tient sa partie avec une férocité bienvenue (on aurait aimé que Peter Schreier s’y essaye d’ailleurs). Le timbre n’est pas particulièrement séduisant, les nasalités rajoutent à cet intéressant inconfort vocal, l’aristocratie n’est pas ce qui caractérise chanteur là, pas plus que l’onctuosité, mais Pizzaro est un parvenu alors on ne s’en plaindra pas. Autre ténor de la distribution, Siegfried Jerusalem récupère comme Koszut un air redoutable et magnifique qui exige une souplesse de vocalisateur qu’il n’a pas tout à fait dans la section rapide (on le sent parfois à bout de souffle). Par comparaison avec Orth on perçoit immédiatement ce qui fait, à tessiture similaire, le chanteur international et l’excellent troupier. De la hauteur, de l’éclat, du tranchant, de l’impact vocal, Jerusalemen en a au point qu’il pourrait en revendre à des confrères moins chanceux. Le héros de notre histoire c’est bien lui, pas de doute, dès son récitatif initial qui montre de quel bois vaillant son Florestano est fait. Il tient les promesses de son air et affronte le reste du rôle avec la même crânerie éclatante, emportant tout sur son passage (on devine le volume confortable) et très nettement jamais vaincu. Le couple juvénile et enthousiaste formé avec Koszut est particulièrement attachant, ce qui est cohérent avec le livret et la musique qui le rend assez différent des admirables et quelque peu abstraites silhouettes de l’opéra de Beethoven et on admire la tendresse et la délicatesse partagée de leurs échanges en récitatifs. C’est par facilité, et pour combler certainement des curiosités, que je suis revenu, un instant, à la comparaison avec l’illustre petit frère de l’œuvre. Vous aurez compris qu’elle n’est pas indispensable.    

 

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commentaires

L
<br /> Ferdi qui ?<br /> <br /> <br /> Je ne sais même plus de quoi vous parlez, moi maintenant je n'écoute plus que The Beggar's opera.<br />
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K
<br /> Je me permets quand même de vous signaler que Paer se prénommait Ferdinando, et pas Fernandino. À moins que vous ayez la preuve qu'il ait plagié Fernandel dans la scène de la chèvre ?<br />
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K
<br /> Oui, le programme De Amicis est très intéressant, mais la chanteuse manque à la fois d'aisance technique, de rayonnement et de personnalité (pour le timbre mais surtout pour la caractérisation).<br /> Le grand air de Giunia est laborieux (avec un Rousset des mauvais jours, étriqué, sec), l'Eurydice de Gluck vide, le tout fatalement monotone et sans panache. Meschinella !<br />
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L
<br /> Ah vous avez donc entendu le disque de Theodora Gheorghiu ? C'est si mauvais ? Le programme m'intéresse beaucoup.<br /> <br /> <br /> Ursula est un "Fedele" parfaitement plein d'honneur : le rôle étant périlleux, on écoute surtout la musique et admire la probité. Alors évidemment dans un répetoire germanique décadent, elle<br /> s'explose moins et paradoxalement on doit attendre davantage la banalité, pour ne pas dire le terne, de ce type de voix. Moser, oui, quand vous le dites c'est évident.<br />
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K
<br /> Un début d'explication : en fait Koszut remplaçait une autre<br /> chanteuse<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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