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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 13:22

 

 

1952 a l’honneur d’être, avec 1947, une des années que je préfère, du point de vue de mon obsession interprétative. D’abord l’heureuse élue me semble donner une interprétation définitive, une de celles que je considère comme les plus poignantes et les plus fascinantes du cinéma. Ensuite trois des nommées figurent au tout premier rang de mes préférences en tant qu’actrices. Et puis il y a, pour les amateurs de cirque, de quoi faire, ne serait-ce que par l’affrontement virtuel (pour la seule fois de leur carrière) entre Bette Davis et Joan Crawford le soir de la remise des prix, la deuxième sera en effet monstrueusement ignorée dix ans plus tard, pour Baby Jane. Nous y voilà :

 

  • Shirley Booth pour Reviens, petite Sheba (Daniel Mann)
  • Joan Crawford pour Le Masque arraché/Sudden Fear (David Miller)
  • Bette Davis pour The Star (Stuart Heisler)
  • Julie Harris pour The Member of the Wedding (Fred Zimmeman)
  • Susan Hayward pour With a Song in my Heart (Walter Lang)

 

Comme en vingt ans plus tôt (à l’époque il s’agissait d’Helen Hayes et de Lynn Fontane) deux grands noms du théâtre américain firent en 1952  leur début au cinéma. Début immédiatement récompensé par une nomination aux oscars. Shirley Booth avait, à l’époque de Sheba, dépassé depuis longtemps l’époque où elle aurait pu devenir une leading lady de l’écran (et encore … elle se rajeunissait de dix ans). Il fallait le désir avoué de l’industrie américaine pour un naturalisme souvent confondu avec les couleurs les plus sombres du quotidien pour qu’une personnalité aussi peu glamour puisse faire ses débuts à l’écran dans un rôle principal. Booth avait créé le rôle principal de la pièce d’Inge qui allait être adaptée au cinéma. Elle en avait fait un triomphe américain qui, grâce au film, allait devenir international (elle reçut le prix à Cannes cette année et pour beaucoup était considérée comme la plus grande actrice du monde). Le rôle est des plus payants, c’est certain : elle interprète une vieille petite fille, épousée pour de mauvaises raisons vingt ans auparavant par un médecin raté (Burt Lancester). Avec sa fraicheur, qui était sans doute son seul atout, l’équilibre du mariage s’en est allé, le docteur est devenu alcoolique (repenti au début du film), le mariage vivote et le couple n’a pas d’enfant. Lola (Booth) s’est passionnément attachée à sa petite chienne (la Sheba du titre) qui a disparu. En Europe le film et l’interprétation de Booth, typique de la qualité américaine, ont très mauvaise presse. Certe, dans une certaine mesure, il s’agit bien d’un rôle à cabotinage, et l’actrice peut s’en donner à cœur joie. En ce qui me concerne je suis submergé et bouleversé. Le personnage est simultanément insupportable et attendrissant, mais l’actrice suscite d’abord, chez moi, le deuxième sentiment. Immédiatement la simplicité, le vide intérieur de cette femme sans ressource intellectuelle, sont ressentis par le spectateur (au-delà de la panoplie de la femme au foyer négligée qu’elle affiche). Ses limites, cruellement soulignées par les hésitations, l’hébétude même, que fait passer l’actrice, n’empêche pas chez Lola des attachements passionnés, qui rappelle ceux d’un enfant ou d’un chien. Le désespoir qu’elle montre est transperçant et Shirley Booth parvient à rendre tragique ce qui pourrait être (ce qui est aussi d’ailleurs d’une certaine manière) les jérémiades d’une ménagère ménopausée. Quand elle appelle lentement sa petite chienne, avec lassitude, sa gestuelle est à la fois absurde et désolée, mais elle parvient aussi à nous persuader que, d’une certaine manière, Lola garde une espèce de foi enfantine. De la même manière le moment, embarrassant, où elle danse pour son mari, suscite un véritable malaise, car, pour être ridicule, le personnage peint par Booth ne demande pas à être humilié, béni par une espèce d’innocence. Je ne m’attarderai pas trop sur les morceaux de bravoure nombreux, mais beaucoup moins démonstratifs dans cette interprétation, qu’ailleurs (mémorable et glaçante scène au téléphone avec la mère), mais je redis encore une fois mon admiration pour une composition qui impose un type caricatural en parvenant à le rendre parfaitement humain et crédible tout en lui offrant une dimension cinématographique très forte, presque poétique. La cascade de Prix (elle reçut tout : prix de la critique New Yorkaise, Golden Globes de la meilleure actrice dramatique etc….) est donc, à mes yeux, amplement méritée. Ce sera cependant l’unique coup d’éclat cinématographique d’une carrière avant tout théâtrale puis télévisuelle. Disponible en zone 2 avec STF.

 

Joan Crawford reçut elle la dernière de ses trois nominations (elle fut également nommée au GG) pour son rôle dans Le Masque arraché, beau Gothic Female urbain, signé David Miller, hélas introuvable avec stf (il existe en Espagne et en Allemagne, en revanche.) Interprétation spectaculaire qui méritait bien cette distinction. C’est le modèle du tour de force dramatique qui n’est pourtant jamais une composition. Crawford joue une dramaturge à succès, elle pourrait aussi bien être une actrice. L’essentiel réside dans sa réaction aux évènements dans le film. Ce dernier, dans son dernier tiers, est presque entièrement muet. Tout repose donc sur l’extraordinaire performance de l’interprète et la puissance hors du commun de son visage et on comprend que les membres de l’Académie ait été impressionné parce que Crawford se révélait plus que jamais « grande actrice ». On ne recherchera pas ici une subtilité qui serait hors de propos (mais dans la première partie du film son attachement progressif et très tendre pour son partenaire, l’inquiétant Palance, est amené avec une grande et touchante vulnérabilité). Au contraire l’ancienne « Possédée »  est à l’aise dans le paroxysme et si on peut dire d’une interprétation qu’elle est hystérique c’est bien de celle-ci. Le spectateur a pourtant le sentiment d’un réalisme paradoxal : pas très loin affleure toujours l’idée que la femme Crawford, prise dans le même filet, réagirait avec la même violence et, partant, les mêmes expressions. Donc on halète et on soupire en même temps qu’elle (et Dieu sait que son registre est à peu près illimité dans ce domaine) et on suit avec un intérêt passionné, celui de l’amateur d’opéra mais pas seulement, ses grandes scènes (Crawford écoute un disque qui lui annonce sa mort prochaine, Crawford manigance un plan machiavélique, Crawford est coincée dans un placard pendant qu’un meurtrier se promène dans la chambre, Crawford fuit l’assassin dans les rues de San Francisco) dont elle fait un récital d’angoisse et de colère sans jamais, alors que le principe dramatique est souvent identique, ennuyer. Miracle de la technique et aussi, sans aucun doute, de la conviction et de la sincérité de l’interprète qui dut apprécier l’hommage (attendue vue le rôle, l’interprétation et le succès du film RKO) rendue par l’Académie.      

Bette Davis croise les deux précédentes nommées. D’abord elle avait refusé le rôle de Booth dans Sheba. Ensuite elle prétendit plus tard que The Star (une actrice vieillissante et alcoolique à la carrière en berne) était en fait un portrait de …. Crawford. La nomination de Davis pour ce film (disponible en zone 1 avec stf) était surprenante dans la mesure où elle n’avait été distinguée nulle part ailleurs au cours de la saison et où elle n’était pas soutenue par une campagne très active. Il faut y voir, peut-être, un clin d’œil à son glorieux passé (et puis les oscars adorent les films qui parlent aussi activement … de l’oscar lui-même) et une manière de compenser l’échec d’Eve. La critique avait d’ailleurs été plutôt élogieuse. Mais enfin il est difficile de prendre absolument au sérieux cette interprétation volontiers grandguignolesque et surtout dévorée par des tics qui ont le grand tort d’être toujours prévisibles. Pour un habituée des performances « bigger than life » de Davis The Star permet de synthétiser tout ce qui fait la manière de l’actrice mais sans que le génie interprétatif ne le transcende : cigarettes fumées avec violence, grandes enjambées, mouvements saccadés et nerveux, voix rauque et grosse colère. En ce qui me concerne je me demande précisément dans quelle mesure Davis fait un portrait d’elle-même (ce qu’elle dira à propos du soit disant portrait de Crawford me semble symptomatique de son inconfort) et j’ai toujours un sentiment de fabriqué, assez peu valorisant pour elle, sauf dans la dernière séquence, où elle ne fait plus rien visuellement, mais semble tout à coup consciente des enjeux du rôle. L’empathie se crée enfin, qui faisait cruellement défaut, en particulier dans son improbable relation amoureuse aussi bien (ou plutôt mal) que dans son portrait de la maternité.  Evidemment qu’un film avec un tel sujet et une telle charge camp (la scène où Davis se saoule avant d’être arrêtée est justement culte) me parle et me plait … mais ce n’est pas un gage de qualité. Un an plus tôt Davis livrait dans le rare Ambitieuse une interprétation beaucoup plus accomplie et nuancée, sans une fausse note (ou presque), certainement une des meilleures de sa seconde carrière.

 

 

 

 

Shirley Booth était beaucoup âgée que Julie Harris mais cette dernière devait faire une carrière finalement tout aussi prestigieuse sur les planches. Pur produit de l’Actor’s studio elle avait obtenu un important succès en jouant à plus de vingt cinq ans l’adolescente de douze ans de The Member of the Wedding. Comme pour Sheba les producteurs (dont le mythique Stanley Kramer) décidèrent de lui confier le rôle lors de la transposition de la pièce sur grand écran. Ce ne fut pas tout à fait une aussi bonne idée. Ce qui passe, physiquement, au théâtre, ne peut pas toujours être crédible au cinéma. Or l’adaptation de Zinneman est tout à fait réaliste, selon les nouveaux principes hollywoodiens. Par contraste ce qui semble extrêmement fluide dans Les Quatre filles du Docteur March version MGM devient vite gênant dans un contexte tout différent. Bref … rien ne permet de se dire sereinement que Julie Harris à douze ans. Et cette impression persistante tend à noyer les qualités d’une actrice au talent pourtant considérable dont le profil interprétatif, qui privilégie l’extrême émotivité, correspondrait parfaitement au personnage. Mais le contraste donne toujours l’impression d’un jeu, d’un « faire semblant » et d’une surexplication qui ne permet pas au spectateur de s’accorder avec le personnage. L’actrice semble nous dire perpétuellement « voilà comment agit une adolescente exaltée de douze ans, regardez bien, je vais le faire » et les moments où elle réclame désespérément de grandir peuvent même en paraître ridicules, dans leur absurdité (puisqu’elle réclame en fait d’avoir l’âge qu’elle a manifestement). Hélas Harris, qui sera si merveilleuse dans A l’Est d’Eden ou dans La Maison Hantée, ne sera plus jamais nommée aux oscars. Dans une certaine mesure je suis donc heureux que l’espèce de grâce fiévreuse qu’elle a toujours, même dans un projet comme celui-ci, ait été reconnue par les votants, au moins une fois d’autant que l’interprétation qu’elle offre reste, quelque part, marquante, par sa violence et par la beauté vocale de certains monologues (dont le tout dernier, superbe). Le film n’existe pas à l’unité, mais figure dans le coffret Columbia « Stanley Kramer » avec stf (zone 1).    

 

Parallèlement Susan Hayward devenait progressivement une habituée des prix (troisième nomination et premier Golden Globes comme actrice dans un film musical) en même temps qu’une Star de première importance à la Fox qui en avait fait son actrice dramatique, par opposition aux pulpeuses blondes (Grable, Monroe etc…) et aux ingénues (Crain, Darnell). Il semblait logique de la pousser dans cette direction d’autant qu’elle jouait dans With a Song in My Heart exemplaire biopic qui mettait une chanteuse célèbre avec un mariage malheureux et une jambe détruite lors d’un accident d’avion. Une recette idéale. Et, dans l’absolu, une composition remarquable dans la carrière de l’actrice. La plus grande partie du film est constituée de numéros musicaux pour lesquels Hayward est doublée par la voix très reconnaissable de Jane Froman elle-même. Rien dans la carrière de l’actrice ne la prédisposait à si bien jouer la vedette musicale. Le travail de synchronisation est sensationnel (et d’autant plus remarquable que le timbre personnel de Froman pourrait faire sonner faux toute interprétation placée devant) et la gestuelle l’est tout autant. On a vraiment l’impression que Susan Hayward est une star et une chanteuse, qu’elle est née pour les planches. Le positionnement des épaules, les mouvements des bras, les regards mouillés ou exaltés … moitié diva moitié crooneuse. Les moments faussement improvisés où la mécanique de la scène est censée s’assouplir sont d’un parfait naturel, assurés en professionnelle que rien n’étonne. Par comparaison les passages narratifs sont presque pâles, mais, à l’exception des toutes premières scènes où on ne la sent qu’à moitié à l’aise, impeccablement négociées et surtout d’une sobriété élégante, même dans les moments les plus dramatiques, qui n’a pas toujours été la première caractéristique de l’actrice, laquelle semble s’être fait très modeste derrière son personnage qu’elle s’applique manifestement à rendre le plus simple, le plus droit et le plus touchant possible (c’est exactement ce que réclame d’ailleurs le scénario). Froman a été impressionnée par la manière dont Hayward lui a rendu justice, moi aussi, d’autant plus que j’ai rarement eu autant l’impression que Hayward n’était absolument pas elle-même, mais bien le reflet fidèle de quelqu’un d’autre. Disponible en zone 1 avec stf, dans un beau DVD de la collection « Marquee » chez Fox.

 

 

 

 

Je vais terminer mon coup d’œil sur l’année 1952 par un rappel des autres nommées aux Golden Globes. Coté comédie on trouvait Katharine Hepburn, effectivement délicieuse dans un rôle pourtant pas très impressionnant (Mademoiselle Gagne Tout) et Ginger Rogers pour Chérie, je me sens rajeunir (un autre classique de la comédie à l’actif de l’actrice). Côté drame, outre Booth et Crawford, Olivia de Havilland fut distinguée pour Ma Cousine Rachel qui semblait un prolongement évident à ses recherches interprétatives de L’Héritière, pour le cadre et l’ambigüité du personnage. J’imagine que la nomination de Davis pour The Star couta la sienne à de De Havilland. De leurs côtés les journalistes italiens (pas de Coupe Volpi cette année, en revanche) honorèrent à nouveau la Magnani pour Bellissima de Visconti et les Anglais créèrent les BAFTA (l’équivalent des Césars) se tournant Vivien Leigh (avec un an de retard) mais remarquant aussi, entre autres, Signoret pour Casque d’or, Edwige Feuillère impériale, troublante et fascinante à la fois (bref parfaite) dans Olivia, Ann Todd, excellente d’ailleurs, dans Le Mur du Son/The Sound Barrier (de son mari David Lean) à laquelle elle apporte une puissance féminine très importante, ou Judy Holliday dans son meilleur rôle, celui de la femme un peu banale mais très attachante et peinte de manière extrêmement réaliste par elle et le réalisateur, Cukor, dans Je retourne chez Maman (The Marrying Kind). 

 

Quant à moi ça aurait donné quelque chose comme :

 

  • Shirley Booth pour Reviens, petit Sheba
  • Joan Crawford pour Le Masque arrachée
  • Susan Hayward pour With a Song in my Heart
  • Judy Holliday pour Je retourne chez Maman (existe en DVD zone 1 mais avec stf)
  • Lana Turner pour Les Ensorcelés/The Bad and the Beautiful (Minelli). Scandaleusement la MGM n’estima pas qu’elle avait besoin de faire campagne pour une actrice d’abord connue pour son sex appeal. Turner est pourtant éblouissante et si idéalement faite pour le rôle d'une actrice en mal d'être, qu’on tient là sans doute le sommet de sa carrière d'un point de vue interprétatif. Le film, un classique, a toujours été disponible un peu partout.

 

 

 

 

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