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3 octobre 2012 3 03 /10 /octobre /2012 12:16

 

 

En 1962, fais ce que tu veux … pas tout à fait : les choix de l’Académie sont si indiscutables que ça en devient un peu déprimant. Trois d’entre les interprétations distinguées sont déjà, à elles toutes seules et tout à fait justement, des classiques, qu’on estime dignes d’être montré à tous les élèves en art dramatique du monde. Il est vrai que cette année là le nombre d’adaptations de pièces de théâtre semblent plaider pour une technicité à toute épreuve. Mais on observe surtout que les esprits chagrins ne pourront pas trouver à se plaindre : chacun des films cités est signé par un auteur prestigieux.

·         Anne Bancroft pour Miracle en Alabama/The Miracle Worker (A.Penn). 

·         Bette Davis pour Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (R.Aldrich)

·         Katharine Hepburn pour Long day’s journey into night (S.Lumet)

·         Geraldine Page pour Doux oiseau de la jeunesse (R.Brooks)

·         Lee Remick pour Le Jour du vin et des roses (B.Edwards)

Anne Bancroft avait claqué la porte de Hollywood, cinq ans auparavant, avec le sentiment, qu’en dehors de rôles de potiches, ses différents contrats ne lui apportaient pas grand-chose. Elle était passé par la télévision et surtout par le théâtre et avait véritablement connu la consécration en jouant sur scène une pièce de William Gibson, qui adaptait le récit de la jeunesse d’Hellen Keller, en se focalisant sur les deux semaines où la petite fille aveugle, sourde et muette, avait appris à communiquer grâce à sa jeune institutrice, Annie. Les studios eurent la bonne idée de lui demander de reprendre son rôle de gouvernante déterminée quand l’œuvre fut adaptée sous le titre, en France, de Miracle en Alabama. Il est très difficile de faire la part des choses en regardant le film, car ses qualités humanistes, son lyrisme, sa chaleur entraine le spectateur dans une seule et même direction, qui ne laisse pas beaucoup de place à la performance singulière. On pourrait d’ailleurs objecter qu’une partie du film, précisément, repose entièrement sur les deux interprétations (celle de Patty Duke en Helen Keller, n’étant pas moins vigoureuse et remarquable que celle d’Anne Bancroft). En un sens, il y a une adéquation quasi identitaire entre les actrices et le film lui-même. L’évidence qu’elles transmettent se passe d’ailleurs, sans vouloir faire d’humour, de mots, c'est-à-dire d’analyse. Il a souvent été dit, avec raison, que ce n’est pas dans le dialogue que Bancroft se révèle impressionnante, mais dans la mise en espace de son propre corps. La violence des affrontements implique évidemment une donnée quasiment chorégraphique, une précision de chaque instant, un calibrage rendu possible par la longue fréquentation que les interprètes avaient à la fois de leurs rôles et de l’une et l’autre. Le grand art ici consiste donc à ne jamais faire sentir l’artifice : les deux corps qui s’affrontent semblent le faire comme si c’était la première fois, avec une authenticité aisément percevable. Interprétation qui ne prend sa force que dans le rapport à l’autre (l’alchimie est saisissante), mais interprétation admirable néanmoins de force, de volonté, d’humour aussi et qui gomme avec tact et la distance nécessaire tous les sous-entendus sentimentaux ou maternels que le texte ne veut pas suggérer (et même qu’il dément) mais qu’une mauvaise lecture aurait pu rendre tangibles.

Tout aussi remarquée cette année là le come-back de Bette Davis en monstrueuse Baby Jane aurait pu lui valoir un troisième oscar. Il y a un lien d’ailleurs entre le rôle et celui d’Anne Bancroft. Dans les deux cas le rapport avec la partenaire fonde la dynamique de l’interprétation et l’écriture des personnages exige une immédiateté physique qu’on devine harassante. Davis est, répétons le, remarquable. D’abord on s’incline devant la manière dont elle a assumé son délabrement physique, précoce : comme on le sait, c’est elle qui s’est maquillée et qui a choisi ses vêtements, avec les conséquences cinématographiques d’une crudité terrifiantes. Le masque blafard qu’elle s’est composé a, de plus, le mérite d’insister sur son effacement en temps que star. Bien qu’il s’agisse d’un de ses rôles les plus emblématiques, c’est également un de ceux où j’ai le plus oublié qu’il s’agissait de l’actrice. Elle a toujours eu une capacité exceptionnelle à être à la fois à l’intérieur et légèrement au dessus de ses rôles (dans ses meilleurs films, au moins). Ce n’est pas tout à fait le cas ici : Baby Jane est une création si réaliste (alors que l’actrice est tout sauf une actrice réaliste, paradoxalement) que le rôle et l’interprète se fondent (un peu comme dans Eve sauf que pour le film d’Aldrich la fiction s’éloigne trop du réel pour que l’adéquation soit aussi évidente.) On ne reviendra pas trop longtemps sur les morceaux de bravoure du rôle, souvent cités, les plus ignobles devenant les plus inoubliables : le rire obscène quand elle sert un rat à Crawford, le passage où elle frappe sa partenaire à terre, à coups de pieds (et où elle semble en roue libre, tellement la violence est glaçante et naturelle alors que le montage suggère bien qu’en fait elle n’effleurait même pas Crawford) et toute la séquence avec Buono (ce dernier parfaitement à la hauteur) qui culmine avec son interprétation légendaire de « I’v written a letter to Daddy », passage qui aurait probablement été aussi bon avec une autre (très) bonne actrice, mais qui exigeait déjà une telle perte d’amour propre physique qu’on en reste sidéré et admiratif.

O’Neil était en 1962 un nom légendaire (je pense qu’il est plutôt oublié aujourd’hui, particulièrement en France.) On savait alors que sa pièce Long day’s journey into night était particulièrement exigeante pour ses interprètes. Quand le film fut adapté et présenté à Cannes toute la distribution reçut d’ailleurs le prix d’interprétation, Katharine Hepburn comprise. Je n’ai pas revu le film depuis trop longtemps pour en parler avec finesse. Il existe bien en DVD, mais sans sous-titres (tous les autres films sont facilement disponibles, en revanche). Mais l’impact de l’interprétation de l’actrice a, en revanche, frappé ma mémoire. A l’époque je n’avais pas de mots pour dire mon admiration. Et je peux convoquer sans trop de difficulté les hallucinantes (car hallucinées … copyright de qui voudra) scène de folies ou, pour être plus précis, de manque (car le personnage est cocaïnomane) qui m’ont le plus saisi. Hepburn, d’une autorité souveraine, rendait justice à l’écriture, en acceptant la dégradation de son personnage, livrant à la fois une vulnérabilité dont elle n’était pas coutumière, et quelque chose de vraiment peu admirable et d’assez peu sympathique. Elle suggérait qu’on se serait écarté de cette femme, avec un peu de dégout, malgré la grandeur de son apparence. Car il ne s’agissait pas non plus de faire disparaitre une origine sociale qui donne une partie de son sens au personnage (et de toute manière, l’actrice n’a jamais eu les moyens de faire disparaitre son aristocratie naturelle). Bref, sous la théâtralité visible et revendiquée par l’interprète du discours, une leçon d’art dramatique, sans aucun doute (le tour de force, réel, mis à part, car il s’agit pour ainsi dire de théâtre filmé, qui ne laisse guère d’échappatoire aux acteurs sur lesquels reposent pour ainsi dire la totalité du film) puisque l’actrice paraissait atteindre à une espèce de vérité interprétative quasi biologique malgré les éclats visibles de la littérature. En ce qui me concerne, c’est, mais mon souvenir peut me tromper, réellement un des plus beaux rôles de l’actrice.

 

 

 

 

On pourrait en dire autant de Géraldine Page dans Doux Oiseaux de la jeunesse. C’est encore du théâtre et à nouveau, selon une logique devenu depuis dix ans imparable, une adaptation de Tennessee Williams. Brooks, après Taylor dans la Chatte sur un toit brûlant, portait donc chance à ses actrices. Il faut dire aussi que le talent de Miss Page est si grand qu’il se tiendrait tout seul, même croulant sous le poids de son propre prestige. En revoyant le film, qui a tendance à m’ennuyer, j’attendais avec impatience chacune de ses interventions (heureusement d’ailleurs relativement nombreuses : c’est un vrai premier rôle, même si le personnage principal est évidemment celui de Paul Newman). Dépendante elle aussi (à la drogue et au sexe) « Alexandra Del Lago » est un monstre de cinéma elle aussi, mais, contrairement à Baby Jane, c’est un monstre chanceux : une star, une vraie et Page la joue ainsi, ne perdant jamais de sa superbe, même dans les moments les plus délicats ou les plus humiliants. Le rôle, qu’elle avait créé à la scène, avait pour ainsi dire été écrit pour elle, c’est dire qu’on pouvait lui faire confiance. Curieusement elle n’a probablement pas le physique du personnage (elle est sans doute trop commune pour jouer une « star du cinéma » et il pourrait être difficile de comprendre sa souffrance face au vieillissement) mais c’est vraiment la dernière préoccupation du spectateur puisque le jeu de l’actrice est si proche de la parade de cirque (cette princesse a parfois des allures de marchande de poissons : son rire est extraordinaire de ce point de vue et étonnamment communicatif), de la représentation systématique, qu’il devient vite évident que c’est bien d’une star qu’il s’agit. Le rôle est en or, très démonstratif, parsemée de tirades et de monologues et c’est manifestement à lui que s’est identifié l’auteur. Page nous regarde droit dans les yeux et, cabotine de génie, fait de ce cabotinage une seconde peau, aussi évident et vrai qu’un néoréalisme à l’italienne. On se roulera sans honte dans sa dernière scène, avec téléphone intégré (la manière dont elle exclut, ignore, agresse, physiquement et verbalement Newman à ce moment là est d’une réjouissante cruauté) avant de regretter son départ, qu’elle drape négligemment d’une fourrure, comme il se doit. 

 

 

 

 

Deux droguées et une folle furieuse … il ne nous manquait que l’alcoolique. Lee Remick s’acquitta du rôle que Blake Edwards, sorti du succès de Diamants sur canapé, lui offrit dans Le Jour du vin et des roses.  On connaissait bien ce que les actrices surexpressives, comme Susan Hayward, savaient faire dans ce type de rôle. Les choix interprétatifs de Remick, parfaitement en osmose avec le propos du film, sont diamétralement opposés. A aucun moment, pour commencer, l’alcoolisme n’est présenté sous des couleurs flamboyantes. Remick n’est jamais pleine de cran ou d’énergie quand elle est sous l’emprise de sa maladie. Elle est au contraire systématiquement vaincue, très triste ou défaite et produit chez le spectateur d’abord une gêne et un malaise. Remick est un fantôme qui s’efface totalement derrière l’alcool. D’ailleurs on ne saura jamais réellement qui elle est, ni ce qu’elle ressent. Son insécurité, sa tristesse, sa solitude frappent au début du film (l’actrice n’interprète jamais un personnage arrogant, même quand elle est en position de force pendant que Jack Lemmon cherche à la séduire) et ne cessent de se confirmer par la suite. Ce sont les seuls éléments d’explication qui nous sont donnés. On ne sait plus trop si le personnage est opaque ou transparent, mais Remick suggère finalement que l’alcool est un poison qui l’a dévoré de l’intérieur : son âme est partie. C’est ce qu’on retient des moments les plus dramatiques du film : la scène, sordide, du motel, où même son agressivité ne trouve pas réellement à s’exprimer, éteinte ou plutôt dévorée par l’épuisement, et surtout sa dernière rencontre avec son mari. Son très beau visage (manifestement personne n’a voulu qu’elle soit effrayante autrement que par sa souffrance) encore faiblement éclairé, très loin de la caricature de l’alcoolique, est au diapason d’une interprétation, encore une fois, très retenue et même discrète, alors que les sentiments exprimés sont d’une très grande force. C’est un véritable désespoir au cinéma et pas un désespoir de cinéma. On comprend que les votants, lui ait offert cette nomination, qui restera unique dans sa carrière, sentant qu’elle ouvrait la voie à la modernité, toute proche, dans l’interprétation de ce genre de personnage.    

Un sans-faute qu’on vous dit. Qui explique qu’on ait oublié l’interprétation flamboyante et excessive de Rosalind Russell dans Gypsie (Golden Globe), son dernier rôle important, et un rôle de théâtre qui plus est. Même si j’aime beaucoup Russell (et Wood, fantastique dans le même film) et si j’ai admiré aussi le mystère exercé par Emmanuelle Riva dans Thérèse Desqueyroux (Coupe Volpi à Venise), même si j’aime bien la nomination aux Golden Globes de Glynis Johns pour le superbe Liaisons coupables de Cukor, l’actrice qui me semble avoir mérité le mieux de doubler l’une des cinq cette année là me semble être Melina Mercouri, fascinante Phèdre moderne, somptueusement théâtrale et tragique, passant royalement par-dessus les ridicules du rôle et bien meilleure que dans Jamais le dimanche, à mon sens. Nommée aux Golden Globes et aux Baftas elle était sans doute en assez bonne position. Je crois que je l’aurais fait passer avant Bette Davis … tout simplement parce que j’ai toujours trouvé injuste qu’on oublie Crawford (nommée aux Bafta pour compenser), également exceptionnelle dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? Ne pouvant placer les deux, je les sacrifie (et puis je les ai déjà beaucoup chantées !).                     

 

 

 

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commentaires

M
<br /> … et j'ignorais que Patty Duke avait suivi les masterclasses de Callas.<br /> <br /> <br />  <br />
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M
<br /> P.S. J'aime beaucoup la photo n° 2. Si j'avais été le jury, j'aurais donné un oscar à ce lit.<br />
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M
<br /> "son interprétation légendaire de « I’v written a letter to Daddy »"<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Angela Gheorghiu y est également légendaire, mais évidemment, vu qu'elle n'est pas morte, ça n'existe pas pour vous !!<br />
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