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8 juin 2013 6 08 /06 /juin /2013 21:31

 

 

J’ai l’impression de ne pas l’avoir écrit depuis longtemps, parce que, pendant une période relativement longue, les règles qui présidaient aux nominations et aux victoires aux Oscars ont été fixées. Mais en 1968 il y a eut cependant une surprise assez importante pour que l’année soit, lâchons le mot, historique. Deux candidates furent récompensées : un vétéran qui obtenait ainsi son troisième prix et une nouvelle star, appelée à perdurer, pour son premier film. En principe vous ne devriez pas avoir de mal à la différencier si l’on suit la liste des nommées (l’excellence de la sélection me surprend à chaque fois ; dans l’absolu je pense que chaque victoire eut été justifiée) :

 

  • Katharine Hepburn pour Un lion en hiver (Harvey)
  • Patricia Neal pour The Subject was roses (Grosbard)
  • Vanessa Redgrave pour Isadora (Reisz)
  • Barbra Streisand pour Funny Girl (Wyler)
  • Joanne Woodward pour Rachel, Rachel (Newman)

 

L’année précédente Katharine Hepburn avait déjà remporté un oscar pour un rôle relativement peu brillant, malgré l’excellence de l’interprétation. A l’inverse on tend à considérer son Aliénor d’Aquitaine dans Un lion en hiver comme un sommet de sa carrière, tant le caractère peut sembler, à sa manière, exigeant. Revoyant le film je me suis posé beaucoup de questions devant l’aisance de Kate Hepburn. Peut-on parler de composition ? Plie-t-elle le personnage de la reine à sa personne ou propose-t-elle quelque chose de singulier, par comparaison avec d’autres performances dans des films absolument différents ? Je n’arrive pas à trancher. Ou plutôt je me demande si on n’a pas affaire à ce que fut Margo Channing pour Bette Davis. C'est-à-dire un rôle tellement parfait, à un point si élevé en accord avec l’interprète que l’effort semble annihilé alors même qu’il y a pourtant une réel et exacte interprétation. Si Davis jouait une actrice, Hepburn, qui a su souligner ce qu’elle pouvait avoir de foncièrement aristocratique, ne se contente pas moins d’une souveraine pour lui permettre de se présenter au public. Précisons, pour lui rendre justice entièrement, que les acteurs  sont d’autant plus méritants que le scénario ne se ménage pas et que les dialogues sont certes spectaculaires, mais aussi, quand on y pense, sans aucun sens ou en tout cas injouables. Les personnages passent leur temps à se mentir les uns aux autres, sans que personne ne soit jamais dupe réellement de quoi que ce soit. Dès lors à quels moments sont-ils sincères ? Comment jouer avec justesse cette succession de pièges verbaux ? Hepburn ne se pose pas réellement la question, je pense, elle interprète tout avec une franchise très nette (après tout assez logique, puisqu’on sait qu’Aliénor ment … j’espère que tout le monde suit), aucune phrase n’a l’air plus hypocrite que la précédente. Au fond, on suit ces joutes comme un jeu auquel elle excelle (de tous, c’est elle qui semble le moins perdre son sang-froid à deux ou trois mémorables scènes près – dont celle, très « oscarisable » du miroir). Le brio, la distance dans les méchancetés qu’elle assène avec un chic difficilement imitable, la rapidité du verbe et du geste sont tous étincelants et rappelle quelle actrice de screwball elle fut. On s’incline donc volontiers devant cette forme de virtuosité qui semble être, ainsi que je l’ai dit, parfaitement naturelle, sans rien de forcé ou de frénétique. Je m’incline donc avec respect et admiration, comme je l’aurais fait sans doute devant la véritable Aliénor d’Aquitaine à laquelle l’actrice prête, dès sa première apparition, un visage de sphinx et une superbe de princesse. 

 

 

 

 

Patricia Neal revenait lentement sur les écrans après une période obligée d’inactivité. Cinq ans auparavant, elle avait reçu un oscar. Là elle jouait dans l’adaptation pour le cinéma d’une pièce de théâtre populaire et dramatique, qui ne comptait trois caractères : la nomination était assurée à la fois pour des raisons sentimentales et par le prestige intrinsèque du projet.  The Subject was roses (qu’on ne peut trouver qu’en Warner Archive, sans sous-titres) est un beau film mélancolique. On peut en dire autant de la prestation de Patricia Neal, mère de famille aigrie et malheureuse que retrouve, après la guerre, un fils aimant mais désireux de se libérer de l’emprise de parents qui ne s’entendent, par ailleurs, plus et passent leur temps à se disputer (quelque part ce n’est pas sans évoquer l’intrigue d’un Lion en hiver). Le spectateur ne ressent pas du tout les atteintes de l’attaque cérébrale qui avait terrassé Patricia Neal quelques années auparavant. Sa performance est aussi fluide et assurée que toujours et elle est servie par une cinégénie qui rend son visage fascinant, autant que ses expressions ou son phrasé (sans parler du timbre rauque et intriguant de sa voix). Le rôle est moins riche que celui de son époux, joué par Jack Albertson qui recevra, ironiquement, l’oscar du meilleur second rôle masculin. Cependant le personnage aurait pu être joué de manière infiniment plus pleurnicharde ou encore hystérique. Neal donne une interprétation d’une force et d’une élégance hautaines mais jamais froides qui suggère qu’elle fut la jeune femme un peu snob qu’on devine dans le portrait que son mari fait d’elle en racontant leur rencontre à son fils. Ses colères, injustifiées parfois, sont réellement effrayantes, mettent mal à l’aise et révèlent une violence peu attendue chez une mère de famille. Elle instaure donc quelque chose qui relève du tragique au sens (attention, je sors la grosse cavalerie) où Stephan Zweig l’entendait : dans la perspective de Patricia Neal, Netty Cleary est une femme remarquable, ou qui se pense remarquable, emprisonnée dans une vie trop étroite. Elle donne l’impression d’être capable d’à peu près tout, avec un minimum d’effets expressifs, ce qui rend le film plus poignant et plus intriguant (plus qu’il ne l’est, je crois). Sa disparition, à un moment de l’intrigue, pourrait se solder par n’importe quelle conclusion. C’est dans le regard et le visage de l’interprète que tout se joue. 

 

Deux ans après l’effroyable Morgan du même réalisateur (qui portait donc chance à son actrice), Vanessa Redgrave confirmait son statut de star internationale et gagnait à nouveau le prix d’interprétation à Cannes et une nomination aux oscars. Autant son rôle dans Morgan pouvait presque sembler périphérique autant ce biopic d’Isadora Ducan lui offre un film entier à porter sur ses solides épaules. J’ai lu qu’on lui reprochait de ne pas être une danseuse crédible. Je me demande bien ce qu’on peut lui attendre de ce point de vue et, pour ce que je connais de Ducan, les scènes de danse de Redgrave me semblent au contraire plus qu’honorablement exécutée. Les questions techniques n’embarrassait pas la danseuse, on le sait, d’autant moins à une époque où même la danse classique était moins spectaculaire, de ce point de vue, qu’aujourd’hui. Le corps athlétique et entrainée de l’actrices, ses bras à la fois sveltes et musculeux, me paraissent d’une crédibilité déjà évidente, mais, quoiqu’il en soit, je n’ai jamais eu l’impression d’une amatrice dans des scènes dansées dont elle s’est entièrement chargée, ce que la caméra du réalisateur dévoilent (ceci est un petit clin d’œil à Natalie Portman, il est vrai confrontée à beaucoup plus difficile dans une perspective physique). A part cela Redgrave, abrégeons le suspens, est exceptionnelle dans le rôle, crédible d’un bout à l’autre, y compris quand elle joue avec beaucoup de cruauté (et un maquillage finalement discret) la vieille Isadora, à la limite du ridicule. C’est dans ce dernier mot que réside vraiment une partie du talent de Vanessa Redgrave : l’exaltation d’Isadora est parfois ramenée à une candeur, une naïveté, qui est presque de la bêtise. C’est d’autant plus intéressant que Redgrave, en principe, dégage une intelligence frappante. Mais le fait est qu’elle a souvent interprété des intuitives, des sensitives, des non intellectuelles et qu’Isadora, dans cette perspective, les résume toutes et les exagère aussi. Pourtant, malgré le caractère d’énormité que Redgrave donne à certaines scènes (toutes celles avec « la grenouille » notamment), on a systématiquement l’impression que l’emphase est de toute manière l’expression naturelle et obligée du personnage, telle qu’il est expliqué par le réalisateur en tout cas. L’actrice a parfaitement compris ce qu’elle pouvait en tirer, en matière de résultats interprétatifs.

Autre biopic d’une artiste au tournant du siècle, Funny Girl a toujours été plus facilement disponible et plus célébrée qu’Isadora. Qu’on ne cherche pas en moi un contempteur de Barbra Streisand. J’ai dans mon panier amazon « Classical Barbra » qui attend par exemple. Oui. Et je n’ai pas honte. Et j’adore Funny Girl. Des performances nommées c’est pourtant celle qui me satisfait le moins, malgré son charme. Je m’y laisse prendre avec beaucoup de plaisir (puisque j’aime le film et que l’interprétation omniprésente le fonde en partie) mais dès que je prends un peu de distance j’en vois les limites ou plutôt les formules et les trucs. Streisand, on le sait, avait joué des dizaines de fois la pièce à Broadway, il est assez logique que son interprétation finisse, dans les passages comiques, par manquer quelque peu de fraicheur. A partir d’un certain moment dans le film on peut prévoir, à la manière de ce qui se passe quand on regarde le show de certains comiques, quelles sont les expressions et les clowneries avec lesquelles Streisand va jouer. Sans parler de cette élocution de mitraillette impressionnante mais parfois redondante avec une action déjà précipitée. On en profite et on en rit, mais on peut aussi comprendre l’exaspération de certains (encore que, dans l’absolu, la véritable Fanny Brice devait être assez proche du portrait qu’en fait, sur ce point, l’actrice). Pour le chant, je le trouve, de toute manière, absolument superlatif et je ne m’en lasse pas, même si la voix de Streisand est peut-être trop cultivée pour être celle d’une artiste populaire. Cela dit il serait ridicule de bouder son plaisir ou de dire que la mariée est trop belle : l’énergie vocale est bien, de toute manière, celle de l’ambitieuse prête à tout pour réussir. On vibre donc, on s’amuse beaucoup grâce à elle, cependant on n’est pas toujours touché, elle a des maladresses dans l’expression amoureuse, des incertitudes dans les scènes les plus dramatiques qui force la comparaison avec l’émotion générée par d’autres chanteuses et rien, par exemple, dans Funny Girl n’atteint ce que Judi Garland donnait dans les séquences les plus difficiles d’Une étoile est née. Enfin, quoiqu’il en soit, avec Funny Girl, une étoile était née, précisément, et ce n’est pas rien.

 

On peut comparer avec le parfait équilibre atteint par Joanne Woodward dans Rachel, Rachel. Encore une fois le film repose en grande partie sur son interprète féminine, institutrice qui pense qu’elle a gâché sa jeunesse et qu’elle est en passe de gâcher tout le reste (un rôle « à oscar », oui, d’une certaine manière, même si le traitement interprétatif est finalement plus mesurée que ce à quoi on pourrait s’attendre). C’est un film sérieux, aux enjeux graves. Mais l’interprétation de Joanne Woodward, d’une justesse et d’un réalisme remarquables dans les moments les plus émouvants, prend une dimension particulière dans le registre comique, qu’elle cultive pendant une grande partie du film, avec une modernité distanciée qui est celle du personnage (j’ai pensé beaucoup à … Renée Zellweger dans Bridget Jones. Les mimiques, les rires aussi, sont parfois si proches que je me demande si Zellweger n’a pas regardé le film avant d’immortaliser sa propre interprétation d’une graine de vieille fille) et qui lui donne quelque chose d’extrêmement attendrissant. On ne cesse de s’intéresser aux menues aventures de Rachel, en grande partie parce que Woodward nous les rend accessibles et importantes à la fois. Chaque moment, chaque détail est exposé avec clarté, alors que le film n’est pas particulièrement bavard (l’actrice a le droit de nous faire bénéficier de sa belle voix off qui nous guide parfois). Il faut évidemment prendre en compte la réalisation inspirée de Newman, mais celle-ci fait la part belle à l’expressivité de l’actrice et à sa capacité à nous raconter et à nous exprimer simplement tourments et plaisirs modestes liés à sa condition. Le réalisateur époux fait manifestement pleinement confiance à l’interprète épouse et tous les deux eurent raison puisque les prix plurent (Golden Globe et prix de la critique new-yorkaise, institution qui a toujours manifesté beaucoup d’enthousiasme vis-à-vis de l’actrice). Comme souvent pour les interprétations très réussies et pourtant peu démonstrative, il est difficile d’en dire plus, mais l’éloge est sincère et je pense que Woodward aurait pu être ma gagnante cette année là, même si je parle moins d’elle que d’autres. Concluons en disant qu’elle arrive à ne pas se faire voler la vedette par Estelle Parsons et ceci c’est déjà un exploit en soi.

Cette année j’aime beaucoup les citations aux Goldens Globes (outre Woodward et Streisand qui gagnèrent dans leurs catégories respectives et Hepburn et Redgrave qui furent nommées) : Lucille Ball particulièrement attachante dans Les tiens, les miens, les nôtres, Gina Lollobrigida dans un numéro irrésistible et taillé sur mesure (Buona sera, Mrs Campbell, pour lequel elle remporta un David di Donatello amplement mérité), Julie Andrews, spectaculaire dans Star de Robert Wise etc… il n’y eut pas de place pour Kim Novak, qui avait pris des risques pour La légende de Lylah Clare de Robert Aldrich, mais Beryl Reid, effectivement impressionnante, fut également nommée pour un autre film du même Aldrich, Faut-il tuer Sister Reyd. Aux rayons des actrices cultes on notera la  performance, souvent citée et justement, de Tuesday Weld, qui, dans Pretty Poison se révèle à mon sens plus intéressante que Faye Dunaway/Bonnie Parker. Mais je l’ai déjà dit. En attendant, voici mes choix, pas particulièrement originaux ou surprenants de ma part.

  • Gina Lollobrigida pour Buona sera, Mrs Campbell
  • Katharine Hepburn pour Un lion en hiver
  • Patricia Neal pour The Subject was roses
  • Vanessa Redgrave pour Isadora
  • Joanne Woodward pour Rachel, Rachel

 

 

 

 

 

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commentaires

K
<br /> « Je m’incline donc avec respect et admiration, comme je l’aurais fait sans doute devant la véritable Aliénor<br /> d’Aquitaine »<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Parce que vous imaginez qu'on vous aurait laissé approcher ?<br /> <br /> <br /> Je parie que vous n'avez même pas une paire de poulaines rouges !<br /> <br /> <br /> <br />
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