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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 17:11

 

 

Une fois n’est pas coutume, voilà le compte rendu d’un enregistrement qui vient de paraître.  Je guette, pour des raisons pas tout à fait obscures, le récital belcantiste de Simone Kermes, depuis l’annonce du programme, qui repose considérablement les yeux et changent de la palanquée des cartes de visites virtuoses et fourre-tout auxquelles on relègue les sopranos qui ne sont pas baroqueuses (le dernier récital italien et féminin intéressant était celui d’Anne Hallenberg). Mais où sont les neiges d’antan ? Un peu dans la voix pâle de Kermes, si l’on veut, pourtant peu séduisante, si l’on y pense. De la chanteuse, jamais vue en scène et connue simplement par un autre récital écouté d’abord pour son programme, je n’ai, dans l’absolu rien à dire. Mes seuls préjugés à l’écoute sont donc positifs : l’excellente idée d’avoir construit ce programme et de l’avoir confié à une voix disciplinée à autre chose qu’à Verdi … et en plus à une voix allemande ... gruberovesque peut-être ? Non. La singularité est proprement vocale et dans une certaine mesure technique (l’émission peut à la fois évoquer les chanteuses habituées du XVIIIème siècle et les voix légères et teutonnes qui chantaient Rosina ou Linda dans les années 50), pas stylistique ou dramatique.

Mais alors, quoi ? Eh bien, rien moins qu’un récital de studio parfait, si un tel objet est possible. L’adéquation entre le sujet, l’idée du disque, et la chanteuse s’impose. A tel point qu’il a fallu être réellement rétrograde pour ne pas le remarquer et que malgré le pied de nez fait ouvertement aux dogmes, les plus ronchons ont dû admettre, a minima que le résultat était écoutable. C’est le travail du studio de rendre possible des choses qui peut-être ne le seraient pas dans un autre contexte. Personne n’envisage que la chanteuse puisse donner sur scène, l’ombre d’une Odabella ou d’une Norma, du moins dans les salles et avec les orchestres d’aujourd’hui. Qu’importe. Elle peut dessiner les personnages, les croquer le temps d’un air ou d’une cabalette, dans les conditions qu’on lui offre et être avant tout et constamment (et à un point étonnant) musicale.

Simone Kermes ressemble beaucoup, physiquement, à notre Clémentine Célarié. Comme chez Gruberova ou Horne, il y a vulgarité naturelle dans le timbre ou plus généralement (ou en tout cas quelque chose qui a moi m’évoque la vulgarité), quelque chose d’un peu facile, que je n’arrive pas à expliquer. Ca me dérange dans Mozart (les deux airs de la Reine de la Nuit sont sans doute ce que j’aime le moins dans le disque, même si le premier regorge de bonnes idées), mais absolument pas dans Verdi. Boito disait lui-même que la distinction était l’inverse du génie (ce qui est discutable). L’évidence, la pétulance, le charme presque canaille ont ici des vertus et l’auditeur finit par se dire « Mais …  et si c’était comme ça qu’il fallait chanter ce répertoire ? » Le lecteur va croire à un pamphlet double, dirigé à la fois contre le bel canto romantique et contre Simone Kermes. Pas du tout. Il est possible, disons-le, d’aimer la vulgarité sans être soi-même plus vulgaire que la moyenne. Et il est surtout possible d’envisager qu’une dose légère, presque insoupçonnable, de vulgarité (dans l’esprit) soit indispensable à l’art. Un tout petit peu de coquetterie au détour d’une cadence, un soupçon de ralentissement « en trop » avant une reprise, un peu de nasalité, un grain de sautillement, un sentimentalisme affleuré n’empêche pas une interprétation d’être superlative.

Kermes semble avoir pris le parti de pousser les airs qu’elle défend dans leur dimension la plus simple, la plus offerte, la plus strictement musicale aussi. Ainsi Casta Diva et la prière de Pamyra ne sont pas liturgiques. Ils sont plutôt éthérés, fantomatiques, suspendus (mais jamais, et il faut lui rendre cette grâce, ils ne sont susurrés « alla Bartoli »), d’une légèreté de ballerine française, ainsi que la construction des airs le suggèrent finalement. Plus flute que la flute qui l’accompagne, droite (fixe même), la voix est cette fois toute blanche, plus rêveuse que mélancolique. Pas de vestiges cachés, pas de tragédies gluckistes. C’est là où l’on saisit le mieux l’intelligence du programme. « Quoi ? Norma ? » Non, pas « Norma » mais « Casta Diva » qui prend un sens différent hors du contexte dramatique de l’opéra, un sens auquel nous sommes déjà plus ou moins inconsciemment habitués, d’ailleurs. La rareté des couleurs, l’absence en particulier de la couleur « chair », serait plus préoccupante dans la romance d’Adelson e Salvini ou dans la section lente du grand air d’Amalia dans Il Masnadieri, parce que, paradoxe, c’est la jeunesse des personnages (que la clarté sans âge ne suffit pas à suggérer) qui pourraient venir à manquer. Kermes compense en exagérant la tendresse, la fragilité, de la matière vocale, le sourire mignon de la jeune fille. Comme accents, diction et nuances (tous parfaits) suffisent à dessiner et à varier la structure des airs en question, le choix du mièvre n’ennuie jamais, pas plus ici que dans les airs semi-seria de Donizetti, roucoulés et plein de roulades. Dans le Verdi-Jenny Lind, la cabalette est là pour assurer un parfait contraste rythmique. En un sens je pense que cette virtuosité rose convient mieux à l’artiste que les folies baroques ou classiques, même si la vélocité et le legato sont frappants dans la section rapide du premier air de la Reine de la Nuit. Curieux, évidemment et abondamment interrogés par la critique, Semiramide et dans une moindre mesure Attila, sont des triomphes de l’accent. Tout est dans l’intention, rien, à proprement parler, à part au niveau la virtuosité, dans la matière vocale. Pas guerrières, mais impétueuses. Semiramide soupire « verra … » avant de se livrer à de folles acrobaties, Odabella tranche dans la vif (parce que la voix est froide), fait des variations inédites, essaye de poitriner. C’est presque du jeu. Kermes ne peut pas esquiver le caractère de cette musique, ne peut pas lui rendre justice non plus. Elle le chante exactement comme on devrait le chanter avec des moyens supérieurs. La prise de son la sauve sans doute de justesse dans les dernières mesures. Mais le plaisir de chanter est palpable et se transmet à l’auditeur (lequel a, après tout, pu aussi s’essayer à des amusements similaires sous la douche, mais avec infiniment moins de probité technique). Cette interprétation simple de la musique, se retrouve à l’identique quand elle chante Monteverdi pour clore le programme. Aux traits virtuoses succèdent le quasi excès de mots et le raffinement fait sur une matière déjà fine.

Un mot de la jaquette et de ce qu’elle nous apprend sur l’enregistrement. Je la trouve personnellement plutôt belle et elle évoque à la fois les années 1810 qu’une partie du programme illustre d’assez loin et le néo-classicisme qui parfois apparaît dans les livrets belcantistes. On pense à Norma évidemment, mais aussi à Virginia de Mercadante, œuvre rare (la seule de son auteur que j’ai réellement appréciée), sombre et presque austère dans sa vigueur. Une cavatine fleurie et ardente (et chantée comme telle) de l’héroïne éponyme ouvre avec un certain éclat et quelques suraigus dardés (parfaitement), le récital. Un mot aussi (quand même) de l’accompagnement de Mueller : également parfait, avec exactement les mêmes qualités d’évidence et de phrasé que celles de la chanteuse, couleurs (abondantes et donc variées) en plus, avec la flute aérienne de Martin Sandhoff, qu’il faut absolument saluer.                

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commentaires

M
<br /> J'ai écouté l'extrait de Virginia par Kermes, beaucoup d'allure en effet. Je me suis risqué aussi à l'air du nembo (Adison et Vanzetti, un truc comme ça), on dirait l'air de quelqu'un<br /> qui imite Bellini, j'ai trouvé la musique soporifique, ou alors c'est la faute à Simone ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Une question que je me posais en réécoutant Kermes. À certains moments, on pense vraiment à Stich-Randall ("je ne suis pas avec vous, je chante dans un monde lointain où tout est construit et<br /> pourtant planant"), la densité du timbre en moins ; ce qui me gêne souvent avec Kermes, c'est l'impression qu'elle se pâme victime de vapeurs, voilà, le trip évaporé. Résistance ! Je<br /> vais réécouter Söderström en duchesse de Parme, tiens.<br /> <br /> <br />  <br />
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L
<br /> Oui, chez Opera Rara. Il faut que je réécoute avant d'en dire plus. Il y a, vous le savez, une espèce de courant néoclassique qui se prolonge dans les opéras italiens (il doit aussi y avoir une<br /> autre version de la Vestale ou alors un opéra homonyme). Ca peut faire rêver mais ça on a toujours peur du machin à roulades à l'opposé de Gluck et confrères. J'avais beaucoup aimé.<br />
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M
<br /> Je relis avec beaucoup d'intérêt vos remarques à propos de ce récital de la Simone. Cette Virginia de Mercadante pique ma curiosité : il y a une intégrale officielle ?<br />
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S
<br /> I love Paris, I live near Mercadante-Poissonnière<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=4VAF0TlhqyQ<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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U
<br /> PAN !<br />
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