Le Dauphin de France en prince charmant, bien avant de devenir le "gros Louis".
Enfant j’étais déjà snob. Il était logique qu’adolescent je devins royaliste. Cela eut sans doute des conséquences désastreuses pour ma popularité au collège (je portais en toute occasion un pin’s doré à l’or fin, en forme de fleur de lys). En contrepartie j’étais familier, à l’âge où l’on n’oublie rien, avec le nom de Grétry (sans connaître, cependant, la chaine fleurie de ses prénoms : André-Ernest-Modeste).
D’abord parce que le premier air de Blondel dans Richard Cœur de Lion (1786), « O Richard, ô mon roi », qui parle autant de royauté que de loyauté, servit de chant de raliement aux royalistes lors des heures les plus tourmentées de la Révolution. En 1791 circulait même une version adaptée aux circonstances : « O Louis, ô mon roi ».
Ensuite parce que lorsque Marie-Antoinette se présenta pour la dernière fois de sa vie à l’opéra c’était pour Les Evènements imprévus du même compositeur. Mademoiselle Dugazon, bravant la tourmente de l’hiver 1791 se tourna vers la loge de la reine en s’inclinant vers elle au moment de chanter : « Ah, combien j’aime ma maîtresse ». Tempête dans la salle. Noble impassibilité de la reine. C’était typiquement le genre d’anecdote qui exaltait quelque chose de presque patriotique chez moi.
Enfin au moment de la Restauration c’est un extrait de Lucille (1769) un des premiers opera comique de Grétry, sur un livret de rien moins que Marmontel, qui servait d’hymne bourbonien : le quatuor, si « drame bourgeois » pourtant, « Ah, où peut-on mieux être qu’au sein de la famille ?». A voir la famille royale en 1816, cette assemblée de monsieurs murs portant plus ou moins beau, entourant la duchesse d’Angoulème dont les années de prison, puis d’exil avaient dangeureusement entamé la blondeur, la chaleur, le sourire on ne peut pas s’empêcher de se dire que les paroles du quatuor prennent une insolite saveur ironique. Plus tard Vieuxtemps en fera le motif d’un concerto pour violon « Le Grétry ».
Ce ne fut pourtant par aucune de ces pièces que je fis connaissance réelle et musicale avec le compositeur, mais par une compilation de sucreries enregistrées par Beecham et qui comprenait entre autres une « suite de danses » de Zémire et Azor. Beecham disait (je cite de mémoire) que « la fraicheur et l’invention mélodique de Grétry n’ont été dépassées – ou égalées- que par Mozart. » On mesurera le compliment. Je fus plongé dès la première écoute dans un enchantement difficilement mesurable, en particulier par la grâce d’une contre-danse dont le galbe me semblait toucher à une perfection effectivement mozartienne. Plus tard, lorsque j’eu accès à l’intégrale EMI de cette version lyrique de La Belle et la bête (avec l’équipe habituelle, menée par Mady Mesplé qui pouvait vocaliser en souriant sa « fauvette » et son « écho »), je fus très déçu d’entendre une vision « sautillante » de cette même contre-danse, peut-être plus philologique mais, ô combien, moins poétique à mes oreilles.
Avant cela, et en toute ignorance, j’avais également fredonné « Je crains de lui parler la nuit » avec Maureen Forrester, insondable, immense, en ruines, mais en ruines romaines, en Comtesse de La Dame de Pique puisque Tchaïkovski, au prix d’un anachronisme et d’un changement de tempo, avait fait de l’ariette de Laurette, encore dans Richard cœur de Lion, le symbole d’un Ancien Régime disparu et, au passage, d’une jeunesse et d’une beauté également enfuies. Musique étrangement entêtante, d’ailleurs en dépit de de son apparence anodine.
Richard Cœur de Lion a bien été enregistré, toujours par Mesplé et Burles dans le rôle titre et avec un formidable Trempont en troubadour, dans les mêmes années que Zémire et Azor et L’Amant jaloux. Tout cela a été réédité dans la collection Opera Comique, Richard étant complété par Le Devin de village de Rousseau. Tout, ou presque et hors dialogues, peut s'écouter ici : link)
Passons outre le livret, dont la simplicité (pour utiliser le mot le plus aimable possible) ne peut que faire sourire aujourd'hui et permet de prendre avec un peu recul les beaux esprits qui prétendent que le XIXème triomphant de Gounod et Massenet fut le nadir des livrets d'opéras français. Sourions donc, mais profitons du sens évident de la prosodie de Grétry qui transforme en or tout les mots que sa musique touche.
L'invention mélodique constament juste, variée, protéïforme, des grands airs héroïques aux ariettes paysannes, rachète au centuple ce que l'opéra comique peut avoir daté, même si on est incapable d'en resituer les codes. Au coeur d'un même air chaque courbe mélodique à sa propre perfection intrinsèque, son harmonie. On pourrait même se perdre au milieu de tant de fleurs, ou bien, pire risquer d'en perdre une. Ainsi le premier mouvement de l'air de Richard "Si de l'univers entier m'oublie" suit la la chanson de Blondel et les ravissantes variations que Grétry a écrit pour l'orchestre et précède le célèbre duo des deux compagnons. On pourrait l'oublier. Il se situe pourtant au même niveau d'inspiration.
C'est d'autant plus remarquable que, contrairement aux grands compositeurs belcantistes par exemple, l'orchestration est aussi richement servie que les voix et que Grétry ne réserve pas ses idées uniquement aux chanteurs. Les couleurs les plus chatoyantes, la virtuosité aussi, sont d'ailleurs plutôt le fait de l'orchestre ( il suffira pour s'en convaincre d'écouter la ronde de Nuit du deuxième acte, mais avant cela les variations sur "Une fièvre brulante" ou "Que le sultan Saladin".) On peut imaginer que les créateurs de l'opéra comique étaient avant tout des acteurs, si on ne connaissait pas, en se tenant aux sopranos, les airs que Christine Eda Pierre a enregistré en studio ou encore le brillant "Je rompt la chaine qui m'engage" dont s'empara Sumi Jo, entre autres. Sans oublier les fantaisies de Zémire et Azor.
Laurette n'aura que son petit air et quelques interventions sobrement vocalisées qui tourne le personnage davantage du côté de ceux de la Dugazon, mais il semble que la compositeur, par espèce de paradoxe qui n'en est sous doute un qu'en apparence, ait toujours été particulièrement inspiré par la modestie vocale de ses interprètes : on peut donner toutes les fauvettes du monde pour les quelques notes de "Plus de dépit, plus de tristesse" des Deux avares que créa justement Dugazon. (Jean-Louis Dutronc, voulant, à son habitude être peu aimable, dira un jour de Von Stade qu'elle n'avait les moyens que "d'un dugazon," ce qui la disqualifiait pour Charlotte. Dommage que personne ne l'ait pris au mot et n'ait proposé un récital "opera comique" à la mezzo. Il est trop tard maintenant.)
Dans cette grâce d'inspiration constante je crois décidément bien, moi aussi (et après tout je suis en bonne compagnie), voir quelque chose de mozartien. Il y a dans un opéra de Grétry, dans ce Richard coeur de lion que j'avais particulièrement à l'oreille (parfois littéralement) en écrivant ces lignes, un parfum indéfinissable d'Ancien Régime (d'une partie de l'Ancien Régime, la plus aimable certe, la plus facile diront certains) rendu tout à coup d'une évidence, d'une présence, d'une immédiateté bouleversantes, en raison de leurs fragilités. Ecouter du Grétry c'est un peu voir revenir la duchesse de Chartes et madame de Genlis, le prince de Ligne et le duc de Richelieu, la comtesse Jules et la comtesse Diane, les pastels de Boze et les toiles de Gautier-Dagoty ...
Tchaïkovski et sa comtesse ne sont déjà plus si loin.
Par Gautier-Dagoty le duc de Chartres avant de devenir le duc d'Orléans, avant de devenir Philippe Egalité. Et la duchesse, une Bourbon-Penthièvre, dont le père fut le mécène de Florian. Ses cheveux blonds dénoués la récouvraient jusqu'aux pieds.