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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 20:12




Hier soir pour fêter Doris Day Arte avait choisi un étonnant film de David Miller, datant de 1960 : Midnight Lace (Piège à Minuit en VF). Ni une comédie musicale, ni une de ces comédies roses acidulées qui firent sa gloire dans les années 60. Un film noir ? Un "ennuyeux suspens" comme l'écrive Coursodon et Tavernier ? Un "thriller" à la sauce Universal ? Rien de tout cela en fait, puisque c'est justement en attendant un suspens d'un tel film qu'on est susceptible de s'ennuyer.

Doris Day joue une jeune (enfin ... peut-être un peu moins jeune que cela) héritière américaine, fraichement mariée à un homme d'affaire londonien. Un jour de brouillard anglais évidemment elle s'aventure dans un parc, s'y perd quelque peu et entend tout à coup une voix surgissant de nulle part, qui l'interpelle par son nom ("Mrs Preston") et lui annonce qu'elle va mourir. La malheureuse affolée rentre à partir de là dans une spirale infernale d'angoisse et de dénégation. La présence menaçante qu'elle sent dans la rue, à sa fenêtre et qui la harcèle au téléphone semble disparaitre systématiquement dès qu'un tiers s'interpose. Enfermée dans un somptueux appartement aux multiples ouvertures vers l'extérieur, coincée dans un ascenceur, entourée d'une multitude de relations inquiétantes et d'amis qui finissent par penser qu'elle est paranoïaque ou même totalement folle, l'actrice joue une partition redoutable avec maestria. La composante banale, yankee à se damner, de son personnage cinématographique rend encore plus émouvante l'angoisse qui la submerge, les troubles qu'elle ressent, la dépression qui l'atteint. Avec presque un unique sentiment à exprimer la variété de sa palette expressive dans ce registre étroit est remarquable et l'empathie qu'elle parvient à créer fait qu'on ne s'ennuie jamais devant la multiplicité de ses crises d'hystérie. On se serait simplement passer de sa dernière expression, quand le mystère est résolu, de libération (on n'échappe pas non plus au manteau resséré sur soi).

Mais reprenons : une femme et ses névroses n'ont jamais fait le sujet d'un film noir, dans lequel la femme est soi douce compagne soit mante religieuse, au sens traditionnel du terme. Une héroïne qui se sent menacée, une grande demeure qui peut se révéler inquiétante, en dépit de sa cheminée et de ses portraits de famille, le brouillard londonien, plusieurs silhouettes masculines inquiétantes ou en tous cas ambigües, dont celle du mari, joué par Rex Harisson et une question lancinante : est-elle folle à la fin? Sa fragilité féminine l'aurait-elle emporté sur la raison cartésienne ? 

Cela n'éveille-t-il pas un souvenir ? ....  Plusieurs même ..... Rebecca, Soupçon, Hantise, Le Chateau du Dragon pou reprendre simplement les titres les plus célèbres de ce genre bien oubliée aujourd'hui (encore que quelque tentatives plus ou moins ratées aient pu surgir ça et là, comme Apparence avec la tremblante Michelle Pfeiffer) : le "Gothic Female Movie". Oublié des cinéastes, mais sans doute pas des cinéphiles et surtout pas des cinéphiles féministes qui ne cessent d'interroger ces genres féminins, par exemple dans l'Hollywood héroïnes d'Helen Hanson.


En l'espèce le cadre contemporain n'est pas un empêchement à cette classification que nous proposons pour Piège à Minuit. Les premiers titres que nous citions partagent finalement ce cadre. Mais l'isolement des demeures dans lequel la nouvelle de Mrs Winters se perd, la robe longue de Mrs Denver, rendent flous sans doute, et c'était le but du réalisateur, une localisation spatio-temportelle précise. Piège à Minuit  est en fait au genre ce que les films de Sirk ont été aux mélodrames romantiques de Stalh : une vision transcendée (sans qu'il soit question de qualité évidemment) et transposée et urbanisée. Autrement dit il s'agit d'une production Ross Hunter : la photographie est spectaculaire, Doris Day change de costume à chaque scène, un beau jeune (plus jeune que cela) homme (John Gavin spécialiste de la question) la courtise et une charmante star sur le retour la couve de son affection (ici Mirna Loy). La production est d'un luxe constant, musique et cadrage à l'appui. Tout est fait pour faire rêver, procurer dépaysement romanesque. Et bien entendu il y a la couleur qui transforme chaque topoï du genre. Pensez-y un brouillard en technicolore ! 
Reste que ces topoï sont bien présents et visuellement aussi : il n'y a qu'à voir la manière dont les rideaux frémissent et se soulèvent de manière inquiétante pour savoir qu'on est bien là dans un Gothic Female Movie. Un avatar ultime et frontalier en quelque sorte, mais pas le moins intéressant du genre. 

Les genres étant fait pour être transgressés Piège à Minuit n'est pas le seul film qui va brouiller notre perception d'un style de film extrêmement codifié. La promenade ne manque pas d'intérêt.

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