Hélas on connait davantage Marguerite.
Je n’avais jamais vu danser madame de Nevers, et j’avais un violent désir de la voir, sans en être vu, à une de ses fêtes où je me la représentais si brillante. On pouvait aller à ces grands bals comme spectateur ; cela s’appelait aller en beyeux. On était dans des tribunes, ou sur des gradins séparés du reste de la société ; on y trouvait en général des personnes d’un rang inférieur, et qui ne pouvait aller à la cour. J’étais blessé d’aller là ; et la pensée de madame de Nevers pouvait seule l’emporter sur la répugnance que j’avais d’exposer ainsi à tous les yeux l’infériorité de ma position. Je ne prétendais à rien, et cependant me montrer ainsi à côté de mes égaux m’était pénible. Je me dis qu’en allant de bonne heure, je me cacherai dans la partie du gradin où je serais le moins en vue, et que dans la foule on ne me remarquerait peut-être pas. Enfin, le désir de voir madame de Nevers l’emporta sur tout le reste, et je pris un billet pour une fête que donnait l’ambassadeur d’Angleterre, et où la reine devait aller. Je me plaçai en effet sur des gradins qu’on avait construits dans l’embrasure des fenêtres d’un immense salon ; j’avais à côté de moi un rideau, derrière lequel je pouvais me cacher, et j’attendis là madame de Nevers, non sans un sentiment pénible, car tout ce que j’avais prévu arriva, et je ne fus pas plus tôt sur ce gradin que le désespoir me prit d’y être. Le langage que j’entendais autour de moi blessait mon oreille. Quelque chose de commun, de vulgaire, dans les remarques, me choquait et m’humiliait, comme si j’en eusse été responsable. Cette société momentanée où je me trouvais avec mes égaux m’apprenait combien je m’étais placé loin d’eux. Je m’irritais aussi de ce que je trouvais en moi cette petitesse de caractère qui me rendait si sensible à leurs ridicules. […] Madame de Nevers entrait à ce moment. […] Elle s’avança, et elle allait passer près du gradin sans me voir, lorsque le duc de L. me découvrit au fond de mon rideau, et m’appela en riant. Je descendis au bord du gradin, car je ne voulais pas avoir l’air honteux d’être là. Madame de Nevers s’arrêta, et me dit : « Comment ! Vous êtes ici ? – Oui, lui répondis-je, je n’ai pas pu résister au désir de vous voir danser ; j’en suis puni car j’espérais que vous ne me verriez pas. »
Edouard
Claire Louisa Rose Bonne, duchesse de Duras, née de Coëtnempren de Kersaint