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20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 19:41

 

Voilà je crois le récital lyrique qui a l’histoire la plus jolie de l’histoire du disque. Un jour, par hasard, un monsieur Natale (Noël) Gallini a découvert chez un antiquaire « un album de musique » préparé par Rossini et offert à « Mademoiselle Louise Carlier ». Il n’y a rien de romantique là dedans, c’était simplement la fille de son éditeur d’alors. L’album était daté de mars 1835. Il faut comprendre ici le principe de « l’album de musique. » Rossini ne s’est pas contenté de rassembler des pages éparses. Il a demandé à chacun des musiciens de passage à Paris de lui offrir une composition (plus ou moins originale.) Ce qui donne à chacune des pièces figurant dans le disque une singularité profondément émouvante, qu’elle soit signée par Rossini ou par Bellini, Cherubini, Paer, Mercadante, Meyerbeer, Cherubini, Spontini, Louise Bertin et j’en passe (de moins connus). Monsieur Noël ne s’est pas arrêté là : il est manifestement fortement impliqué dans l’enregistrement qui a été fait des partitions de l’album, en 1956, en Italie. Une coquetterie musicale reconstruite en studio qui anticipait sur les  amusements de Bonynge et sur les travaux d’Opera Rara. C’est Suzanne Danco qui se chargea de tout chanter (même si l’album était en fait destiné à des tessitures variés), accompagnées par Molinari-Pradelli. Ce disque, réédité en compact dans les années 90, m’interrogeait tout particulièrement quand je compulsais le catalogue Philips, car je ne comprenais pas le titre. La photographie sur la couverture, Danco en train de chanter, une image très naturelle et pas particulièrement flatteuse, m’évoquait une institutrice à la fois sévère et inspirée (j’adore son chignon blond). La découverte récente et enfin direct du programme n’est pas propre à dissiper les brumes de la mélancolie. C’est donc ça la musique que l’on jouait dans la bonne compagnie, au début du XIXème siècle. Des berceuses qui ont l’air vaguement mortuaires (« Ah, dors en paix, mon bel enfant » de Louise Bertin), des chants d’amour et de souffrance au clair de lune (le célèbre « Dolente immagine » de Bellini qu’il n’a pas réinventé pour mademoiselle Louise Carlier), des airs joyeux mais absolument fugaces (« Air à Trois notes » de Henri Berton qui dure 39 secondes et ressemble à une plaisanterie musicale), des œuvres néoclassiques (« La pietosa bugia » de Cherubini), des romances débordantes de spleen (« L’Adieu » de Spontini où l’accompagnement pianistique est particulièrement beau.)

Mais comment faisaient les jeunes filles balzaciennes pour arriver au mariage encore entières en plus d’être vierges ? Espérons qu’elles n’avaient pas la sensibilité de Danco qui chante ces pages comme si sa vie en dépendait (« Ange à la voix tendre » de Paer déborde d’amour et de chaleur, malgré la mièvrerie, qui défie la raison, des paroles ; "Aure amiche" de Mercadante devient quasiment tragique au détour d'une mesure, à force d'intensité). Sans ironie, ni second degré, toute pleine de respect et de tendresse, sans accents appuyés, sans tremolo, alors que les textes pourraient s’y prêter très bien (on imagine une Bartoli là dedans). Quand elle chante une simple romance elle y met quelque chose de si intimement poignant, de si noble, qu’on en ressort absolument édifié sur une musicalité à juste titre légendaire. « Dante dans le paradis » d’un certain Georges Onslow (le livret d’accompagnement donne les informations essentielles à propos des œuvres et des compositeurs) est par exemple chanté plutôt comme une prière que comme une pièce profane, ce qui est un choix tout indiqué, au vue du thème de l'air. Et le Bellini est, ce qu’il doit être, ineffable. Le français (qui concerne environ la moitié des œuvres offertes dans l’album) est évidemment divin, pas pointu (et donc pas daté), et d’ailleurs pas toujours d’une netteté absolu, mais varié en voyelles et en couleurs : qualité indispensable pour faire avancer et palpiter la musique. L’italien est moins évident, très francisé à certains moments, un peu gênant, surtout au début, quand on s’y attend pas (et le Rossini qui ouvre le bouquet est redoutable de virtuosité de ce point de vue). Ca n’empêche pas la grâce dans le « chant populaire toscan », d’ailleurs donné sans rusticité ni faux parfum folklorique, mais vif, mobile, animé, comme il se doit. Il est difficile de préciser ce qui fait le charme, vraiment délicieux et émouvant, de l’interprétation de Suzanne Danco, chanteuse certes naturellement mieux dotée en timbre, en tranchant, en éclat, en clarté que d’autres. Mais c’est va encore au-delà des qualités vocales, très évidentes. On a simplement l’impression que c’est idéalement ainsi que ces pièces doivent être données au public : sans langueur dans le rythme, mais avec une langueur dans le ton, sans soupir exprimés et bruyants, mais avec des soupirs racontés dans les nuances et avec l’éloquence des notes et des mots livrée toute nue, mis en valeur par le tact, vertu nécessaire et même indispensable et qui ne s'apprend pas. Comme pour du lied. C’est ainsi que l’inoffensive littérature de salon devient un des visages possibles du romantisme en musique.      

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commentaires

M
<br /> "Comme pour du lied. "<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Eh bien, justement, Audite vient de publier l'interprétation (inédite ?) par Suzanne Danco du cycle des Jardins<br /> suspendus de Schoenberg, avec au piano Hermann Reutter (excusez du peu).<br /> <br /> <br /> C'est dans un coffret de 4 cd d'archives (1950-1965) consacré à la Seconde École de Vienne, il n'y a<br /> que du beau monde, par exemple le Quatuor Vegh dans la Suite lyrique de Berg, Magda Laszlo dans les 7 lieder de jeunesse du même, Fricsay dans la Suite de Schoenberg, etc. Les extraits du Pierrot<br /> Lunaire laissent présager une interprétation exceptionnelle (Irmen Burmester).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> Je l'adore dans Shéhérazade, peut-être parce qu'elle n'a pas la "sensualité" affichée au milieu du timbre, n'empêche elle est à la fois ultra-précise et parfaitement onirique, évasive et<br /> présente. Extraordinaire aussi dans les 3 Poème de Mallarmé, du même Momo.<br />
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L
<br /> Vous savez que je la découvrais presque par ce disque ? En fait c'est sur classik que je l'ai entendu en Mélisande. J'ai été renversé (pour le coup voilà une légende qui se tient toute seule) par<br /> la beauté du mot et de la voix. En fait elle m'a évoqué Victoria de Los Angeles, mais sans les faussetés ou les tensions. Je ne sais pas pourquoi ... une question de timbre d'abord, sans doute.<br /> <br /> <br /> Je l'ai entendue aussi en Donna Anna je pense, peut-être même en Chérubin, mais il n'y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre et je n'avais pas le temps alors<br /> de m'intéresser à elle.  <br />
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M
<br /> "sans langueur dans le rythme, mais avec une langueur dans le ton, sans soupir exprimés et bruyants, mais avec des soupirs<br /> racontés dans les nuances et avec l’éloquence des notes et des mots livrée toute nue, mis en valeur par le tact, vertu nécessaire et même indispensable et qui ne<br /> s'apprend pas"<br /> <br /> <br /> BRAVO, bravo pour tout d'ailleurs.<br /> <br /> <br /> Je ne connais pas cet album, mais vous parlez si bien de Danco. Vous connaissez son Chérubin (studio Kleiber) ? C'est étonnant<br /> ce qu'elle arrive à faire avec une voix qu'on n'imagine pas faite pour ce caractère (déjà que Donna Anna est plus grande dame anorexique et hautaine que de raison… mais enfin Donna Anna est "une<br /> demi-idiote") : prodige d'intelligence sensible, de musicalité, d'exactitude, de style<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pour la photo d'institutrice, vous ne pensez pas à Elie Semoun ? … ok ok je n'ai rien dit.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Et pour "Dante dans l'enfer", c'était par Caballé non ?<br /> <br /> <br /> <br />
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