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23 août 2012 4 23 /08 /août /2012 17:15

 

 

 

Schubert pour Schubert, et puisque je parlais de Sainte Gruberova il y a peu, je dois reconnaitre que l’écoute du disque Orfeo (un live de 1972), où Gundula Janowitz se confronte à un programme consacré au divin Frantz et à son ami Anselm Huttenbrenner, fait pâlir l’étoile de la ruisselante Slovaque. Par comparaison disons que Gruberova, aussi imaginative et intéressante soit-elle ne s’efface jamais derrière la musique pour des raisons assez simples de technique vocale. Or, on le sait, le propre des très grands est de réussir à flotter un tout petit peu au dessus de ce qu’ils chantent ou jouent (à ne pas se faire oublier, en bref) tout en restant derrière leur partition, qu’après tout ils sont d’abord appelés à servir (non pas nécessairement, à mes yeux du moins, au nom d'une doxa de la création de toute manière difficile à définir dès qu’il s’agit du volume, de timbre ou de technique, mais bien à celui de la volonté artistique et poétique du compositeur). Janowitz, si immédiatement reconnaissable pourtant de vibrato comme de couleurs et de plénitude, certes en phase avec un instrument absolument glorieux à cette époque, fait d’abord du Schubert (ou du Hüttenbrenner, c'est-à-dire du Schubert au petit pied) avant de faire du Janowitz. Je ne pense pas d’ailleurs que ce soit conscient de la part de l’une ou de l’autre. Simplement les maniérismes (que je trouve toujours prenants) de Gruberova ne sont peut-être pas naturellement en accord avec la musique romantique allemande (alors qu’ils sont, pour moi, toujours fascinant à force de brisures dans le Bel Canto ... parfaitement). La franchise, la netteté, la simplicité pour dire les choses clairement, de la projection et de l’émission de Gundula Janowitz sont, comme par miracle, déjà schubertiens. D’une certaine manière, elle se rapproche là de voix a priori plus incarnées (je pense à Jurinac). Mais la texture vocale de Janowitz, si transparente soit-elle, est en fait d’une richesse et d’une stabilité enviables. J’ai toujours eu l’idée qu’elle n’était elle-même que dans les rôles limites de son répertoire : en Léonore, en Elisabeth de Valois, en Impératrice (phénoménale et dont on ne parle pas assez) … alors que Mozart, par exemple, la voit souvent bellement sonore et placide. Or, alors que je la découvre, pour ainsi dire (et je remercie Monsieur Taupe et sa passion pour Hüttenbrenner) dans ce répertoire du lied (je connaissais d’elle uniquement les Quatre derniers lieder avec Karajan que je n’aime pas beaucoup et qui sont disqualifiés par l’orchestre), je me rappelle sa Maréchale avec Prêtre, rapide, vive et vivante et très féminine. La compréhension intellectuelle, la facilité, le naturel, la sensibilité dont fait preuve de manière éclatante Janowitz dans ces pages, émotionnellement ambitieuses, me font revoir ma position : peut-être s’agit-il d’une chanteuse plus atone en italien (mais son Elisabeth …), peut-être est-elle irrégulière dans son investissement … peut-être que c’est le répertoire classique qui, contrairement à toutes les apparences, ne lui sied pas. Or là je défie toutes les chanteuses réputées plus cérébrales ou plus émotives d’être à la fois plus exactes et plus entières que notre soprano dans le caractère de ces pages. Rien ne lui échappe (et le programme, varié, est exigeant) : la franchise encore, la rondeur aussi, dans les choses pseudo folkloriques (« Frühingsliedchen » ou « Die Sterne », tous les deux de Hüttenbrenner, variés en nuances mais d’abord entrainants et joyeux) pas plus que l’intensité (« Atys » peut-être le sommet du disque avec le lied fleuve de la fin, qui ne cesse de haleter, de s’interroger en conservant un legato fabuleux, un son d’une richesse encore profuse … souvenir de Jurinac là aussi ?) Ce qui pourrait faire défaut dans le programme, c’est peut-être la tendresse d’une Seefried. Non pas la voix paraisse froide de timbre finalement (contrairement à sa réputation, une telle splendeur ne donne pas l’impression du froid), mais on dirait parfois que le très humain, le très amoureux, le très mélancolique lui échappe un peu. C’est peut-être le contrôle de l’émission qui me donne ce sentiment, mais, par exemple, dans « Der Fluss », je n’avais pas tout à fait l’impression d’être avec le poète. Finalement le morceau de résistance le grand lied « cantate » de 21 minutes (!!!!) « Einsamkeit » lui va admirablement bien. Elle est reste aussi nuancée (les dernières mesures sont merveilleuses avec des sons piano éthérés qui fondent une partie de sa séduction vocale), aussi attentive, aussi subtile que partout dans le disque, mais la longueur (pourtant un handicap à la base) m’a donné le sentiment que chaque strophe était un peu plus métaphysique que la précédente. Le sérieux à l’allemande, la concentration, l’honnêteté, quelque chose de très noble et surtout de très spirituel, la conduisent à chanter cette partie comme de la musique liturgique. Et l’ampleur, l’ambition encore, de l’ensemble, lui vont à merveille, y compris vocalement. On se détourne cette fois-ci résolument de l’humain pour accéder à l’angélique (et pas à l’angélisme dont on l’a beaucoup crédité) et le ton n’est pas tant tragique que fervent. Beaucoup de grandeur dans beaucoup de voix.

(PS) Décidément innocent de toute tendance germanophone, je me suis simplement décidé à lire le livret d’accompagnement (je découvre une traduction anglaise.) Voilà ce que je lis à propos du monstre. « This is one of the most wide-ranging song compositions that Schubert has left us, a kind of Lied seris out of six philosophical strophes by his friend Mayrhofer.”  Un lied philosophique. Précisément ce que l’artiste avait réussi à me faire sentir, malgré la difficulté du projet. Décidemment, car je réécoute ces immensités de musique, je ne m'ennuie pas du tout, alors que la première écoute fut difficilement digeste.   

 

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commentaires

M
<br /> En mai 1971, Janowitz a donné un récital Brahms et Debussy (!) à Munich. Le critique Ivan Nagel a écrit à cette occasion : « Gundula J. chante de telle sorte que les anges pourraient apprendre<br /> d'elle ; mais les lieder de Brahms, une fois pour toutes, ont été écrits pour des voix humaines. »<br /> <br /> <br /> Ce fourbe d'Everding propose cette citation à "Frau Kammersängerin" dans son entretien avec Janowitz, visible sur le Tube. <br /> <br /> <br />  <br />
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M
<br /> Message d'un rescapé<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'ai écouté, en entier, le disque de lieder tout Hüttenbrenner. Non seulement le chanteur est d'une monotonie effarante, mais je crois n'avoir jamais entendu un chanteur aussi nul dans du lied<br /> enregistré. Pas de voix, pas de dynamique, pas de relief, rien. Ça susurre un peu, ça marmonne gentiment, ça grisouille. Éprouvant. Dommage, certains lieder pourraient bien "rendre", mais pas son<br /> Roi des Aulnes, plus inoffensif tu meurs.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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M
<br /> Mais non, ce que vous aviez écrit était clair et pénétrant. Inspirant même !<br /> <br /> <br /> "Gundula, wie gut Sie ist !"<br /> <br /> <br /> Et puis grâce à elle nous avons désormais "Quand elle est simple, elle est simplement flasque", qu'il faut graver et au besoin réemployer. C'est un décasyllabe impeccable, en plus. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je n'avais pas relevé ce que vous dites en la comparant à Seefried : "le très humain, le très amoureux, le très mélancolique lui échappe un peu". Ça aussi c'est profondément juste à mon avis. Ce<br /> serait la reine des limitations expressives. Ce qui pourrait expliquer qu'on la trouve à la fois sublime et assez Biedermeier, mais je ne vais pas recommencer avec Hüttenbrenner.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En tout cas je ne lui trouve rien d'abstrait, rien du tout. Le génie de l'abstraction, c'est Stich-Randall. Mais si je trouve à Janowitz quelque chose de plus inquiétant (encore une fois, Armida<br /> de Haydn), c'est par son côté "eau dormante" (pour embrayer sur votre métaphore). Pour ce que je disais du côté "bonne fille", je songeais par exemple à son Arabella, que je trouve vraiment<br /> décevante, sans l'ironie adéquate, sans l'ambiguïté qui conviendrait. Même pour Eva des Meistersinger, chantée à ravir, avec un autre style de liturgie pour le Quintette, il manque à mon sens<br /> quelque chose de plus "humain", de plus têtu, qu'avaient différemment Seefried, Grümmer ou Popp.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je me disais aussi que le genre de spiritualité que vous lui trouvez ("Einsamkeit" liturgique, c'est très juste) peut expliquer qu'on trouve Janowitz ennuyeuse ou soporifique, c'est toujours le<br /> risque. C'était un débat classique à propos de son Elsa (je ne connais pas la version Kubelik d'ailleurs) : jusqu'où Elsa est-elle chantable comme une figure de vitrail ? J'ajoute qu'elle peut se<br /> montrer, dans un autre cadre, étonnamment spirituelle, je veux dire pleine d'esprit : par exemple avec le lied "Die Männer sind mechant", parfaitement dosé dans le comique (coffret Schubert DG).<br />
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L
<br /> "<br /> <br /> <br />  Il est vrai que Schubert pouvait le mieux flatter la poésie contemplative et le coulant propre à Janowitz, avec aussi le bénéfice de sa mélancolie évasive. Pas un hasard sans doute si "Im<br /> Freien" pour commencer lui va si bien, et d'ailleurs elle commençait souvent ses récitals avec ce lied : il lui permet cet équilibre entre la clarté, la subtilité du mouvement et la rêverie.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Pourtant, comme vous le signalez, le sommet du programme est en effet Atys, sur un de ces poèmes néo-grecs de Mayrhofer, dont elle donne une interprétation stupéfiante et parfaitement dosée, d'un<br /> dramatisme contenu qui est l'esprit même de la page. Elle y déploie une véritable éloquence, qui n'est pourtant pas sa qualité première en général. Cependant, en réécoutant le coffret DG, j'ai<br /> été étonné du relief et de la tension qu'elle donne aux grandes ballades comme La Plainte d'Hagar ou La Plainte de Cérès (Schiller) : alors que dans mon souvenir Cheryl Studer (récital tout<br /> Schubert DG, avec Gage) animait admirablement ce dernier lied, elle doit céder à l'ardeur et à la variété de Janowitz. Variété qui tient moins (il me semble) à une imagination du texte proprement<br /> dite qu'à une imagination du son, de le couleur, de la vibration.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Raison pour laquelle aussi, dans ce live de 1972, elle réussit un Dieux de la Grèce (Schiller toujours) aussi phénoménal. Le poème exhale la nostalgie d'un univers perdu, lyrisme suspendu et<br /> douleur sourde, or Janowitz le rend sensible par la subtilité de sa domination du son, de la résonance, du galbe. C'est au-delà du débat tarte-à-la-crème "angélique vs incarné". C'est totalement<br /> jouissif vocalement mais elle fait entendre une inquiétude spirituelle qui porte loin. Ça peut sembler paradoxal, tant Janowitz semble parfois somnoler dans sa propre splendeur, mais là, je<br /> trouve, c'est vraiment le trouble secret dans la splendeur. Vous me suivez ? Non ? !<br /> <br /> <br /> En cela aidée aussi par le caractère si spécial du timbre : Anne Andreu (si je me rappelle bien) parlait à propos de ses 4 derniers lieder avec Karajan de "voix de la Sirène", et je crois<br /> profondément qu'il y a de ça chez Janowitz, c'est sa dimension mythologique, alors qu'elle peut être si "bonne fille" d'ailleurs. Pour cette raison, je n'aime ni sa Pamina ni sa Comtesse Almaviva<br /> en studio, et pour la même raison je trouve son Armida de Haydn (dernier acte) subjugante."<br /> <br /> <br /> Je suis ému : d'une part je suis heureux de voir que vingt lignes d'article suscitent vingt lignes de réponses .... mais par ailleurs je reste, monsieur, votre humble serviteur. Vous<br /> avez dit à peu près et bien mieux que moi ce que je voulais essayer de dire. (Et je ne parle simplement des informations, mais bien des apprécisations).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Tout me semble exactement vrai dans ce que vous dites, en particulier ceci : " une imagination du son, de la couleur, de la vibration." C'est exactement ça, en effet, dont elle se montre ici<br /> capable et le mot imagination n'est pas trop fort. Finalement elle est (pardonnez moi la prétention de la métaphore) comme une rivière qui coule, toujours identique et toujours différente,<br /> d'une mesure à l'autre.<br /> <br /> <br /> Je garde mon "angélique" quand même, parce qu'il y a dans sa voix quelque chose d'à la fois pas très humain (je l'ai beaucoup dit, d'ailleurs, en revanche, je ne perçois pas vraiment "la<br /> bonne fille" chez elle. Quand elle est simple, elle est simplement flasque) mais qui reste bienveillant. Vous ne suivez plus non plus, là, j'imagine. Bon et bien comparez avec Stich, à<br /> laquelle la vibration et la couleur peuvent faire penser (on a beaucoup fait la comparaison, pas vraiment en faveur de Stich) mais qui est plutôt séraphique, pour le coup : elle<br /> tempête, elle annonce et elle fait un peu peur. Janowitz n'inquiète jamais, quand bien même elle est inquiète. Elle n'est que douceur et bonté. Absente, mais pas abstraite. En tout cas<br /> spirituelle, oui, c'est certain.   <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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M
<br /> Rectificatif :<br /> <br /> <br /> Au Festival de Salzbourg 72, Janowitz chantait sa fameuse Fiordiligi avec Böhm et Fassbaender pour la première fois, mais ce n'était pas son premier récital à Salzbourg, puisque (je le découvre)<br /> elle avait chanté le cycle marial de Hindemith dès 1970, pour le reprendre toujours avec Gage en 1981 (un 15 août les deux fois…).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> 3e récital en 1974 : Liszt et… Debussy (Fêtes galantes, Proses lyriques)<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> 4e récital en 1976 : tout Schubert, avec des tubes cette fois : détail ICI<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sa dernière apparition à Salzbourg, ce fut Ariadne, où elle succéda à Behrens dans la mise en scène de Dieter Dorn en 80 et 81 (avec Trudeliese, Grubi et James King, Böhm mourut entre les deux<br /> étés).<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Par ailleurs, Janowitz a déclaré en interview il y a peu que lorsqu'elle a chanté Leonore dans Fidelio avec Bernstein à Vienne en 1978 (il en reste à la fois un enregistrement cd et une<br /> vidéo officielle), le chef était tout à fait hostile car il aurait préféré Gwyneth Jones, de sorte que le travail fut vraiment difficile. Mais surtout Karajan fut vexé que Janowitz ose Fidelio<br /> sans lui, et le lui fit payer : plus jamais il ne la demanda, alors qu'elle avait été son soprano-fétiche. Mais Anna Tomowa-Sintow était déjà en lice.<br /> <br /> <br />  <br />
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