C'est en contemplant la couverture de L'Age de la conversation de Benedetta Craveri, dans l'édition française de 2002, que le portrait de Madame Adélaïde par les frères Heinsius s'est révélé à moi. Voilà pour la couverture.
Je vous livre ici le portrait (que je ne connaissais, dont je n'avais même pas entendu parler et qui est conservé à Versailles). Comme les lecteurs de ce blog sont nécessairement des personnes cultivées, vous aurez noté, tous, qu'il s'agit d'une représentation tardive de la princesse (on ne reconnait d'ailleurs pas vraiment l'enchanteresse créature peinte par Nattier vingt ans auparavant), en jettant un oeil à la coiffure, élaborée, haute et lourde, du modèle. C'est le règne de Louis XVI, pas celui de Louis XV, auquel nous sommes renvoyés par le biais de cette image.
Et pourtant, un souvenir lancinant, datant du milieu du XVIIIème siècle, j'en suis sûr, s'impose à vous. Cette robe rouge, bordée de fourrure noire, ces manches en dentelle, au niveau du coude, cette "marmotte" qui va,depuis les cheveux poudrés, se nouer sur la poitrine, ce regard lointain, porté loin du peintre et du public, ce bras replié, ce fauteuil fleurdelisé pour un tableau qui, quoique manifestement intime, nous rappelle le rang social de la princesse-modèle ... Bon sang ! Mais c'est bien sûr. C'est une copie manifeste du célèbre portrait de Marie Leszcynska par Nattier (1748). Rappelez-vous :
Le peintre, en faisant de la fille de Louis XV, un double de la reine, a poussé la délicatesse jusqu'à lui faire rencontrer le regard de sa mère, si par hasard les deux tableaux étaient placés l'un à côté de l'autre. Le Nattier, un classique indétronable dès qu'il s'agit d'évoquer la féminité sous Louis XV, a encore été utilisé récemment, lu aussi comme couverture, pour le catalogue de l'exposition (qui s'était tenue à Fontainebleau) "Parler à l'âme et au coeur : la peinture selon Marie Leszczynska".
Si l'on déplie le temps dans l'autre sens (on s'amuse comme on peut) on constatera que ce phénomène de miroir avait déjà affecté la reine. Un de ses premiers portraits officiels, par François Stiémart (longtemps attribué à Pierre Gobert) la représentait ainsi :
Et depuis longtemps les historiens et les historiens de l'art avait noté que, par commande expresse du roi, la posture du modèle (sans parler du cadre) était copiée sur celle adoptée par la duchesse de Bourgogne, mère de Louis XV (et qu'il n'avait pratiquement pas connue) sur ce tableau de Santerre :
Je vous laisse maintenant réfléchir aux abîmes freudiens, dans un sens ou dans un autre, que tout cela ouvre à l'amateur du XXIème siècle.