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30 juin 2012 6 30 /06 /juin /2012 07:50

 

C’est ce qu’on pourrait appeler un choc des titans. A ma gauche Susan Hayward, cinquième nomination, lauréate, trois ans auparavant, du prix d’interprétation à Cannes pour une des performances les plus commentées des années 50, spécialistes des rôles les plus dramatiques du répertoire. A ma droite Rosalind Russell, glorieuse aînée de la première, survivante de l’âge d’or d’Hollywood, actrice comique par excellence, partie se réfugier et triompher au théâtre dans les années 50 et grande favorite pour l’oscar en 1947, pour Le Deuil sied à Electre (ceux qui suivent la partie « Oscar du Blog » savent ce dont je veux parler). Entre les deux, trois concurrents qu’on imagine plus distantes et presque apeurées, malgré le prestige de leurs noms. Ce qui nous donne en 1958 :

·         Susan Hayward pour Je veux vivre (Robert Wise)

·         Deborah Kerr pour Tables séparées (Delbert Mann)

·         Shirley MacLaine pour Comme un torrent/Some Came Runing (Minelli)

·         Rosalind Russell pour Ma Tante/Auntie Mame (Da Costa)

·         Elisabeth Taylor pour La Chatte sur un toit brûlant (R.Brooks)

Depuis dix ans Susan Hayward menait la carrière la plus ouvertement « oscarisable » de Hollywood. Si elle ne dédaignait pas un western ou un péplum de temps en temps elle se consacrait avec une dextérité qui épuisait les producteurs à dénicher les rôles les plus exigeants et les plus prestigieux. Ce ne sera qu’en 1958 donc que l’Académie, après quatre nominations infructueuses, devait la récompenser, avant de l’abandonner définitivement. Elle avait raflé, dans Je veux vivre, puissant drame judiciaire à l’atmosphère curieusement jazzy, le personnage d’une condamnée à la chaise électrique que l’on suivait depuis ses débuts comme délinquante jusqu’au couloir de la mort. C’était une histoire vraie, un sujet d’actualité, un personnage que les scénaristes avaient transformé en victime sympathique : bref, un rôle en or, qui portait sur ses épaules des kilomètres de métrage. Susan Hayward s’empara de l’ensemble avec sa voracité coutumière et proposa un portrait d’une vitalité exceptionnelle, dès les premières images du film. Certes on ne peut pas réellement parler de renouvellement : Hayward avait déjà, trois ans plus tôt laissé, ses tripes sur la table dans Une femme en enfer et se montrait d’autant plus remarquable que le film de Daniel Mann était nettement moins créatif que celui de Robert Wise. Les éléments, dans le jeu de l’actrice, sont à peu près identiques : puissance, intensité et caractère très terrien, ce qui convient parfaitement au caractère de l’héroïne de Je veux vivre. Peu de comédienne aurait pu en effet suggérer aussi bien le mélange de vulgarité et de superbe au rabais de l’actrice. L’insolence crâneuse, la provocation lui semblent congénitales, autant que la dureté dont elle fait preuve et dont elle ne se dépare jamais complètement. On dirait qu’elle domine tous les personnages qu’elle croise et on comprend d’autant plus le crédit de sympathie dont elle paraît bénéficier auprès de ceux qui l’entoure.  Plus qu’à Davis, à laquelle on l’a beaucoup comparé, c’est plutôt à Crawford que l’actrice fait penser, une Crawford plus souple et en apparence plus spontanée. De manière similaire d’ailleurs l’actrice ne semble pas très à l’aise avec les enfants et les scènes avec son fils manquent quelque peu de naturel (elle a une façon de l’empoigner qui fait craindre pour la santé du petit). Quoiqu’il en soit je suis heureux que Susan Hayward ait été récompensée, même si ce n’est pas pour la performance que je préfère chez elle, pour un film de cette qualité et qui lui offrait une dernière scène admirable où elle se montrait brutalement d’une sobriété et d’une dignité dans le pathétisme exemplaire.

C’est un peu la sobriété et la dignité qui manquent à la pourtant généralement merveilleuse Deborah Kerr dans Tables séparées. Il est vrai que le rôle était particulièrement caricatural : elle interprétait, littéralement, une vieille fille hystérique dans un film choral où son rôle aurait d’ailleurs pu être considéré comme secondaire. Quelque chose dans sa présence et son rayonnement (et dans la direction du réalisateur aussi sans doute) contribue pourtant à lui donner une place effectivement centrale, au milieu de monstres sacrés, tous empressés de tirer la couverture à eux (David Niven, Wendy Hiller et Gladys Cooper pour s’en tenir aux partenaires directs de Kerr) mais qui n’y arrivent pas tout à fait. Kerr fait donc une composition délicieuse mais très chargée : la coiffure (épouvantable) et les costumes aident évidemment, mais c’est elle qui s’est inventé la démarche et les gestes qui hurlent « attention … frustration », sans oublier des accents bêlants qui peuvent virer rapidement à la sirène de police, en particulier dans la grande scène d’hystérie où elle répète inlassablement le mot « disgusting » avec une conviction exceptionnelle. Bref … c’est, à sa manière, un aussi grand numéro que celui de Hayward, ce qui n’empêche pas, tant le talent de l’actrice est grand, d’y prendre un plaisir un peu coupable, à défaut d’être toujours ému par sa recherche désespérée d’amour : on sourit un peu du ridicule de sa personne, devant cette grande fille maigre, dominée par sa maman (une Gladys Cooper particulièrement en forme), trop âgée pour se conduire comme une enfant. L’interprétation de l’actrice accentue cette donnée infantile à force de timidité et d’hésitation. Il est difficile de faire la part des choses entre le personnage, son écriture intrinsèque et ce qu’en fait Kerr : était-il possible de lui donner une dimension plus réaliste, moins théâtrale ? Il faut cependant noter cependant que dans le registre « excessif » elle est incomparablement meilleure, plus maîtrisée et plus humaine, ici que dans Edouard mon fils presque dix ans auparavant. Je ne bouderai pas mon plaisir, finalement.

 

 

A caricature, caricature et demi. Shirley MacLaine faisait figure de « petite nouvelle » (Kerr était comme Hayward déjà à sa cinquième nomination). Comme un torrent devait d’ailleurs achever de la lancée dans la carrière que l’on sait. Après la vieille fille frustrée, un grand classique de l’Académie (songeons à Now Voyageurs, au Deuil sied à Electre, à Soupçon etc)., voilà la prostituée au grand cœur. J’ai été étonné, en revoyant le film (que je n’aime pas particulièrement) après de nombreuses années, de la relative modestie du rôle. En vérité je n’ai pas eu l’impression que le personnage de Shirley MacLaine occupait davantage l’écran que celui de Martha Hyer, son contrepoint, sage et vertueux. Elles sont toutes les deux subordonnées au seul véritable héro du film, joué Frank Sinatra. Mais MacLaine avait, c’était évident (surtout si on la compare à Hyer justement) le potentiel de la star qu’elle était appelée à devenir et elle jouait un rôle très tire-larmes dans un des films les plus importants de l’année. On ne pouvait pas passer à côté. Et d’ailleurs MacLaine s’emploie à ce que ce soit impossible avec une présence aussi irrésistible que son chaleureux cabotinage. Je ne suis pas particulièrement intéressé par le personnage, ni par la performance, parce que réellement le scénario n’en fait absolument rien. Tout joue contre elle, à deux scènes près, celle de la rencontre avec le personnage de Martha Hyer et la dernière séquence, évidemment. Dans les deux cas elle joue sur une hyperémotivité très touchante, à fleur de peau, qui contribue en grande partie à rendre sa mort si émouvante. C’est d’ailleurs la plus belle preuve de son talent que d’avoir réussi, au-delà de la caricature, à rendre le personnage sympathique. Cependant on soupçonne que ce qui affleure de la personnalité sensible de l’actrice soit en grande partie responsable de l’empathie du spectateur à ce moment là. Ginny lui échappe d’ailleurs parfois : je pense au moment où Sinatra l’interroge non sans dureté à propos de ses sentiments sur une nouvelle qu’il a écrite.  Quelque chose de fin, propre à MacLaine, nous fait attendre une réponse intelligente de sa part, réponse dont le personnage est incapable. Pour le reste c’est une panoplie complète (comme celle de Kerr dans un autre registre) de la gestuelle et des intonations propres au caractère : c’est réussi et bien fait en allant parfois jusqu’à une désarticulation corporelle assez comique, mais ça n’est pas non plus, à mon sens ,exceptionnel.

Rosalind Russell fut donc, pour la deuxième fois, la grande perdante de la soirée. Elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et applaudit avec beaucoup de fair play à la victoire de Susan Hayward. Elle aussi, après Ma Tante, devait être ignorée de l’Académie (mais je suppose qu’elle était proche de la nomination pour Gypsy, en 1962). Elle jouait presque le rôle de sa vie, en tout cas peut-être celui pour lequel elle est le plus connue aux USA, La Dame du Vendredi excepté. Au théâtre elle avait créé le rôle et en avait fait non seulement un triomphe mais encore une figure iconique. L’auteur du roman à l’origine de la pièce, lui-même, l’avait déclaré insurpassable et en tout cas unique. Il est vrai que l’abatage phénoménal de l’actrice suffirait à impressionner le spectateur. Sa tante Mame est d’une énergie dévorante, plus mesurée cependant que celle dont l’actrice fait preuve dans Picnic ou dans Gypsy justement. Il est vrai que le personnage, quoique particulièrement extravagant, est moins ogresque. Il permet à l’interprète de faire preuve d’une élégance très « nouvelle Angleterre » qui ne nous permet jamais d’oublier que l’héroïne a reçu une éducation aristocratique et la tendresse, essentielle au rôle, est parfaitement distribuée. On ne doute pas un instant, contrairement à son entourage, de la sincérité de l’affection dont se prend Mame pour son neveu, qui parait, comme il se doit, beaucoup plus naturelle et authentique, beaucoup moins fabriqués, que les autres sentiments, y compris amoureux, exprimés par Russell. Et puis on admirera toujours chez elle à la fois un sens aigu du ridicule (la scène avec les bottes) qui atteint à une parfaite autodérision corporelle, aussi bien qu’un art d’asséner les répliques assassines avec la juste dose de méchanceté et de distance. Bref … habillée comme un arbre de Noël mais capable d’être prodigieusement chic, l’extravagance fantaisiste de l’actrice rejoint celle du personnage, sans que le caprice semble forcé : Russell surjoue évidemment, mais s’intègre parfaitement dans l’esthétisme et les thématiques du film. Certaines scènes figurent vraiment, sur le simple point de vue du timing comique, parmi les meilleures de sa riche carrière (le repas chez les futures beaux-parents de son neveu !) et plusieurs instants sont justement légendaires (la fausse natte dont elle essaye de se faire un chignon). Je crois que c’est bien à Russell que serait allée ma voix, encore une fois, parmi les cinq concurrentes « officielles ».

 

 

Mais pour beaucoup de cinéphiles c’est Elisabeth Taylor qui donne la meilleure performance de l’année, dans La Chatte sur un toit brûlant. C’est un avis que je ne partage pas (pas plus que ne l’aurait partagé Tenessee Williams lui-même, guère admirateur de cette performance et du film dans son ensemble.) C’était, certes, un grand rôle dans une adaptation prestigieuse de la MGM. Mais en revoyant le film, que j’ai d’ailleurs mieux aimé que dans mon souvenir, je me suis pris à m’ennuyer à chaque fois que Taylor était à l’écran. Un visionnage de larges extraits d’une version télévisée avec Natalie Wood (actrice qui m’attire pourtant moins) m’a encore confirmé que décidemment la Maggie de Taylor n’était pas pour moi. Wood est, comme souvent, très maniérée, et pose énormément.  Mais le pseudo-naturalisme de Taylor ne me semble pas, ici, sonner juste. Certaines répliques me semblent presque grossièrement amenées (celle où Maggie parle de son suicide, que Taylor rend pesamment ironique par exemple.) Et l’ambiguïté du personnage n’est pas exactement là, parce que l’interprète semble immédiatement renvoyer une image essentiellement positive et sympathique, presque maternelle (ce qui rend d’ailleurs les dernières séquences très vraisemblables : cette femme porte assurément la vie en elle). En revanche elle est d’une beauté et surtout d’une sensualité à laquelle on comprend que le réalisateur n’ait pas résisté. Mais ce sont les seuls éléments, avec la conviction, perceptible et attachante, de l’actrice, qui me semble justifier la réputation d’une interprétation que je juge par ailleurs peut-être plus sévèrement qu’elle ne le mérite et qui n’est, en tout cas, nullement ridicule, ouvertement fausse ou désagréable à regarder. Mais décidemment je préfère Taylor ailleurs, le rôle la dépassant peut-être encore un peu à ce stade de sa carrière.

Je suis obligé de passer cette année, par négligence de ma part, par-dessus plusieurs interprétations primées : celle de Sofia Loren dans L’Orchidée Noire (coupe Volpi à Venise) et celle de l’équipe d’Au seuil de la vie de Bergman (prix d’interprétation à Cannes). A Berlin avec un an de retard c’était Magnani pour Car sauvage est le vent qui remportait les suffrages (ainsi que ceux des critiques italiens). Hayward rafla la plupart des honneurs américains, à l’exception, évidemment du Golden Globe de la meilleure actrice de comédie qui échut à Rosalind Russell. Elles avaient aux GG des concurrentes sérieuses en les personnes d’Ingrid Bergman (nommée dans les deux catégories cette année là, pour Indiscret et surtout pour l’Auberge du Sixième bonheur où elle réussissait une très belle composition, en apparence plutôt ingrate, qui lui permit également de remporter le National Board of Review) et surtout Jean Simmons absolument sidérante de modernité et de sensibilité en épouse dépressive dans Retour à l’aube de Meryn Leroy, un des grands portraits de femmes de la décennie, en partie grâce à la performance de l’actrice. Mais, dans des registres plus légers ou du moins plus musicaux Leslie Caron était simplement inoubliable dans Gigi et Mitzy Gaynor assez étonnante de dureté (et musicalement impeccable) dans South Pacific.

Je termine avec mes propres choix, particulièrement difficiles à faire cette année là, même si ceux de l’Académie ne me convainquent qu’à moitié.

 

·         Shirley Booth pour La Meneuse de jeu/The Matchmaker (disponible en zone 1, avec STA), petite merveille de comédie bien comprise, de légèreté et de finesse, qui confirme le légendaire talent de l’actrice, hélas trop rare au cinéma.

·         Kim Novak pour Vertigo/Sueurs Froides (Hitchcock). Difficile de passer à côté d’une des interprétations qui a été capable de susciter le plus de fantasme dans l’histoire de cinéma. Que le génie vienne de l’actrice ou de la direction, c’est le résultat, hypnotique, qui compte.

·         Rosalind Russell pour Tante Mame (le film est facilement trouvable, comme toutes les nommées de l’année.)

·         Maria Schell pour Une vie (Astruc). Malgré le petit problème de l’accent allemand (pour une Normande), Schell a un talent si parfait pour la grâce et la bonté qu’elle est une Jeanne idéale.

·         Jean Simmons pour Retour à l’aube (passé récemment sur TCM). Rosalind Russell a longtemps été ma gagnante de l’année, mais la révélation que fut pour moi l’interprétation incandescente de Jean Simmons et le film dans son ensemble m’a finalement conduit à changer mon avis sur la question.

 

 

 

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