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28 août 2011 7 28 /08 /août /2011 17:04

 

Oui, cela semblait une bonne idée, répondit Jane, dans l’entrebâillement de la porte. Savez-vous ce que je pense toujours quand j’écoute à la TSF  une retransmission de ces pièces à l’atmosphère lourde et tendue, Ibsen et ce genre-là ? … Je me dis « Oh, si seulement quelqu’un songeait à faire une tasse de thé ! »

Jane et Prudence, Barbara Pym (traduction Bernard Turle)

Je me demande si Barbara Pym est encore lue. Il y a quinze ans quand je la découvrais, elle semblait à la mode. On lisait des comparaisons flatteuses à Jane Austen (laquelle devenait depuis peu une espèce d’égérie pour garçons sensibles et leurs amies, non moins sensibles) assez facilement dans la presse et plus facilement encore sur les quatrièmes de couverture. J’avais d’abord découvert son dernier roman la Douce colombe est morte et bien entendu j’avais été choqué par le côté Sunday, Bloody Sunday de l’intrigue. Plus tard je me suis plongé confortablement dans Crampton Hodnet, Un brin de verdure, Quatuor d’automne … je suis incapable de me rappeler précisément des intrigues en question. Je sais simplement que peu de textes m’ont autant donné l’impression du réel. Les sentiments et sensations, jamais spectaculaires, des personnages m’ont toujours semblé refléter très exactement les miens, à peine idéalisés par l’écriture romanesque. C’est ce qui explique sans doute le temps relativement long que je mettais à les lire et que j’expérimente à nouveau alors que les hasards de la bibliothèque municipale ont placé entre mes mains Jane et Prudence. En réalité je suis très inquiet à l’idée de terminer le texte. J’aurais l’impression sourde d’une petite mort. Une solution consisterait à laisser le roman en plan pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, pour lui assurer une espèce de pérennité. Mais il y aurait quelque chose de déprimant à se dire, au moment où je reprendrais ma lecture, que je serais moi-même un peu plus proche de la fin. Quoiqu’il en soit les éditions de Pym ne se sont pas multipliées, ce sont toujours les 10/18 (« domaine étranger ») qui sont rangés sur les rayonnages et cinéma et télévision semblent bien bouder ces titres, alors que la BBC est spécialisée dans les adaptations prestigieuses de romans chics mais populaires (ou l’inverse).  

L’avantage du disque, n’est-ce pas, c’est qu’on peut le passer aussi souvent que nécessaire. Par exemple je n’ai pas beaucoup quitté aujourd’hui Edith Mathis dans un disque assez tardif de lieder de Mozart (1986) avec Karl Engel au piano (Novalis Classics). Le disque se trouve en même temps qu’un récital Schubert, plus tardif encore (1989) avec le même pianiste. J’avais tendance à privilégier le Schubert, simplement parce que je préfère l’écriture de Schubert à celle de Mozart dans la littérature du lied. Or une réécoute plus attentive me suggère bien que j’étais passé à côté du meilleur disque. Mathis est une chanteuse fascinante de maîtrise. C’est ce qui explique sans doute que certains de ses disques manquent autant de vrai charme. On la sent toujours si attentive à la musique, si incapable de lâcher prise (mais le résultat serait peut-être éprouvant) que dans ses disques de la fin des années 80 la plus grande concentration vocale exigée, à cause du temps qui est passé, absorbe absolument le rubato et la grâce. Sa voix m’évoque, dans ses belles années, un bourgeon, vert et renflé, rond et bon. A la fin de sa carrière, le bourgeon est toujours là, il n’a pas vraiment éclot, mais il n’est plus vert. Le disque Schubert (avec « Un pâtre sur le rocher » qui manque singulièrement d’aile) est symptomatique de cette manière là (de même, semble-t-il, que son disque Loewe) et finit par manquer, cruellement, de poésie, et ce alors qu’on ne peut pas incriminer l’esprit ou la sensibilité de l’artiste. Mais Mozart sourit et respire. Les ariettes françaises (« Oiseau si tous les ans » et « Dans un bois solitaire ») miment l’élégance (même, et surtout, dans la fausse simplicité) avec parfois l’affectation nécessaire et une concentration du son un peu différente, comme si la chanteuse attaquait les notes avec un peu plus de hauteur, mais l’énergie est la même. La caricature dans « Die Alte » est délicieuse, appuyée (c’est pour mieux rebondir, comme la virtuosité du dire que lui tire « Die kleine Spinnerin ») quoique sans affecter la ligne vocale. Pour les pages qui ressortent plus traditionnellement du lied sensible, on ne sait quoi admirer le plus : les nuances qui s’épanouissent comme autant de fleurs, les mots caressés (« Die Verschweigung ») ou fouettés, la rondeur encore éclatante de la voix, la justesse du ton qui me semble absolument idéale à chaque page, sans aucune distance ou second degré pseudo rococo, plutôt avec le respect qu’elle mettrait aux pages les plus sérieuses de Schumann ou Brahms. Dans ces conditions « Abendempfindung » (soutenu par un merveilleux legato) devient brusquement mélancolique, hivernal, inquiet et inquiétant et « An Chloe » gagne une ferveur directe, sans affectation, plus masculine que féminine en fait (ce qui nous rappelle le prodigieux Chérubin qu’elle fut) et la brièveté du KW 147 ne semble être qu’un moyen d’accéder à une intensité brûlante. On pourra toujours dire que dans ces pages le grave (que Mathis a toujours eu très riche, étonnamment riche même, pour une voix plutôt légère de format) est désormais entaché d’un peu de gris (certaines intonations dans « Als Luise ») mais Mathis l’utilise consciencieusement, jusqu’à ce qu’il peut avoir de légèrement rauque, pour peindre ses miniatures qu’elle ne picore ou ne décore jamais. Les lieder printaniers qui viennent clore cette espèce de promenade enchantée sont plus ardents qu’ensoleillés, impérieux, sans éviter le sourire, bref à l’image de la réussite du disque, dans laquelle, selon moi, Karl Engel est pour beaucoup, même si mon absence de pratique et de connaissance rend mon appréhension du piano plus compliquée que celle de la voix. J’ai souvent la sensation que les lieder de Mozart sont, traités avec légèreté, sont des pièces peu ambitieuse, jolies, pour ne pas dire décorative (sauf, encore une fois, avec Shirai qui est à l’opposé, presque sinistre). Ici ils me semblent plus beaux que jolis, presque graves, presque sombres, mais dotés d’une vie intense et séduisante. Accompagnées par un pianiste qui n’aurait pas compris la noblesse de ces pages, les trouvailles de phrasé, de diction et de projection de Mathis n’auraient pas trouvé à s’exprimer avec la même force, puisque c’est bien ce mot qui me vient à l’esprit, contrairement à tout ce que suggère en général ce répertoire.        

PS : le livret d’accompagnement m’apprend que Mathis a chanté, après les gentilles soubrettes et camarades de pension, plusieurs rôles « nobles » : La Comtesse (après Suzanne et Chérubin. Elle aura donc chanté les trois rôles, ce qui me semble peu fréquent), Agathe (après la Annchen) et la Maréchale (après Sophie). Mais je ne trouve aucune trace de ces prises de risque (relatives) , mais j'imagine qu'elles devaient être contemporaines des disques de lieder dont j'ai parlé.      

 

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commentaires

M
<br /> <br /> Edith Mathis a chanté Agathe à Barcelone en 1988, avec Siegfried Jerusalem :<br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=mqfNV4AlltM<br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=bj35AMnU3W8&feature=related<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Juste pour mémoire, un disque assez oublié : la Messe en ut mineur K. 427, où Mathis chante le premier soprano, et un des Kyrie les plus profonds et souples, sans rien souligner, en faisant<br /> parler les durées et les silences :<br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=grruX3WiPo4<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je ne sais plus la date de l'enregistrement, il me semble que c'est avant 1970, quand Helen Donath (second soprano) s'appelait encore Helen Erwin sur la pochette du disque noir d'origine.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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