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12 décembre 2010 7 12 /12 /décembre /2010 13:57

 

 

Si la mythologie critique veut que 1939 ait été la plus grande année de l’histoire du cinéma hollywoodien, 1940 est celle qui vit s’épanouir le plus d’interprétations féminines restées, justement, légendaires. On est encore surpris aujourd’hui dans les annales le nom de la lauréate de l’année, par comparaison. D’autant qu’elle joue dans un film pratiquement oublié.

  • Bette Davis pour La Lettre (William Wyler)
  • Joan Fontaine pour Rebecca (Hitchcock)
  • Katharine Hepburn pour Indiscrétion (Cukor)
  • Ginger Rogers pour Kitty Foyle (Sam Wood)
  • Martha Scott pour Une petite ville sans histoire (Sam Wood)

Et on note au passage le rayonnement de Sam Wood, réalisateur aujourd’hui perdu dans les dictionnaires spécialisés.

Il était désormais acquis que Bette Davis était la plus grande actrice dramatique  du cinéma américain. Sans conteste. Etre dirigée par William Wyler dans une adaptation de Somerset Maugham et dans un rôle qui avait permis à Jeanne Eagels dans le premake de 1929 d’être nommée aux oscars, faisait immédiatement d’elle une concurrente potentielle. Mais elle dépasse encore d’une bonne tête ce qu’on attend d’elle. A nouveau son interprétation est à mi chemin entre l’expression évidente d’une humanité et une représentation artistique du talent d’actrice. On est sans cesse basculé entre l’intérêt pour son personnage et l’admiration plus ou moins hystérique pour son jeu. Ondoyante dans les vêtements d’Ory Kelly (dont une spectaculaire cape en dentelle – puisque Leslie tisse sa toile, en universelle aragne), débordante de féminité vipérine, elle n’a plus rien de la franchise expressive de L’Insoumise ou de Victoire sur la nuit. Le visage fermé et têtu, souvent impassible, concentré, mais avec de formidables éclats de dureté dont le plus bel exemple est le regard de mort qu’elle arbore dans la célébrissime scène d’ouverture au cours de laquelle elle abat son amant, le bras tendu, glissant d’un espace à l’autre devant le spectateur conquis. Les morceaux de bravoure, magnifiés par la mise en scène inspirée de Wyler, se succèdent mais l’actrice transmet toujours à la fois le calcul et la sexualité, avec comme exception la confession à son mari, où la soudaine violence des gestes et du phrasé révèle le personnage, comme son dernier plan, inoubliable, quoiqu’exagéré sans doute pour nos critères actuels, où ses yeux exorbités expriment simultanément terreur et fascination pour la mort. Mon moment préféré reste cependant la séquence où, pour récupérer la lettre compromettante du titre, elle doit s’humilier au pied d’une veuve eurasienne jouée par Gaale Sondergard : elle se baisse lentement, douloureusement, pendant que son visage fixe montre d’un seul trait affirmé à la fois la conscience qu’elle a de la situation et le défi muet qu’elle lance à celle qui semble dominer la situation. C’est sans doute ce regard qui lui vaut de mourir à la fin du film. Décidemment quelle artiste !  

 

 

 

Contrairement à Davis, la toute jeune Joan Fontaine, était nouvelle venue dans la course (c’est sans doute cela qui lui couta cette année le trophée). Elle faisait du cinéma depuis plusieurs années mais avait dû attendre 1939 pour se faire remarquer grâce aux Femmes de Cukor. Pour les débuts américains d’Hitch et l’adaptation promise au succès d’un roman très aimé de Daphné du Maurier, Selznic et son réalisateur opérèrent une dure sélection avant d’arriver à leur interprète idéale (Selznic voulait Olivia de Havilland, Vivien Leigh, Loretta Young, Margaret Sullavan et la toute jeune Anne Baxter passèrent des essais). Mais le choix fut le bon et Fontaine est à peu près aussi définitive en Mrs de Winter que Vivien Leigh en Scarlett O’Hara. C’est sa voix off qui ouvre le film et qui frappe immédiatement par sa chaleur un peu ouatée, sa gravité aussi. Son timbre et son phrasé dans lequel passe beaucoup d’air, la manière dont sa voix se tend dans l’aigu et s’essouffle quand elle implore, enveloppent tout le film et ne contribuent pas peu à sa séduction romanesque. L’actrice est si douée qu’elle semble simplement idéalement castée, ce qui n’était pas, au fond le cas. La jeune fille était ravissante et jouera sans difficulté, toute sa carrière, des rôles de femme désirable. Et pourtant en Mrs de Winter elle arrive à nous faire croire qu’elle est une petite chose insignifiante et timide. La silhouette fragile, supportant un poids trop lourd pour elle, les épaules rentrées, la nuque légèrement courbée elle compose une figure éminemment inexpérimentée et juvénile sans jamais donner l’impression de composer. La distance qui existe entre elle et Laurence Olivier, son partenaire, semble ainsi infranchissable et d’une certaine manière l’absence d’alchimie (le tournage fut très froid) entre les deux rend leurs rapports complexes d’autant plus crédibles et la fin plus ambigue qu’il ne semble. Enfin il est difficile de commenter la justesse de cette performance, son naturel, sa grâce aussi qui rendent le personnage si sympathique. Fontaine composait (le réalisateur, qui ne sera pas trop aimable pour elle dans ses interviews plus tardives, disait qu’elle surjouait, au début du moins, la timidité) mais finalement le rôle semble avoir correspondu exactement à ses ressources expressives à ce stade de sa carrière. Une conjonction miraculeuse qui aboutit à une des meilleures interprétations féminines du cinéma américain.     

Si Fontaine trouvait le rôle de sa vie, Katharine Hepburn jouait elle un personnage spécifiquement écrit pour elle. Elle avait créé au théâtre (et triomphé) dans une pièce de Philip Barry dont elle détenait les droits. Le film ne pouvait se faire sans elle, le « poison du Box Office » éloignée des écrans depuis un an. Bien en a pris à la Métro : Hepburn put reconquérir le cœur du public, redevenir une star, être nommée pour la troisième fois aux oscars et remporter le prix de la Critique New-Yorkaise (mais ce fut entaché d’un scandale puisqu’il fut révélé que la firme fit pression sur les critiques.) A nouveau il s’agit d’une interprétation superlative, je m’excuse donc par avance auprès du lecteur égaré et promet de faire vite (je finis par me lasser moi-même de toute manière). Hepburn rayonne naturellement d’intelligence (comme son personnage – on n’est pas surpris de croiser cette mondaine à la bibliothèque municipale) et d’élégance un peu hautaine (idem) et dans les scènes qui suivent le prologue elle joue simplement elle-même. Mais pour ce qui n’est plus une screwball, elle adopte un rythme comique différent de celui de ses interprétations antérieures, beaucoup plus décontracté, mais tout aussi brillant et réussit en particulier une délicieuse scène d’ivresse (« Hello George »). Le plus remarquable dans son interprétation est la manière dont elle s’accorde à ses deux partenaires reliés à elle par une alchimie aussi forte quoique différente (mais marqué par une égale tension sexuelle). Avec Grant l’entente est quasiment chorégraphique, d’une virtuosité évidente. Alors que Stewart la rend immédiatement plus féminine, plus hésitante aussi avec quelque chose de presque maternel, de très tendre en tout cas, dans la gestuelle. Il est impossible de savoir lequel des deux lui correspond le mieux et c’est sur ce principe que le scénario nous enchante et nous intrigue, l’attente se maintenant jusqu’à la fin du film.  Reste, évidemment, le fait que le rôle soit idéalement fait pour elle, ce qui diminue, d'une certaine manière, le mérite de l'actrice.  

La victoire de Ginger Rogers constitue donc aujourd’hui une surprise, l’histoire du cinéma semblant avoir fait son choix. A l’époque cependant elle semblait évidente. Les membres de l’Académie récompensaient une vétérane qui se lançait avec succès dans un registre nouveau. Scott et Fontaine étaient nouvelles sur le marché, au moins symboliquement, Davis et Hepburn avait déjà été oscarisées (deux fois pour la première). Mais Rogers était populaire et son ambition affichée de ne plus se cantonner aux comédies musicales considérée comme particulièrement louable. Et puis en revoyant le film, même si rien dans son interprétation n’atteint à la dimension presque iconique des performances analysées au dessus, j’ai été frappé par son excellence. Voilà un rôle servi avec une honnêteté constante et sans aucun excès ni sentimentalisme. Rogers interprète une jeune femme malheureuse mais pragmatique. Plutôt que de céder aux sirènes des larmes dans la voix et de l’amour plein les yeux elle coupe court à cette veine et, avec la bénédiction du réalisateur, appui plutôt sur l’humour et le détachement dont Kitty Foyle sait faire preuve. On se rapproche assez souvent d’un underplayment assez plaisant, qui fait que son interprétation a beaucoup mieux vieilli que la moyenne des performances dramatiques du temps. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un choix ou d’un empêchement (Rogers avait des difficultés à pleurer sur commande alors qu’elle est naturellement excellente dans le sarcasme) mais le résultat est intriguant par la sécheresse intelligente qui s’en dégage. Comme si le mélodrame rencontrait les personnages de chercheuses d’or qui avait fait la célébrité de l’actrice. Du coup les scènes les plus émouvantes (celle où elle rencontre la nouvelle femme et le petit garçon de son ex-mari, par exemple) sont particulièrement réussies. Cependant rien n’est non plus réellement brillant ou marquant dans cette interprétation et l’actrice ne fait pas vibrer dans ce registre alors que, sans parler de ses talents de danseuse, dès qu’elle s’attaquait à un personnage franchement comique, elle pouvait être insurpassable (Roxie Hart en 1942 est peut-être le sommet de sa carrière d’actrice, à mon sens.)

Il faut noter qu’elle faisait partie des actrices favorites du groupe critique « National Board of review » qui ces années là (40 et 41) la distingue pour Kitty Foyle, Primrose Path de La Cava (dans un registre proche de celui du film de Wood, même si le  film est plus marquant) et Tom, Dick et Harry (que je n’ai pas vu). Les autres actrices nommée en 1940, outre Fontaine et Scott, étaient Vivien Leigh (pour Autant en emporte le vent, vu avec retard et le très beau Waterloo Bridge curieusement passé sous silence par l’Académie), Greer Garson pour Orgueil et Préjugé (dont je dis quelques mots plus bas), Betty Field pour Des souris et des hommes et enfin Flora Robson et Jane Bryan pour un Goulding rare que j’aimerais bien voir We are not alone. 

 

 

Martha Scott est la plus méconnue des actrices de l’année. Elle tiendra cependant avec un certain succès plusieurs rôles importants, mais sa nomination pour Une petite ville sans histoire est vraiment surprenante, même si le film lui-même est plutôt réussi, dans un registre curieux, celui d’une chronique rurale à la fois hyper réaliste et volontairement artificielle et théâtrale. La pièce avait reçu le prix Pulitzer et continue d’être assez populaire aux USA. Mais Scott n’a qu’un des nombreux rôles d’une intrigue chorale, même si la longue séquence du rêve tourne autour d’elle, le personnage principal du film restant la ville elle-même. C’est sans doute cette scène du rêve, où elle dialogue avec les fantômes du passé alors qu’elle est sur son lit de mort et sa place à la fin du film qui permirent aux votants de rester marqués par son interprétation, au demeurant irréprochable quoique très sentimentale et marquée par les conventions du temps. A mon sens c’est plutôt la qualité poétique du texte qui fait la force de la séquence et n’importe quelle actrice normalement douée aurait été en mesure d’émouvoir les spectateurs à ce moment. Les premières scènes, où le personnage est censé être encore au lycée, sont tout à fait crédibles (William Holden, son partenaire, est d’ailleurs excellent et tout à fait crédible également) sans être d’une force ou d’un intérêt renversant, à l’exception d’une scène que j’ai beaucoup aimé et où Scott demande à sa mère (Beula Bondhi, formidable) de lui dire si, oui ou non, elle est jolie. Elle y met une angoisse, à nouveau ultra sentimentale, dans les inflexions, une hystérie presque, qui reflète parfaitement les inquiétudes de l’adolescence et qui m’a beaucoup touché. Un film à revoir sans doute, je l’ai davantage apprécié, Scott comprise, lors du deuxième visionnage. Mais une telle année vraiment … 

Une année si riche que je m’accorde une exception et multiplie mes nommées :     

  • Joan Crawford pour Susan et ses idées (Cukor. Un morceau de bravoure de deux heures, et une des compositions les moins connues mais les plus impressionnantes de Crawford, préoccupé comme jamais de composer et de soigner son personnage dans un registre qui n’avait pas souvent été le sien. )
  • Bette Davis pour La Lettre
  • Alice Faye pour Lillian Russell/Little Old New-York (Deux interprétations à la sensibilité renversante, qui confirment le talent d'actrice d'Alice Faye. Certains plans de Lillian Russell figurent parmis les plus beaux de sa carrière, mais le pouvoir d'empathie qu'elle apporte à son personnage de jeune fille un peu simplette dans Little Old New-York est exceptionnel.) 
  • Joan Fontaine pour Rebecca
  • Greer Garson pour Orgueil et préjugé (Leonard. Encore aujourd’hui l’interprétation que je préfère d’un personnage de Jane Austen. Le chic, l’intelligence et l’humour. Elizabeth Bennett comme aucune autre)
  • Rosalind Russell pour La Dame du vendredi (Hawks. Une interprétation justement légendaire à propos de laquelle on a peu près tout dit. Russell arrive encore à s’imposer face à un Grant déchainé et même à le dépasser au niveau de la pure virtuosité. Ils improvisent comme des déments, sans jamais perdre de vue les personnages ou en faire des pantins. Du grand art comique.)
  • Margaret Sullavan pour Rendez-vous (Lubitsch. Quelqu’un a dit que si Hepburn avait joué le rôle il aurait été trop dur –enfin on n’imagine gère Hepburn en petite vendeuse de toute manière-, alors que si cela avait été Jean Arthur il aurait été trop tendre. Sullavan trouve l’équilibre parfait et son charme est irrésistible.)                

Deux remarques complémentaires. D’abord les films cités sont visibles sans problème au moins en zone 1 mais toujours avec des STF, à l’exception de Susan et ses idées. Enfin Ginger Rogers est une des rares actrices à avoir remporté un oscar pour la seule nomination de sa carrière*.

 

 

 

 

* Les autres étant, sauf erreur de ma part,  Mary Pickford (1929), Judy Holliday (1950), Shirley Booth (1952), Louise Fletcher (1975) et Marlee Matlin (1986). Les carrières des autres lauréates dans ce cas n’étant pas encore terminées il est difficile de prévoir l’avenir évidemment.)     

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commentaires

L
<br /> <br /> Ah sincèrement j'adore Crawford quand elle se contente de jouer de sa belle présence mais je ne l'ai jamais vu aussi peu elle-même, aussi surprenante, ni aussi virtuose que dans<br /> Susan et ses idées. Un rôle qui avait été créé par Gertrude Lawrence et dont elle était très fière d'ailleurs.<br /> <br /> <br /> Mais j'aime bien ce film, cela dit.<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> C'est pourtant pas terrible Susan et ses idées, et Crawford sera bien meilleure ailleurs <br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Chère Judith<br /> <br /> <br /> Tout le monde sait que vous avez été nommée et que votre performance est une des plus belles et des plus impressionnantes des années 40. Moi je vous le donnais cet oscar (plutôt qu'à Jane Darwell<br /> dans Les Raisins de la colère) d'autant que vous êtes l'actrice "de caractère" que je préfère. Mais vous aviez, dans mon coeur, une belle concurrence cette année là avec Dorothy<br /> Lamour dans Johnny Appolo et Lucille Ball dans Dance, girl, dance.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bien à vous<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Votre Vidame.<br /> <br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Et les seconds rôles alors ?<br /> <br /> <br /> <br />
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