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30 juillet 2012 1 30 /07 /juillet /2012 13:59

 

Cocorico. On nous le rappelle toujours, à chaque fois qu’il est question de Marion Cotillard et de Juliette Binoche : en 1959 Simone Signoret sera la première actrice française à gagner un oscar. Relativisons. Comme Anna Magnani, elle jouait un rôle anglophone (dans un film anglais, non pas américain cependant). Ce qui différencie ces deux actrices de Dietrich, Garbo ou Ingrid Bergman c’est le rayonnement d’abord européen de leur carrière. La victoire de Signoret confirmait donc que Hollywood ne fermait plus les bras au vieux continent dont venait déjà une part importante de ses grands réalisateurs. C’était d’autant plus que la Française remportait le trophée convoité devant quatre super-stars américaines. 

·         Doris Day pour Confidences sur l’oreiller/Pillow Talk (G.Douglas)

·         Audrey Hepburn pour Au risque de se perdre/The Nun’s story (F.Zinnemann)

·         Katharine Hepburn pour Soudain l’été dernier (Mankiewicz)

·         Simone Signoret pour Les Chemins de la Haute Ville/Room at the Top (Clayton)

·         Elisabeth Taylor pour Soudain l’été dernier

Je suis très heureux de la nomination de Doris Day certainement une de mes actrices préférées. Elle était une star du box office, une actrice aimé, une chanteuse adorée. Et elle durait. L’année précédente les Golden Globes l’avaient nommée pour The Tunnel of love. L’énorme succès de Confidence sur l’oreiller lui offrit, comme il arrive périodiquement aux actrices de comédie romantique ou de films familiaux (voir Debbie Reynolds, ou, beaucoup plus récemment, Sandra Bullock) une unique nomination aux oscars. Doris Day n’est pas, malgré son registre, une actrice « naturelle » ou « naturaliste ». Comme un certain nombre d’acteurs qui sont d’abord des interprètes de comédie elle connait l’impact d’un jeu démonstratif, basé sur des exagérations expressives dont le premier but est de faire rire le spectateur. Dans Confidences sur l’oreiller, première de ses collaborations célèbres avec Rock Hudson, elle maîtrise impeccablement cette méthode. Intégrée dans un film complètement fantaisiste et peu vraisemblable, son interprétation semble, paradoxalement, naturelle, comme si, dans ce contexte de comédie romantique, les mimiques qui sont caractéristiques de son jeu pouvaient soudain devenir le reflet de la réalité. On croit donc dur comme fer à sa décoratrice intérieure, pimpante (et personne n’a l’air aussi naturellement pimpant que Doris Day) et moderne, dont la démarche, à la fois féminine et volontaire, constitue déjà une profession de foi. Mais c’est dans l’aspect le plus volontairement comique que la performance de l’actrice est la plus évidente : la longue scène des pleurs hystériques, par exemple, évidemment forcée dans un contexte qui se voudrait naturaliste, est désopilante sans pourtant donner l’impression d’être fausse : le personnage pleure, nous sommes désolés pour lui, mais, d’abord, on en rit. Cette manière d’accepter  le ridicule sur laquelle joue beaucoup l’actrice (dans toutes les scènes où elle s’énerve en particulier ou encore celle où elle se défend contre les assauts d’un prétendant jeune et trop entreprenant) est d’autant plus remarquable qu’elle n’est pourtant jamais totalement clownesque (on comparera à Lucille Ball dans ce type d’emplois). En bref comme performance comique c’est une réussite et comme composition aussi. On posera juste un bémol sur la scène du Night Club que j’ai toujours trouvée, pour le coup, peu naturelle dans sa volonté de l’être (« Oh j’adoooooooooore cette chanson … »). Mais que faire avec ces dialogues ?       

 

 

 

Audrey Hepburn devait faire partie des favorites dès que le projet avait annoncé: elle interprétait une religieuse (rôle souvent payant : rappelons nous d’Ingrid Bergman et de Loretta Young) dans une adaptation très prestigieuse d’une roman à succès (titré en français Au risque de se perdre) par le populaire auprès des critiques et de l’Académie Fred Zinnemann. Le rôle lui permettait de traverser le temps, les épreuves et d’évoluer. Enfin elle se montrait avec courage (relatif, vu sa beauté naturelle) sans aucun maquillage, laissant aux spectateurs la possibilité de se focaliser sur son interprétation, plus que sur la régularité de ses traits, sa coiffure ou ses vêtements. Sa performance est, quoiqu’il en soit, un miracle de subtilité et de grâce. Elle a un cadre très étroit et elle a manifestement décidé de le respecter, ce qui la conduit à une lecture très mesurée, très retenue, très délicate du personnage.  Pourtant elle ne se contente pas d’ « être » et elle construit intelligemment son rôle : la manière dont son regard furète et s’arrête sur tout, quoique très discrète, est ainsi très frappante, dès le début du film, et la différencie tout de suite de ses compagnes. De la même manière la simple façon dont elle dit, au tout début du film, « je ne savais pas », en apprenant une information qui ne lui convient pas, persuade tout de suite le spectateur qu’elle est d’une certaine trempe, ce que le scénario nous démontrera amplement. Ce que j’ai, cependant,  le plus admiré dans son interprétation a été la manière dont elle a réussi à gommer toute sensualité ou toute attirance dans ses rapports avec Peter Finch (qui joue le séduisant médecin avec lequel elle travaille). Il n’y a pas un moment où le spectateur s’interroge sur une éventuelle relation amoureuse (ce qui aurait été aussi grossier que peu approprié). Décidemment une très belle interprétation, qui repose en grande partie sur le visage de l’actrice (le rôle est muet pendant de longues périodes), superbement filmé par le réalisateur, attentif à souligner l’expressivité si noble du regard et du sourire de l’actrice. C’est sans doute l’interprétation d’elle que je préfère, la moins maniérée et la moins banalement charmante à la fois.

 

C’était la première fois (il y en aurait une deuxième en 1967) où les deux Hepburn, Audrey et Katharine se retrouvaient en compétition aux oscars. Katharine était une institution déjà, avec sa huitième nomination, mais elle était en concurrence dans la même catégorie avec une actrice jouant dans le même film qu’elle, Soudain l’été dernier. Le cas de figure ne s’était pas produit depuis Anne Baxter et Bette Davis dans Eve. Ni Hepburn, ni Taylor n’aurait pu être considérée comme une actrice secondaire. Objectivement la première a un temps moindre à l’écran, mais la première demi-heure du film lui appartenait toute entière et d’une certaine manière elle jouait le rôle le plus impressionnant dans une pièce de Tennessee Williams (en neuf ans c’était la cinquième fois que des interprètes d’une adaptation de Williams était nommées et ce n’était pas fini.) Elle avait réussi l’exploit de ne plus être une actrice romantique sans devenir pour autant une actrice de caractère ou un second rôle. On peut imaginer qu’à chaque fois qu’un rôle important requérant une actrice de plus de cinquante était pensé à Hollywood, on commençait par le proposer à Katharine Hepburn (c’est ce qui arrive aujourd’hui à Meryl Streep). Aujourd’hui je suis moins amoureux de la dame qu’autrefois. Je vois beaucoup l’actrice derrière le personnage et ses tics me semblent trop systématiques pour être oubliés. Aussi ai-je tendance à la préférer dans le registre comique où sa superbe m’en impose. Son interprétation ici ne fait pas tout à fait exception à la règle. Mais il faut reconnaitre que rarement elle aura trouvé un personnage dans lequel son jeu se fonde aussi bien. Elle est absolument fascinante du début à la fin et il est pratiquement impossible de détourner son regard de sa présence quand elle est à l’écran. Le complexe de supériorité qu’elle dégage et qui en dérange plus d’un, est parfaitement adapté à la riche, puissante et égoïste Violet Venable. La manière dont elle réussit à ne pas interagir avec les personnages qu’elle méprise est remarquable, autant que la férocité de son ironie quand elle se décide à leur parler (les rapports avec sa famille son succulents). Une espèce d’autorité naturelle, qui ne souffre aucune objection, illumine l’écran. Bien entendu c’est dans la peinture progressive de la folie qu’on l’attend et elle rend parfaitement justice au texte, superbe, de Williams.  Aux moments où elle n’exerce pas directement son pouvoir sur les autres sa Mrs. Venable semble très rapidement au bord de la rupture, une vulnérabilité brutale l’assaille et le spectateur se demande (avec raison, au vue de la fin) si ce n’est pas elle qui devrait être enfermée au lieu de sa nièce. Son long monologue n’est pas loin de donner l’impression de l’hallucination et son impact est particulièrement angoissant.

Cocorico disais-je donc … Maurice Chevalier et Charles Boyer avait été nommés aux oscars déjà, mais c’était la première fois qu’une femme française était invitée à la fête. Simone Signoret avait déjà remporté le prix à Cannes pour Les Chemins de la Haute-Ville, mélange plutôt réussi de mélodrame et de film social. Je crois qu’elle arrivait auréolée d’une réputation légendaire qui faisait de sa performance quelque chose de miraculeusement bon. Effectivement il y a une dimension intellectuelle et mélancolique dans son interprétation (et dans son personnage) qui la rendait différente de ce à quoi les Américains étaient habitués.  Servie par une voix incomparable et par un aura d’intelligence magnétique, elle n’a pas hésité, ce qui me semble aller à l’encontre des habitudes hollywoodiennes, à créer un personnage à la fois lourdement sensuel et profondément vaincu. On a tout de suite l’impression que pour elle les jeux sont faits et qu’elle ne fait que s’essayer, avec la conviction du désespoir, à la comédie du bonheur, dans les meilleurs moments du film. D’où un sentiment profond de tristesse qui envahit l’écran dès qu’elle apparait. Techniquement c’est parfait, j’ai particulièrement apprécié la manière dont elle joue sur scène (son personnage et celui de Laurence Harvey se rencontrent à un club de théâtre amateur), avec charisme (elle est considérée comme douée), mais aussi une platitude relative dans la diction et l’expressivité (elle est amateur). Mais ce n’est pas une interprétation qui se prête bien à l’analyse (je l’ai encore constaté au revisionnage) : une grande partie de son impact provient en effet de la manière dont elle s’efface derrière l’(excellente) écriture du rôle et de la grandeur d’âme dont le personnage fait preuve. La lecture qu'on fait du film devient donc doublement fataliste : ni l’actrice, ni l’héroïne ne semblant se révolter contre un sort peu enviable, de son mariage raté (la manière dont elle accepte de se faire humilier par son mari est bouleversante dans sa tristesse, à peine tempéré par l’ombre d’une colère) à sa liaison qui s’achève contre son gré. La fin qu’elle se choisit est donc absolument cohérente avec ce que le personnage nous a offert.    

Je suppose que si Signoret n’avait pas gagné, c’eut été au tour d’Elisabeth Taylor de remporter la statuette (elle avait déjà gagné le Golden Globe). Elle était une des plus grandes étoiles des studios, était nommée pour la troisième année consécutive et jouait une folle, ou plutôt une névrosée, enfermée dans un hôpital psychiatrique, un des rôles les plus aimés des votants (surtout quand c’était Tennessee Williams qui l’avait conçu.) La performance de Taylor dans Soudain, l’été dernier est pour moi la meilleure de sa carrière. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’essaye même pas de contrer sa nature expressive, voire expressionniste. Mais pour un tel rôle et une telle pièce, pratiquement oniriques, fortement psychanalytique, c’est d’une efficacité redoutable. Par rapport à la Chatte sur un toit brûlant l’année dernière, l’interprétation me semble beaucoup plus pertinente : d’abord Taylor ne joue jamais une folle, immédiatement elle gagne la sympathie du spectateur et rien dans ses gestes ou ses paroles ne suggèrent qu’elle puisse être dangereuse. Ce partie pris, renforcé par la mise en scène je crois, est le plus intelligent possible dans ce cas de figure. Le mystère de son personnage ne réside pas dans sa folie, ni, à proprement parler, dans lui-même. C’est au contraire par Catherine que la lumière se fera, ce qu’on perçoit immédiatement. Elle est donc à l’opposé de sa tante, ce que l’interprétation et la personnalité de l’actrice soulignent encore : l’ironie dont elle fait preuve est plus pesante et désespérée que cinglante, sa beauté infiniment plus charnelle, son chagrin beaucoup plus naturel, moins cadré, moins tenu. Sans évoquer la folie, plutôt l’hystérie en fait, Taylor donne une interprétation d’abord marquée par sa démesure et son absence de contrôle. Ce qui nous mène à ses deux monologues, portés par une conviction, une force, un pouvoir sidérants, grâce à cette voix charnue et pétulante, extrêmement bien utilisée ici (jusqu’à la brisure) en particulier dans le deuxième « aria» pour reprendre les mots du réalisateurs, tour de force haletant auquel elle fait plus qu’honneur.   

  

 Voilà pour 1959. Et je dois dire, même s’il ne s’agit pas d’actrices (en dehors de Doris Day) qui me sont facilement sympathiques, que j’aurais probablement fait les exactement les mêmes choix. La seule discussion possible, à mes yeux, concerne Katharine Hepburn dont le rôle pourrait être considéré comme secondaire (mais finalement son talent en fait un rôle principal). Si on cherche les noms des autres actrices distinguées par d’autres prix ces années là, on découvre Shirley MacLaine, curieux prix d’interprétation à Berlin pour un rôle à la Maggie MacManara, dans le sympathique mais oubliable Une fille très avertie, Marilyn Monroe, Golden Globe pour Certains l’aiment chaud (mais son interprétation m’avait très légèrement déçu au dernier visionnage, je pinaille sans doute), Lili Palmer, très brillante dans La Vie à pleines dents, Lee Remick effectivement parfaite parce que intrigante et mystérieuse à souhait dans Autopsie d’un crime et, côté italien, Eleanora Rossi-Drago pour L’été Violent que je n’ai pas vu. J’ai été très impressionné par la modernité et l’élégance de Jeanne Moreau dans les Liaisons dangereuses (d’autant plus que le film lui-même est très daté), mais je n’irai pas la faire passer avant les lauréates anglophones de l’année.  Et puis, après tout, j’ai déjà Signoret !

 

 

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