C’est le sort obligé du malheureux blogueur, qui n’est pas qu’une créature virtuelle, que d’être frustré. Pour dire les choses simplement, faute de temps, on ne peut pas parler de tout. Et, concrètement, je parle, ou plutôt j’écris, de moins en moins.
Je ne peux rien dire donc de L’Or du Rhin de Bastille et dont certains détails m’on paru fort beaux, surnageant au milieu d’une esthétique volontairement distanciée et cheap. Quelle image, par exemple, que celle de Freia, sous son voile blanc, prise de pitié ou d’amour pour Falsolt, entrainée par ses frères vers le Walhalla, gravissant les marches mais le visage et le haut du buste tournés vers le cadavre du géant. Et quelle voix, dorée comme les pommes du jardin des Hesperides, que celle de Sophie Koch en Fricka, fabuleuse en tout, racée en scène et même royale, mais surtout d’une projection dense sur toute la tessiture et d’un legato divin, superbement reconstruit par des consonnes à l’expressivité formidable.
Je ne dirai rien non plus de L’Amant Jaloux que l’Opéra Comique, avec la complicité de Versailles, transforme en pièce de boulevard pour le plus grand plaisir d’un public ivre de ris et de bonheur. Les toiles peintes Rococo, les costumes de petits marquis et des grandes d’Espagne, les perruques flamboyantes et colorées. Rien ne manque. Ne boudons pas notre plaisir, même si Magali Léger n’en peut mais dans les vocalises de son grand air (ah … si Sumi Jo …). La merveilleuse musique de Grétry s’accommode de tout et de plus encore, ravit l’oreille par ses cadences parfaites et sa transparence orchestrale. L’invention mélodique du compositeur est toujours d’une constante joliesse mais ce qu’on apprécie encore davantage c’est la construction des ensembles, ravissante et inventive à la fois.
Pas un mot à propos du Mangeur de citrouille film au titre étrange, et d’ailleurs inexpliqué pour moi, que signa Jack-Les-Innocents-Clayton en 1964. La nouvelle vague anglaise excella à ces portraits féminins en noir et blanc, tout près du quotidien et même du sordide. Anne Bancroft, sublimement photographiée, n’a jamais été aussi belle à l’écran et trouve peut-être le rôle de sa vie, dans sa simplicité et son évidence. Avec en prime Peter Finch et, le temps de brèves scènes, James Mason et Maggie Smith, toute jeunette.
J’aurais aimé pouvoir écrire, ne serait-ce qu’à titre d’exorcisme, à propos du crève-cœur que constitua pour votre vidame le visionnage des Chuchoteurs. Autre film anglais des années 60 (67 pour être précis). Le réalisateur éclaire avec douceur et tendresse l’univers insupportable de tristesse d’une vieille dame issue de la classe ouvrière, rendue à moitié folle par la solitude et l’absence d’horizon. Avec un scénario remarquablement structuré qui soutient de bout en bout l’intérêt pour un sujet particulièrement dépressif, l’autre atout du film est la présence d’Edith Evans dans le rôle principal. La souffrance rentrée qu’elle fait passer dans chacun de ses gestes et expressions transperce le malheureux spectateur jusqu’à une réplique finale qui donne de violentes envies d’appeler immédiatement sa grande tante, quelle que soit l’heure, pour lui annoncer une visite impromptue le week-end prochain.
Ah si j’avais du temps je vous conseillerais aussi la lecture des Mémoires d’Hortense Mancini, une des mazarinettes. En cinquante pages, le bruit et l’éclat du règne de Louis XIV, les procès, les disputes, les couvents et même sa fuite à cheval à travers la France déguisée en homme, comme dans un roman. Le phrasé impeccablement soutenu et le rythme de la langue de celle qui devint la duchesse de Mazarin atteignent directement objets, sujets et jusqu’à sa Majesté, elle-même. Je me dis que c’est peut-être ce type de texte qu’on devrait faire étudier aux apprentis littéraires qui se frottent au Grand Siècle.
Je ne peux rien ajouter à propos des sonates de Paër pour Marie-Louise, alors duchesse de Parme, cascades de notes en modes majeures, fortement structurées cependant par des contraintes de formes et de rythmes dansants. On dirait, finalement, du Rossini Serio passé au pianoforte. Enregistrées sur un des instruments de la dédicataire.
Pas plus que je ne peux analyser « Quelle pupille tenere » que composa Cimarosa pour un castrat sopraniste dans sa visions des Horace et Curiace alors que le rôle féminin était réservé à la Grassini. Dans la première reprise pour la RAI et par Giulini, conventions du XXème obligent, c’est Simionato-mezzo qui chante l’homme-soprano et un obscure soprano italien qui interprète la femme-contralto. Au moins il m’est encore possible de vous faire entendre une version d’un des titres de gloire de l’aimable compositeur.
Et n’insistez pas. Je ne dirai rien de mon chien !