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25 mars 2009 3 25 /03 /mars /2009 14:38


http://www.peiresc.org/IMAGES/Doussot.dias/055.jpg



Le titre est fantaisiste, comme l’illustration d’ailleurs. Je ne trouve aucune représentation satisfaisante de Cecilia Young (1712-1789), ce qui n’est pas sans m’étonner, au regard de sa notoriété, qui fut, si j’en crois les quelques renseignements que j’ai glanés, immense dans l’Angleterre du XVIIIème siècle.

A lire sa biographie la vie musicale britannique prend des airs de tableaux de famille. Elle est la fille d’un organiste, et aussi la sœur et la tante d’une nuée de chanteuses aux fortunes diverses, mais dont les noms surgissent régulièrement dans les annales des créations lyriques. Sa sœur aînée Isabelle sera par ailleurs Madame Lampe, faisant de Cécile la belle-sœur d’un compositeur presque aussi célèbre que celui qu’elle-même allait épouser, Thomas Arne. Par ce mariage, dès avant la naissance d’un fils destiné également à la composition, Cécilia devenait la belle-sœur d’un contralto haendélien, Susanna Cibber (qui devait se convertir au théâtre plus tard et acquérir une célébrité encore plus grande par ce biais, en même temps qu’elle se convertissait en la partenaire privilégiée de David Garrick).

Cecilia Young-Arne partage avec sa belle-sœur l’admiration d’Haendel. Il commença par transformer pour elle la Dalinda contralto du premier jet d’Ariodante en soprano aérien. Plus tard il lui écrira Morgana dans Alcina, Merab dans Saul, Iphigénie dans Orest et « The Virtue » dans Hercule’s choice. Au demeurant les allégories ne lui faisaient pas peur, étant donné qu’elle est également la créatrice de rien moins que l’Angleterre (« Britannia ») dans l’Eliza de son époux.

La très passionnante saga en 4 volumes sur « les sopranos aigus au XVIIIème »  qu’on trouve ici : link classe Cecilia Young dans cette catégorie, ce que les rôles qu’on lui a créés (en admettant que les compositeurs pensaient à la faire briller) semblent confirmer. Ils indiquent en tous cas que le foyer de sa voix était plutôt en hauteur et qu’elle ne craignait pas les broderies dans les vocalises. En opposant Morgana et Alcina on aurait tendance à imaginer que la voix était plus légère et le tempérament moins dramatique que ceux des "prime donne" italiennes. Une soubrette ?  On s’interroge. A la première reprise d’Athalia elle se chargea du rôle titre, pas de Josabeth. L’anglais seyait-il davantage à Young que l’italien ? Lui permettait-il de projeter autrement sa voix ? La voix s’étoffa-t-elle simplement avec le temps ? Difficile d’établir une certitude à ce propos.
Josabeth c’est ce qu’enregistra Emma Kirkby quand Christopher Hogwood  se prit à ressusciter l’œuvre au disque. (Athalia c’était Sutherland, qui au milieu des années 80 chantait encore Norma, Bolena et une dernière fois, à Sydney, Alcina justement.). On connait les liens privilégiés de la chanteuse et du chef, ou en tous cas les liens que leur maison de disque noua pour eux. Ils conçurent en tous cas, à l’époque où ce n’était si fréquent (aujourd'hui on offre leurs tribus aux Farinelli ou au Malibran avec régularité), un programme autour de Cecilia Young. C’était d’emblée considérer qu’elle avait été un soprano à la couleur claire et au volume restreint, mais pas non plus une soubrette ou une cocotte, ce que Kirkby n’est évidemment pas, pas plus qu’elle n’est une Athalia plausible d’ailleurs.




Le programme fixe peut-être ce que fut un temps la chanteuse, au moment où sa voix semblait coïncider avec celle de l'interprète du disque. Vaines spéculations finalement, mais qui peut expliquer certains rôles écartés. Rien d’Alfred, d’Athalia, d’Oreste, un pasticcio (Jennifer Smith chantera Iphigénie en 2000) ….. Le disque que j’ai pu acquérir n’est pas celui de la première publication, mais son remake, dans un doublon decca. L’autre disque est consacré à Haydn (Création en anglais) et à Mozart (airs de concert et d’opéras inachevés) avec des dates disparates, mais tout est dirigé par Hogwood. Je ne suis pas assez familier avec la discographie de l’un, ou de l’autre, pour recoller les morceaux du puzzle, mais le premier disque « Arne et Haendel » (le marketing fait l’impasse sur Lampe) est bien le récital en question. Le court livret attendu dans ce genre d’opération n’est donc pas, malheureusement, très explicite sur les choix du programme dont voilà le détail :

 

- L’ouverture d’Alessandro Severo (un autre pastiche) d’Haendel

- "Welcome Mars", extrait de Britannia, de Lampe

- "Pretty warblers" extrait de Didone du même

- Une danse "Hornpipe" (matelote ?) pour orchestre d’Haendel (HWV 33)

- "Rise, glory, rise" extrait de Rosamunde d’Arne

- Grand air de Dalinda : "Ingrato Polinesso …. Neghittosi or voi che fate ?"

- Deux airs de Morgana : "Credete al mio dolore” et “Tornami a vaghergiar"

- Une Marche d’Haendel (HWV 345)

- Un air de la soprano solo d’Alexander’s Feast : "War, he sung, is toil and trouble"

- L’air de soprano "Sweet bird" extrait de la première partie de L’Allegro, il penseroso ed il Moderato

- L’air de Merab "Capricious man" dans Saul

- Deux airs pour la nymphe Sabina du maque Comus d’Arne : "The rishy-fringed bank" et "Thrice upon thy finger’s typ"

- "Where the bee sucks the lurk I" composé pour une représentation de La Tempête de Shakespeare par Arne et destiné à Ariel.

 

Selon le livret Young et Arne se produisaient souvent ensemble  en alternant pièces orchestrales et solo pour la soprano, d’où les insertions de l’ouverture, de la marche et de la danse dans le disque. C’est en suivant le détail de ces récitals que "Sweet bird" extrait d’une œuvre jamais chantée intégralement par Cecilia Young, est interprétée par Kirkby. Elle a, au contraire, interprété sur scène toutes les autres œuvres (et elle a créé la plupart) à l’exception d’Ariel. L’air confié à ce dernier, qui connait un succès rapide, a parfaitement pu, cependant, être intégré dans un concert de la soprano, d’autant qu’il date de 1740, soit bien avant la longue, mais pas définitive, séparation des deux époux. Une interrogation cependant : la seule source que j’ai pu trouver à propos de Camus indique que Cecilia Young aurait créé « The Lady » anonyme. La pochette du disque indique que les airs choisis sont ceux de Sabina, la nymphe. Je ferai confiance au disque, puisque je soupçonne « The Lady » d’être un personnage parlé, dans la logique qui prévaut au masque. Pour finir on notera, et on sera reconnaissant de le noter, que la chanteuse, plutôt que de démultiplier les airs de Dalinda et de Morgana (et il y a de la matière) a préféré se consacrer au répertoire de langue anglaise, ce qui  la sert évidemment. Non pas que l’italien soit mauvais, sa précision est d’ailleurs sans faille, mais enfin il manque un peu de liquidité.


Quelles qu’en soient les raisons, l’écoute du programme en continu, qui s’achève sur l’écoute du ravissant "Where te bee sucks the lurk" (ce qui est susceptible d’user la plage "repeat" de votre chaine) provoque un enchantement qui valide sa construction et finalement tout le projet. Et si les Haendel ont évidement un brillant et un fini difficilement comparables, les Lampe et les Arne s’écoutent avec jubilation, ce qui est après tout leur fonction, et ne le cèdent pas en beautés mélodiques à leur illustre voisin.

Grâce soit rendue à Christopher Hogwood pour la rigueur de sa construction et son absence totale de pause. La voix de Kirkby étant, par essence plus que par esprit, une voix languide, l’accompagnement vigoureux contraste avec bonheur et offre un autre pôle de gravité à la musique, sans prendre le pas sur le chant. Dans "Rise Glory Rise" par exemple, périlleux exercice pour chacun, l’accord est idéal entre la voix raisonnablement exposée et l’orchestre qui se veut martial. Kirkby peut respirer et sans se perdre comme un instrument de plus, ce qui n’est pas le propos ici, participe pleinement du mouvement de la pièce. La réussite est éclatante, mais la même rigueur est observée scrupuleusement  pendant tout le disque, ce que, (pour prendre un exemple musical aux antipodes du premier) les variations de couleurs orchestrales parfaitement accordées au timbre de la chanteuse que l’on entend dans "Sweet Bird"  viennent encore confirmer.



Parler d’Emma Kirkby n’est pas un exercice facile. Quand le Time publia un classement, selon des  critiques dits éclairés, des sopranos les plus remarquables de l’après-guerre, sa place parmi les 20 chanteuses retenues suscita de nombreux froncements de sourcils. Une telle chose aurait-elle été possible en dehors de l’Angleterre, d’ailleurs ?  S’agit-il d’ailleurs bien d’une "cantatrice" ? D’une chanteuse "lyrique" ? Un peu de sérieux … quelqu’un dont les disques les plus renommés sont des songs accompagnées au luth ne peut être qu’un épigone de Nella Anfuso et consœurs … Certes. Avec cette vision des choses, ce refus de la tradition anglaise, Alfred Deller est à peine également un chanteur. Et si Kathleen Ferrier est dédouanée par ses Malher, ses Orphée et des bouquets de lieder, il n’en reste pas moins que toute sa culture et musicalité la poussait non seulement vers Bach et les oratorios Haendel mais aussi vers des Purcell inconnus, des chansons anglaises, traditionnelles ou non.

Kirkby ne s’inscrit pas dans une tradition spécifiquement ou uniquement baroque, mais elle est finalement d’obédience bien britannique (ses enregistrements d’Amy Beach tendent à confirmer cette hypothèse). Il y a un peu d’Isobel Baillie chez elle, une Baillie, presque casse-cou, qui aurait appris à vocaliser. Finalement cette volonté de préserver la confidentialité de la voix et sa clarté, qui repose il est vrai sur un timbre de voix lui-même immaculée, à défaut d’être brillant, est commune aux deux chanteuses. La réserve qui se dégage de l’ensemble est d’ailleurs assez proche : la voix s’offre, mais la chanteuse ne se livre pas. Les quelques lignes du récitatif de Dalinda la montre attentive au sens du mot et à leur pulsation, autant qu’à leur modelé, mais les lignes suspendues des airs trouve parfois la voix comme corsetée, peu perméable au drame. C’est uniquement le texte et le sens qu’elle y donne qui rendent cette vocalité expressive et c’est pour cela que Kirkby n’est elle-même qu’en anglais : la manière dont elle dit "merrily" dans l’air d’Ariel permet de faire sourire une interprétation, ce que la voix elle-même n'offre pas. De même l’intention qu’elle met dans la manière de prononcer son premier "Capricious" dans l’air de Saul suffit à nous peindre Merab. Sans que la voix elle-même serve à en donner l’aigreur ou la colère. Encore un moyen de se préserver sans doute, et de préserver sa probité musicale. Cela lui permet également de faire de la musique, coute que coute. Ainsi la chanteuse n’est sans doute pas, faute d’expansivité, une voix virtuose. Pourtant les ornementations dans le "da cappo" de "Tornami a vaghergiar" sont parfaitement assumées et incorporées dans le dessin de l’air. De même qu’elle tient l’illusion globale de la pureté du son qu’elle estime indispensable à ce répertoire et ce alors que la voix passe par de brusques moments d’opacités naturelles dès que le bas medium est sollicité. L’impression de fraicheur caractéristique du timbre est donc bien une volonté qui doit demander un travail et une prudence considérables. Probité et prudence ? Rien qui annonce une écoute passionnante. C’est donc dire, puisque je l’ai établi immédiatement, l’intelligence de l’interprète (et du chef) qui arrive, avec ces seules armes, à rendre cette promenade dans le temps plus et mieux que charmante : féérique. Il ne s’agit pas d’une puissance sexuée et terrienne, mais d’un enchantement shakespearien (le Shakespeare du Songe d’une nuit d’été, pas celui de Macbeth) ni agressif, ni inoffensif. Simplement en dehors des valeurs établies.

 


 
 

 

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