Souvenir d'un petit jeu pratique autrefois sur un forum et qui convient à mon humeur estivale. En fait il convient à mon humeur toute l'année. Et, à y bien réfléchir, c'était probablement même moi qui l'avait inauguré.
Alors disons simplement que je m'assume davantage à cette époque de l'année. Il consiste à lister cinquante disques, relevant du répertoire lyrique et à en justifier la place ici en quelques lignes. Un peu sur le modèle de « L’Avant Scène a également reçu ». J’ai donc occupé une partie de mon 14 juillet à opérer la sélection des disques que j’écoute le plus souvent. Je livre la liste en dix arrivages, par ordre alphabétique (assez aléatoire, mais c’est simplement pour plus de simplicité. Autrefois j’aurais eu le courage, ou la stupidité, de proposer une liste numérotée et classée.) Finalement, après beaucoup de tortures mentales (évidemment absolument inutiles), la liste me plait assez, elle reflète bien ce que je fus en tant qu’auditeur et elle annonce, sans doute, ce que je deviens. Je suis frappé par la permanence de certains souvenirs en tout cas.
1. Airs d’opéra « Rarities » par Seefried (Relief). Voir, pour les détails, Le Phénix (tout en bas). Je trouve assez amusant d’introduire Puccini (Suor Angelica) et Verdi (Requiem), qui seront peu représentés dans cette liste, par le biais d’une chanteuse comme Seefried. D’autant, qu’en toute objectivité, ce sont, précisément pour ces pages italiennes, les interprétations les plus émouvantes et les plus belles que je connaisse.
2. Airs d’opéra par Cerquetti (Decca). Voir Anita Cerquetti : récital publié dans la collection "Grandi voci" (Decca) .
3. Airs d’opéra par James McCracken. (Decca.)
Récital « carte de visite » dirigé par Dietfried Bernet, qui souligne immédiatement la singularité de McCracken (Tannhäuser et le Trouvère, Max aussi bien que Faust, mais, au fond, ces deux là vont bien ensemble). Proche du rapt vocal, ce que fait subir le ténor à nos oreilles, en termes d’engorgements et de nasalité, est probablement unique. Une couleur surexposée et métallique, un timbre, plutôt clair, aux antipodes de "l’italianita" dogmatique, un ton sauvagement héroïque. Je vénère tout ce qui nous reste (Otello dirigé par Barbirolli, le Prophète de Meyerbeer en studio, Canio, avec Lorengar pour Decca encore) de ce monstre vocal, sans limite de tessiture ni d’ampleur, qui semble avoir fait ses classes dramatiques auprès de Frédéric March et qui accroche les oreilles autant que les notes. On ne fait pas moins moelleux, on ne fait pas plus captivant.
4. Airs d’opéra par Peter Schreier (Berlin Express)
Au cœur d’un gros coffret, saturé de merveilles (plus ou moins sucrées et surprenantes) une compilation exclusivement lyrique offre des extraits d’intégrales (l’air de Fenton, version Nicolai, dans le disque de Klee, est miraculeux) et petits bouts de récitals raccommodés avec du Mozart en allemand, mais aussi du Haendel (Ariodante !) Schreier vocalise avec raideur et densité et dispense un charme germanique auquel je suis curieusement très sensible. Ce n’est certes pas solaire, ce n’est pas lunaire non plus (ou alors pour les cratères qui éclatent au détour d’une mesure dans « Fuor del Mar ») mais ça atteint souvent à une poésie de ligne (question de fermeté je crois bien) particulièrement évocatrice. Quoiqu’il en soit les couleurs et l’intonation de sa voix dans les passages vocalisant suffisent à m’émouvoir. Tant pis pour les couacs. Et dommage qu’il n’ait pas enregistré un récital de Bel Canto, tiens …
5. Airs d’opéra « A portrait » par Stich-Randall (Millenium « classics »)
Stich-Randall elle, n’a pas eu cette timidité. Son récital « hors Mozart » sous la direction de Priestman, est presque belcantiste, en tout cas dans sa mouture CD (ce devait être à la base un double disque, qui incluait « Ah perfido » et la cavatine d’Agathe.) On n’est souvent pas très loin du nanar lyrique et les vocalises « staccato » dans les cabalettes de Verdi ou, pire, Bellini (la folie des Puritains), sont, dans leur genre, anthologiques et délectables. Mais des transparences et des illuminations de vitraux transcendent les pages méditatives et mélancoliques. L’air de Louise est éblouissant, sans une once de sensualité pourtant, Marguerite et Lakmé (la berceuse, pas les clochettes) somnambuliques et fascinantes et la folie de la Margarita de Boito, qu’on imagine les yeux fixes et hallucinés à cause des sons droits et des aigus claqués, déchirante, en dépit, ou à cause, du détachement abstrait qui paraît sourdre du timbre.