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26 mars 2010 5 26 /03 /mars /2010 21:26

 

http://www.bbc.co.uk/bbcfour/music/images/ferrier_lead.jpg 

Juste pour rappel, et en guise de complément, un point sur les rapports que Ferrier, qui avait très peur de la scène et de l’incarnation d’un personnage en tant qu’actant et que figure, a entretenu avec l’opéra, le mask et l’oratorio.

Trois rôles simplement à l’opéra :

Carmen en version concert, bien avant la renommée internationale (ou même nationale) et qu’elle détesta faire. C’est bien être passé à côté de l’essence rassurante et presque angélique de la voix de Ferrier que de l’avoir imaginer dans un tel caractère, sous prétexte qu’elle en avait les notes graves.  

Lucretia du Rape of Lucretia de Britten en création mondiale (1946) pour Glyndebourne et qu’elle reprend à Amsterdam dans la foulée (en alternance avec Nancy Evans, l’épouse de Walter Legg). Le rôle n’a pas été pensé pour Ferrier, c’est son audition qui fut déterminante, Britten y trouvant la qualité de pureté et de profondeur qu’il attendait pour une héroïne christique.

Orphée, en italien à Glyndebourne dès 1947 et à Amsterdam en 1949 puis en 1951, avant de faire ses débuts à Covent Garden, Orféo devenant Orpheus dans une version anglaise. Avec ce rôle, souvent fréquenté, la cantatrice se plaçait résolument dans la lignée des contraltos d’oratorio puisqu’Orphée était à peine considéré comme un personnage scénique et lyrique. A tel point que même Clara Butt ne pensa pas déchoir en l’abordant.

C’est tout, même si le Met ne craignit pas de lui proposer Amnéris, à son grand amusement, et Bayreuth Brangäne (regrets éternels).

Gala a publié Lucrèce, EMI l’Orphée néerlandais (en 1977 seulement) et Decca  la version abrégée de l’opéra de Gluck qu’elle enregistra en studio. On pourra ajouter simplement une gravure de « Che faro » en anglais « What is life », toujours pour Decca et une superbe version du même air, accompagné au piano mais en italien et avec le récitatif pour son récital à la RAI en 1951 (Tahra).

Pour le reste Ferrier n’aborda les rôles lyriques que de manière biaisée, traduits, transformés, morcelés, leurs airs devenant des arie antiche ou des lamentos d’oratorio, dans une logique purement musicale. C’est surtout Haendel que l’Angleterre d’alors et ses interprètes traitaient à des sauces qui n’avaient pas grand-chose de philologique. On ne peut que rêver à la Cornelia ou, mieux, à l’Irene de Theodora que la chanteuse aurait pu être. On se contentera de deux airs avec orchestre, pour Decca : « Ombra mai fu » extrait de Xerces , en italien, mais qui était avant tout un moyen de réentendre ce qui était devenu dans la culture populaire « le largo d’Haendel », et une version étonnante du superbe « Dove Sei » de Rodelinda devenu « Are thou troubled » et sans plus aucun rapport avec la plainte de Bertarido.

De la même manière les deux airs extraits d’Ottone qu’elle enregistre pour EMI avec Gerald Moore en 1945 reprennent la musique de « La Speranza e giunta in porto » et de « Veni, o figlio » que la figure royale et dramatique de Gismonda est censée chanter pour exulter puis souffrir. Ils se transforment, en anglais, en sourire au printemps, « Spring is coming » et en hymne au sommeil « Come to me Soothing sleep ». Réduits de cette manière ils montrent encore et même d’autant plus l’incroyable perfection de l’inspiration mélodique haendelienne.   

Les autres airs dont on garde une trace, décontextualisés et presque asexués par la traduction, respectent du moins le sens littérale des mots du livret. C’est le cas, à nouveau chez Decca, des heureux « Cangio d’aspetto » (« How change the vision ») qui, en principe, revient au roi Admeto et « Comme alla tortorella » (« Like as the love-lurn turtle ») destiné cette fois à un personnage féminin :  Irene dans Atalanta. Enfin, le temps d’un air devenu presque aussi populaire en Angleterre qu’ « Ombra mai fu » ou que « Lascia ch’io piangia », Ferrier chanta même … Jupiter (normalement un rôle de ténor) dans une transposition du célèbre « Where’er you walk » de Sémélé. Mais Caballé aussi, alors …



http://www.cottontown.org/Nimoi/sites/CT/resources/KF%201995-08-4-1.jpg


Dans le même récital pour la RAI le contralto chante en italien les deux seules autres pièces purement operatiques de son répertoire, en toute conscience d’ailleurs de la nature de chaque pièce. Ainsi autant le même soir, Orféo est passionné et en mouvement, autant l’aria antica « Pur Dicesti » de l’Arminio de Lotti est chanté avec une distanciation souriante. Les premières mesures du lamento d’Ariana « Lasciate mi morire » (je me demande d’ailleurs si l’air était souvent chanté en concert sous cette forme) sont, elles, d’un poids et d’une mélancolie prenante et ouvertement tragique.

Les quelques pièces de Purcell qu’elle abordera font regretter encore une Didon dont elle n’avait sans doute pas même l’idée. « Hark ! The echoing air » (The Fairy Queen) pour EMI la fait dans la logique propre au genre coryphée et non personnage. « Let us wander » et « Come ye sons of art » en duo avec Isobel Baillie pour EMI seraient en fait des pièces indépendantes, ou de célébration, et pas des extraits de The Indian Queen et de King Arthur comme l’indiquent pourtant les discographies de Ferrier sur la fois des pochettes de ses disques.  

Dans le cadre d’une carrière d’estrade l’oratorio peut être une autre voie d’incarnation. Dans le cas de Ferrier c’est surtout les manques qui frappent. Pas d’alto du Messie intégrale (mais c’est une présence, pas un caractère), simplement « He was dispased » et « o thou that tellest good tidings to zion » dans le récital Bach-Haendel pour Decca. Il semblerait qu’un document radio ait existé mais qu’il ait été détruit ou bien ait disparu. Ce serait aussi le cas de son Ange dans The Dream of Gerontius d’Elgar qui était tant au centre de son premier répertoire que  l’air « My work is done » fut presque le premier qu’elle enregistra. Rien non plus d’une autre collaboration avec Britten, qui lui était cette fois ci spécifiquement destinée : le rôle d’Isaac dans la cantate Abraham and Isaac en 1952. La mort prématurée de Ferrier empêcha un enregistrement et quand l’œuvre fut gravée ce sera avec un treble, Britten n’imaginant pas une autre voix de femme pour le personnage, autre figure du sacrifice et de la pureté. Je n’ai pas su déterminer en revanche quel avait été exactement le répertoire de la chanteuse dans ce registre. Si l’on suit ses enregistrements restent au moins l’Ange d’Elijah de Mendelssohn le temps d’un air (« O Rest in the lord », avec, extrait du même oratorio « Woe unto them who forsake him! » - Decca), Micah de Samson pour le magnifique « Return of god of hosts » (nouvelle preuve de l’excellence du goût musical de la chanteuse) et un personnage de prêtre dans Judas Maccabeus (« Father of heaven »). Tout renseignement est bienvenu.

Ainsi donc une typologie des personnages incarnés par Ferrier s’impose, même s’il faut croiser ces données avec les rôles qu’un contralto chantait dans l’immédiat après guerre. Homme aussi bien que femme, mais toujours figures juvéniles et souvent non pas tant androgynes que nonsexuées, même quand elles ont un genre. Le rire à l’idée d’Amnéris, la détestation pour Carmen sont aussi signifiantes que l’assimilation évidente à Orphée, Lucrèce ou les anges et les jeunes garçons des oratorios. Si cette voix était séduisante, elle ne l'était pas avec évidence, et si elle était compatissante, elle n'avait rien de maternel. C'est encore un au delà qui explique sans doute la fascination qu'elle a longtemps exercé.    

 
  http://i.telegraph.co.uk/telegraph/multimedia/archive/01144/arts-graphics-2003_1144088a.jpg

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25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 15:04



http://www.peabodyopera.org/seasons/s0607/lucretia07/glyndebourne480.jpg

Il y a quelques mois Diapason publiait dans ses pages un dossier consacré, on est tenté de dire « encore une fois », à Kathleen Ferrier. C’était Jean-Charles Hoffelé qui officiait avec sa précision habituelle et il offrait probablement de la chanteuse le meilleur portrait vocal que j’ai jamais lu et ce alors que je pensais avoir épuisé le sujet.

J’ai presque découvert la musique par cette voix/voie alors qu’une obsession fiévreuse pour l’androgynie vocale me poussait inlassablement vers le chant des contraltos. Je ne réalisais pas alors que cette étiquette vocale est probablement la plus floue et la moins signifiante de toutes. Et l’écoute de Ferrier pour la première fois (je n’arrive plus à me rappeler s’il s’agissait des Kindertotenlieder ou du récital au piano avec Bruno Walter. Je sais que la pochette de ce dernier disque me plaisait particulièrement) me fit longtemps penser qu’une voix d’alto ne pouvait être que cela et que la grave anglaise devait être un modèle, non pas une exception.

Or tout chez elle, bien au contraire, est physiologiquement et techniquement exceptionnel, au premier sens du terme. Les couleurs n’ont pas, que ce soit artificiel ou non, l’opacité et la noirceur de Podles ou de Stutzmann. Le grain n’a pas la richesse opulente d’une Forrester, d’une Resnik seconde manière ou d’une Watts. Pas plus qu’on entend chez elle le sentiment de vaste confort dans le grave, conséquence heureuse d’une certain déséquilibre chez Blythe ou de Mingardo. Au contraire la voix de Ferrier est, d’abord, une voix tendue. Entre la hauteur, la droiture de la projection et la largeur du timbre (conséquence, dit-on, de conditions physiques remarquables) pour aboutir à cette texture presque plane et au vibrato incroyablement discret qui la caractérise sur l’ensemble de sa tessiture. Car les registres, chez elle, s’étendaient à la limite de la dureté parfois tout en haut, sans jamais se disjoindre. Et du fa grave au la aigu qu’elle chantait pour sa Lucrèce (et que Britten qui la voyait butter dessus lui avait remplacé par un fa dièse jusqu’à ce qu’elle le fasse, sans y penser, emportée par la musique) chaque ton était assumé, émis avec la même honnêteté. Dans « Du bist die ruh », le souffle large, elle gravissait le haut de sa tessiture, obligée aux forte, mais sans faillir et sans détimbrer, l’aigu plein comme le grave qu’elle avait souverain. On a oublié trop souvent chez une artiste que sa particularité vocale avait suffi à rendre précieuse, à quel point la qualité de la projection était remarquable et d’une solidité telle qu’alors que la souffrance la taraudait physiquement on entend encore dans ses derniers enregistrements de Mahler, de Bach et d’Haendel  une inaltérable beauté plastique.

A ce déferlement de sons entêtants et égaux, l’oreille peut se soumettre ou bien s’écœurer. La chanteuse exerça une poigne remarquable sur sa voix. Elle ne pouvait en brimer l’essence : capiteuse de profondeur longtemps avant de passer en registre de poitrine et pourtant d’une clarté diffuse qui ne peut rien camoufler de sa trame. Dans ces conditions, la plénitude du timbre peut se payer par l’uniformité des couleurs et des voyelles. Ferrier s’accrochait donc pour construire sa phrase musicale d’abord aux arrêtes des consonnes, parfois aux limites de l’expressionnisme en allemand (il y a ainsi souvent chez elle une fraction de silence à la fin d’un mot avant la conclusion par une dentale ou une sifflante) ensuite à la tenue d’un legato qui jamais ne se détend. De là l’inexorabilité de la plainte de Marguerite au rouet comme la hardiesse de sa supplication aux divinités infernales chez Gluck : le lié chez elle donne toujours l’impression du mouvement qui déplace les lignes. Le contralto d’oratorio qu’elle était n’a d’ailleurs jamais été une voix lente ou statique. Dans les phrases de récitatifs d’Orféo, même accompagnée au piano dans un récital live, on entend bien de quel bois elle pouvait se chauffer pour en animer les contours et les rendre vivants, avec même une précipitation remarquable et sans doute bien plus gluckiste qu’on ne l’imagine.  Plus directement en prise avec son univers culturel, certaines chansons anglaises dont elle s’était fait une spécialité la voient, de la même manière, comme ailée dans son sourire, le phrasé court (Le célèbre « Keel row » presque effleuré par les nuances), bondissant même.


http://www.cantabile-subito.de/Contraltos/Ferrier__Kathleen/ferrierbritten.jpg


Au demeurant, et elle devait en avoir conscience, il lui suffisait de déployer sa voix dans sa splendeur pour que la musique s’assombrisse et devienne majestueuse. Dans ses Mahler, que Walter dirigeait sans alanguissements ni complaisances luxueuses, comme dans sa version du Poème de l’amour et de la mer  le poids tragique ne vient pas d’un excès de pathos ou de couleurs sombres qui seraient redondants mais de la simple évidence d’une étoffe plus grande et digne que moelleuse. Ainsi, à l’aise dans ces tessitures plutôt centrales (Le Chant de la terre n’est pas destiné à une Ulrica germanique)  ou même élevées (mais elle ne craignait même plus, en fin de carrière, d’étudier et de chanter pour elle la partie de mezzo du Requiem de Verdi dont elle rêvait), enveloppante par-dessus l’orchestre, Ferrier pouvait à la fois attrister par le timbre et rayonner par la projection, laissant à l’auditeur le soin d’interpréter et de se perdre dans une musique qui n’a jamais paru à la fois aussi romantique et aussi digne que par elle qui semble simplement se laisser bercer par le flot orchestral. Effacement salutaire de la chanteuse derrière la musicienne et instinct considérable de ces œuvres, à contre-courant de ses propres habitudes interprétatives.  

En anglais en effet, dans les chants de sa terre à elle et plus encore quand un pianiste se substituait à l’orchestre, le mot ou plutôt son sens et son expressivité, était sa première préoccupation. Sa confondante version de « Bess of Bedlam » (Purcell) expose chez elle le meilleur de la voix, glorieuse, et de l’artiste, inspirée, poignante, dont les allégements saisissants contrastent avec le poids des graves et des syllabes. A titre de comparaison on ira écouter l’air de l’ange du Dream of Gerontius qu’elle grava au tout début de sa carrière au disque. Le timbre, le legato, la tenue, la diction, l’accompagnement pianistique sont identiques. Mais Elgar entend une concentration de phrasé d’un sérieux tout anglican alors que pour Purcell et sa folle, la voix parfois se fait béante, expansive, écrasante. Preuve s’il en est que Ferrier savait toujours parfaitement ce qu’elle chantait et qu’elle n’a pas été qu’un miracle de phonogénie.

On discute encore des lieder qu’elle chanta avec amour partout au monde et qui furent considérés longtemps comme son terrain d’élection (et avec Walter, Moore ou Britten au piano). Il y a, en fait, peu de choses à son répertoire. Une poignée de Wolf, un cycle de Schumann, quelques Brahms et quelques Schubert. Elle n’approcha que tardivement la langue allemande et les germanophones souligneront rapidement les scories et les anglicismes de sa diction, plus perceptibles sans doute à nu. La sensibilité parfois emphatique, le sentimentalisme même des effets (« Du liebst mich nicht » avec Walter) qu’elle a si bien évité ailleurs, transforment parfois ces œuvres dont elle ne connait pas la grammaire, en ballades anglaises (et ses meilleurs enregistrements de Brahms ou de Mendelssohn, en duo avec Isobel Baillie, le sont parce chantés en anglais justement ils sont parfaitement assumés dans cette optique). Le charme est intact pour ceux que la voix et la manière émeuvent. Je n’en vois pas d’autres qui « chantent » aussi nettement Schumann et qui le rende aussi simple et évident qu’une berceuse. Elle a rendu ainsi La vie et l’amour d’une femme « fredonnable » au commun des mortels. Mais il est vrai que ces legs peuvent s’interroger. Schumann est-il fait pour être fredonné ?

Qu’importe presque les failles et le désamour qu’elle connait aujourd’hui auprès d’une partie des mélomanes (je n’ai dans mes connaissances, ai-je réalisé il y a peu, aucun admirateur de Ferrier alors que j’ai longtemps cru sa voix universelle). La légende est belle et mille fois racontée : elle éveillera encore davantage la curiosité que ce que l’on peut dire de son art. Qui ne voudrait entendre l’alto qui faisait pleurer Karajan dans Bach ? L’Orphée qui est presque mort en scène ? La collaboratrice radieuse de Britten et de Pears ?  La chanteuse dont la mort précoce a empêché Barbirolli de diriger les œuvres vocales d’Elgar jusqu’à ce qu’il rencontre Janet Baker (souvent comparée, en rien comparable à son ainée : deux voix et deux sensibilités aux antipodes l’une de l’autre) ? La voix que Bruno Walter a distinguée entre toutes les autres ?  

Je l’ai finalement toujours trouvée, moi que son timbre continue de prendre à la gorge dans le sourire mélancolique comme dans le désespoir, non pas à la hauteur de son mythe étouffant et grandiose mais à celle de mes espérances. Et je ne me lasse pas de me serrer contre elle.

http://hedwigefabry.files.wordpress.com/2009/05/turner1.jpg

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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 16:14
Ou presque ... et pour le célébrer Galli-Curci, son sourire, son immadiateté radieuse, ses aigus tachés et attachants jamais instrumentaux en dépit de leur fausse simplicité, inattendue dans un Scarlatti pourtant idéalement accordé à ses maniérismes gracieux, que l'on peut aussi trouver exaspérants. La clarté fruitée du timbre épouse à merveille l'aurore qui transparait dans la musique et si l'orchestre ferait hurler les baroqueux qu'importe ... 4 minutes de musicalité aussi parfaite et intemporelle valent bien que l'on sacrifie un peu la réalité dramatique du morceau (qui d'ailleurs est extrait d'une cantate de chambre) et les 80 ans de recherches philologiques qui ont suivi cet enregistrement. 

 
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14 janvier 2010 4 14 /01 /janvier /2010 18:57





Tom me disait, il y a déjà longtemps, que pour nous, malheureux français, même ce prénom si simple a l’écrit était  imprononçable. Il faut faire succéder à une espèce de jota espagnole un r roulé. Essayez pour voir, un soir d’oisiveté. Si elle avait joué à Hollywood (et quand elle débutait on la comparait beaucoup physiquement à Ingrid Bergman. Moi elle m’évoque plutôt à la fois Wendy Hiller et Katharine Hepburn) on lui aurait sans aucun doute demandé de simplifier son patronyme. « Gré Brouwenstijn ». Comment espérer faire une carrière internationale avec un nom pareil ?  Il fallait bien des vertus exceptionnelles.

Justement Tubeuf est « fan jusqu’à l’adoration » quand Cabourg ne l’aime guère et quand l’un s’extasie sur son Elisabeth de Valois, l’autre la trouve « trop peu latine » (horreur … horreur …). On ne fait pas moins « latin » en effet que le soprano de Brouwenstijn. Est-ce un empêchement pour un tel rôle ? Vaste débat que j’agite régulièrement ici et ailleurs et sur lequel je ne reviendrai pas. En attendant, pour l’apprenti mélomane que j’étais, cette discussion, par presse interposée, m’interpelait assez pour que je retienne ce nom terrible bien avant d’entendre la moindre note émise par une voix dont je ne percevais pas très bien la nature. Un rendez-vous manqué eut lieu avec La Walkyrie Decca sous la direction de  Leinsdorf, un de  ses rares  enregistrements studio (pour le reste il faut se contenter d’une poigné de récitals, d’une version tronquée de Tiefland, d’un Requiem de Verdi et d’une 9ème Symphonie de Beethoven dirigée par Cluytens). Mais cette musique emphatique et désespérément bruyante et anarchique à mes oreilles, non touchées par la grâce wagnérienne, ne pouvait que me masquer les qualités de la chanteuse, surtout en Sieglinde dont chaque intervention m’ennuie à périr, quelle qu’en soit l’interprète.    

Et pourtant … Certains timbres sont naturellement froids et obligent les chanteurs à un excès d’inventions et d’arabesques pour les rendre expressifs. A l’inverse la Néerlandaise avait la voix la plus naturellement vibrante (et parfois littéralement) du monde, à la manière de Lehmann. Avec cette texture serrée, charnelle et cependant si pleine de clarté, toutes ses notes deviennent vivantes et fiévreuses, ce qui l’oblige a un surcroit de discipline dès qu’elle aborde les formes closes du classicisme, jusqu’à étouffer sa spontanéité sous la maitrise avec quelque chose de presque péremptoire. « Sois sage ô ma voix et tiens toi plus tranquille ». Ainsi Brouwenstijn ne s’offre pas d’emblée, elle se découvre et finit par enivrer, à faire paraitre toutes les autres, dans les mêmes rôles, un peu pâles et fades ou faciles. Parallèlement au moment où la séduction opère, au fur et à mesure de l’écoute, la chanteuse elle-même se libère de son carcan, la voix se chauffe et s’embrase et s’illumine sur des aigus éblouissants. Car Brouwenstijn fait bien partie de ces sopranos qui, paradoxalement, gagnent en chaleur quand la tessiture s’élève, comme si la voix ne s’épanouissait totalement que dans les sommets. Au demeurant le foyer dans le medium est réel et même, déjà, brûlant. Mais l’aigu l’est, miraculeusement, encore plus, alors que le grave peut rapidement devenir sourd (d’autant qu’elle ne chante pratiquement jamais en voix de poitrine). Je n’ai jamais entendu une voix dont la chair soit aussi caractéristique et reconnaissable, plus encore que le timbre proprement dit. Le vibrato rapide et serré est évidemment essentiel à son individualité mais la rondeur incarnée qui se dégage de ses interprétations l’est tout autant. Quand Brouwenstijn chante une note, on a l’impression qu’on pourrait la saisir à pleines mains.

Cette expansivité flamboyante naturelle, qui m’émeut tant, était en plus équilibrée non seulement par cette discipline dont j’ai déjà parlé, mais encore plus par une pudeur et une dignité qui, même dans les éclats véristes de Tosca (qu’elle a beaucoup chanté), ennoblissent encore la musique. Il ne faut pas non plus imaginer quelque chose de marmoréen dans l’expression, car le sens du texte de la chanteuse existe bien  et s’exprime parfois avec violence : c’est plutôt une qualité naturelle de couleur autant qu’une certaine idée du phrasé et de la nuance vocale qui place immédiatement si haut les personnages qu’elle incarne.

Et ce soprano qu’on qualifiera, faute de pouvoir mieux définir son charme, de radieux fut ignoré des maisons de disques, des firmes parallèles (du moins jusqu’à il y a peu) et du grand public. Des Eva, des Sieglinde à Bayreuth, une Elisabeth de Valois dans une production célèbre à Covent Garden, mise en scène par Visconti, n’ont pas suffi. Pourtant son répertoire fut celui, classique, des grands sopranos lyriques : Fidelio, Chrysothémis, Agathe,  les Wagner blonds (avant tout Sainte Elisabeth que Karajan dirigea), les Verdi les plus lyriques, Aïda, Amelia, Desdémone (encore à Covent Garden), les deux Leonora, Tatiana, les Mozart les plus larges…  On nous rend petit à petit, précieusement archivée par la radio de son pays, ces rôles avec un entourage maison, dont le nom décourage pas avance la critique. Et on se perd un peu dans sa discographie studio, pourtant maigre. Philips a édité une compilation qui pioche dans un récital Wagner-Verdi dirigé par Moralt avec des compléments pris un peu partout « Ah perfido » et le premier air d’Agathe (récupéré dans une sélection d’extraits). Manquent encore, au moins,  l'air de Santuzza, celui de Rezia (en allemand) et le duo du Bal Masqué avec Frans Vroons. EMI aussi a republié (mais je ne me le suis pas encore procuré) semble-t-il un récital plus tardif avec un programme similaire, Puccini en plus. Le studio éteint un peu sa vibration et on sent davantage ce que l’italien peut avoir de forcé, même si la noblesse congénitale et l’allure dans la ligne de chant, l’attention portée aux nuances évidemment et l'aisance considérable de l'aigu, demeurent.




On se tournera plutôt vers les pirates qui documentent à plusieurs reprises une Elisabeth de Valois à la hauteur du mythe, comme ailée dans la romance, sans contraintes ni attachements au sol, mais résolument tournée vers une juvénilité féminine extrêmement séduisante. Plus soprano que Falcon, bien entendu. Ou on écoutera sa Leonora du Trouvère lumineuse de couleurs et quasiment idéale de galbe, respirant haut et large à la Tour. Et évidemment sa Léonore de Fidelio ardente et emportée, dont chaque phrase se colore, se tend et s’amplifie sans jamais perdre de sa clarté vaillante. Rien de masculin ni même d’ambigu, rien d’héroïque à la Mödl, mais la revendication du vivant. Enregistrer l'opéra de Beethoven avec elle était le dernier projet de Bruno Walter.

J’aimerais vraiment connaître sa Chrysothèmis et son Iphigénie dont un extrait surexposé est disponible dans le coffret anniversaire Ponto. A l’écoute de ce « O malheureuse Iphigénie » (version allemande) ce qui frappe surtout, c’est par la vivacité des tempi qui n’empêche pas, chez la chanteuse une maîtrise remarquable de l’arternance piano-forte. En tout cas ce Gluck manque au coffret A portrait of Gré Brouwentijn, sorti l’année dernière et dont j’ai dit un mot rapide en décembre après avoir découvert sa parution. Portrait néerlandais (en live et à la radio) qui la saisit essentiellement à la fin des années 40 et au début des années 50, autrement dit dans ses plus belles années (elle  fait ses débuts en 39 et ses adieux, dans Fidelio, son rôle chéri, en 71) et qui est absolument indispensable. Les récitals la montrent dans des pages de Don Carlo, d’Aïda, du Trouvère qu’elle connait bien et qu’elle parfois enregistrées par ailleurs, mais on tient probablement ici sa plus éblouissante version de l’entrée d’Elisabeth dans Tannhäuser, avec son émission haute, peu wagnérienne peut-être, mais dotée d’un geste, d’une ardeur et pourtant d’une plénitude incomparable. Son Elsa intégrale étant totalement inconnue, j’ai découvert,  avec la joie que l’on peut imaginer, toujours dans le cadre d’un récital radio, toute la scène de la chambre, ou face à un ténor un peu chevrotant mais investi et  finalement poétique, Brouwenstijn libère totalement les vannes de sa féminité fiévreuse et emporte tout, y compris l’orchestre, tout en soutenant à la perfection une tessiture de plus en plus élevée.  

Au hasard des plages on entendra aussi une comtesse des Noces à contre-courant, le temps de son deuxième air, de ce qui est offert habituellement dans le rôle, presque en colère, autoritaire et sûre d’elle-même avec des effets de phrasé et de diction surprenants et un peu maladroits (comme ce « Susanna » qui accentue la dernière syllabe). La ligne a beau être parfaite, une fois encore, ce Mozart-là la restreint vocalement sans doute trop. On la préférerait en Donna Anna ou en Fiordiligi. Le sentiment est un peu identique à l’écoute  du duo Mickaëla-Don José où, dans ce corset du numéro fermé, le grelot de la voix et sa diction un peu pointue et appliquée en français paraissent presque vieillots. Pourtant sa romance d’Antonia des Contes d’Hoffmann est éblouissante encore, le trop plein vocal de la chanteuse, sa lumière aussi, semblent trouver à s’exprimer naturellement dans les inquiétudes du rôle. Du coup l’air de salon devient comme dangereux, ce qu’il est précisément censé être.  Aucun doute quant à l’exaltation et la phtisie du personnage.  Dans la même logique les lieder de Brahms et de Wolf, choisis pour clore l'hommage, sonnent-ils liquides et vocaux comme jamais, extrêmement séduisants dans un registre fleuri, alors qu’on l’attendait, a priori, peu dans ce répertoire.

Aux récitals s’ajoutent de très larges extraits de représentations Amsterdamoises de Tosca et des Contes d’Hoffmann.  Une Tosca néerlandaise (avec Jan Deskern) existait déjà mais cet affrontement avec Scarpia (jusqu’au « Vissi d’Arte ») est spectaculaire jusqu’à dans l’incroyable tenue qu’elle offre au grand air, transcendé par la dignité de son interprète, sans pathos ni sanglot mais éminemment musical. Les Contes en néerlandais marquent ses grands débuts nationaux en Giulietta (qu’illustre la photo en couverture du coffret). C’est tout l’acte vénitien qui est restitué permettant à Brouwenstijn de faire valoir son aigu royal au détriment d’un grave étouffé. Son duo avec Hoffmann l’oblige à des persiflages sourds dont l’impact dramatique, pour être réel,  n’en est pas moins peu orthodoxe.

Le soprano franc de Jenufa ne la soumet pas à de tels dilemmes. Je ne connaissais l’œuvre que dans la version studio Decca (je n’ai même pas entendu Jurinac et Mödl) et j’avais simplement entendu le duo final  avec Brouwenstijn dans le même coffret anniversaire Ponto. Gala profite du coffret pour publier l’intégralité de cette Jenufa en néerlandais. Autant j’avais le souvenir, flou cela dit, d’une austérité un peu sèche, cérébrale presque chez Södeström, autant le lyrisme tendre de Brouwenstijn m’a bouleversé, comme cette manière de s’emparer directement de la musique de Janacek, de lui reconnaitre ce qu’elle peut avoir de noblement romantique. Cette Jenufa de 20 ans éblouit par la couleur et la projection de son aigu mais touche par le soyeux de l’incarnation.

A qui voudrait prolonger cette ballade je conseillerais de faire un tour ici,   (qui recense essentiellement des enregistrements plus tardifs que ceux du portrait absolument inédit) et encore  et surtout d’écouter ces disques.






Détails du coffret Gala A portrait of Gré Brouwenstijn

Disques 1 et 2

Jenufa (en néerlandais) avec Frans Vroons (Laca), Lidy Van der Veen (Kostelnicka), Jan Van Mantgem (Steva) Annie Delorie (Rychtarka) et Cara Canne Meijer (Karolka). Amsterdam, 13 juillet 1951. Sous la direction de Paul Pella

Dernière plage du disque 2 + Plages 1 et 2 du disque 3

Concert Radio avec Jan Van Jan Van Mantgem. 17 juin 1951. Sous la direction de Jan Van Raalte.

Duo de la chambre de Lohengrin, Dies Bilnis ist bezaubernd schön (La Flute enchantée), E Susanna no vien ... Dove sono (Le Nozze di Figaro)

Disque 3

Acte Troisième des Contes d'Hoffmann en néerlandais avec Frans Vroons (Hoffmann) et Theo Baylé (Dapertutto). Amsterdam. 13 Mars 1948. Sous la direction de Willem Van Otterloo

Disque 3

Concert radio avec John Van Kesteren. Fevrier 1948. Sous la direction de Henk Spruit.

Allons ! Courage (Les Contes d'Hoffmann), Elle a fui la tourterelle (Les Contes d'Hoffmann), Parle-moi de la mère (Carmen).

Disque 3

Concert radio. 28 mars 1954. Sous la direction de Rae Jenkins.

Klänge des Heimat (La Chauve Souris), So elend un so treu (Der Zigeunerbaron)

Disque 3 et 4

Concert radio avec Giuseppe Campora. 26 novembre 1953. Sous la direction Arturo Basile.

Dich, teure Halle (Tannhäusser), D'amor sull'ali rosee, (Il Trovatore), Tu che le vanita (Don Carlo), Qui Radames verra ! et La Fatal pietra (Aïda), Gia nella notte densa (Otello).

Disque 4

Tosca Acte II depuis Dov'è Angelotti jusqu'à Vissi d'arte. Avec Justus Bonn (Mario) et Scipio Colombo (Scarpia). 21 octobre 1957.

Disque 4

Lieder de Brahms (Meine liebe is Grün - incomplet - Komm bald, Rühe Süssliebchen)

Lieder de Wolf (Anakréons Grab, Gesang Weylas, der Gärtner)

11 mars 1959. Felix de Nobel, Piano.


Edit : A l'instant où je termine cette évocation j'écoute le récital Philips que je regrette d'avoir expédié un peu rapidement. Les Wagner (Elisabeth, Elsa et Senta) sont resplendissants avec un souffle, une tension (la prière !) qui ne sont nullement un empêchement à la pureté et la même aisance et le même soin qu'elle apporte toujours à exploiter la palette des nuances. Pour juger directement des Verdi, on ira son large et enveloppant "Madre, pietosa Vergine" à partir d'un des liens que j'ai donnés plus haut. Ce que j'ai entendu sur youtube me semble, en revanche, systématiquement écraser ce qui fait le prix de cette voix et les extraits ne sont pas très représentatifs (la moins bonne des 3 ou 4 Elisabeth de Valois disponibles, dans le duo avec Zampieri.)    







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9 janvier 2010 6 09 /01 /janvier /2010 10:01


http://www.picturesofcoventry.co.uk/jpgl/c00014.jpg


"L'idiosyncrasie est le comportement particulier, voire atypique, d'un individu face aux influences de divers agents extérieurs."

Les livres ont leurs propres idiosyncrasies écrit quelque part Elisabeth Von Arnim. Selon elle, ils n'offrent leur pleine saveur que dans certains contextes. On pourrait en dire autant de la musique.

J'ai deux manières, pratiquement concomitante, de combattre la dépression annuelle qui suit toujours, chez moi, les fêtes de fin d'année. Je me livre voluptueusement à une mélancolie grand genre que j'entretiens avec du Baroque Français, lequel pourtant m'échappe pourtant le plus souvent, mais dont je sens qu'il resplendit sous la neige. Et, à l'inverse exactement, je prolonge l'esprit de la période de l'Avent en relisant un classique de la littérature dite "victorienne". 

Cette année c'est Middlemarch, dont le foisonnement chaleureux m'émerveille toujours. Or donc, les flocons tombent, ma petite ville est devenue silencieuse et blanche et le chien ronfle paisiblement devant la cheminée. Encore un peu et je vais me découvrir directement dans les pages du roman. Hier soir, le chien, encore lui, s'est faufilé, par le portail ouvert, dans le jardin givré d'une grande maison qui semblait vide. Comme un fait exprès. Ma vie est tout à coup parfaite, ou presque, dans son genre. En tout cas, elle va le devenir dans quelque instant.

Un colis livré ce matin contient en effet, à ma grande surprise, car c'est un cadeau et pas une commande, un avatar de ceci :

http://ecx.images-amazon.com/images/I/41kdn95l75L._SL500_AA240_.jpg

Je vous jure, par tous les Dieux du foyer, que je n'invente rien. C'est bien le récital de "ballades victoriennes et edouardiennes"  de Felicity Palmer  accompagnée par John Constable (ici couplé avec un récital identique de Benjamin Luxon) qui accompagne désormais ma lecture. Il y a vraiment des gens qui ont le génie du détail. Qu'ils en soient remerciés.

PS et édition : Ma tante de Montmorency m'a généreusement indiqué ce que je croyais être d'abord le visuel exact du disque original de Palmer. En réalité il s'agit d'un autre programme, les maisons de disque sont, de toute manière, différentes. Le ramage vaut-il les plumes ?

http://www.argo-records.com/img/releases/47585909DH.jpg

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6 janvier 2010 3 06 /01 /janvier /2010 18:23

http://3.bp.blogspot.com/_Wi0WSVwnTyY/R-MGRWoU7cI/AAAAAAAAADU/sD8xjmpT2s4/s400/Mara_Zampieri.jpg



Un ami demandait à Joan Crawford (je crois, mais en tout cas la réponse est bien de sa façon) si elle n’était pas fatiguée des horreurs que les journalistes publiaient à son sujet. « Mais, chéri, ce serait bien pire s’ils ne parlaient pas de moi du tout ».

Tandis qu’Edita Gruberova est plus, que jamais,
précipitée dans la gloire ici et , entre autres), elle est bien oubliée la malheureuse Mara Zampieri, sa quasi-contemporaine en renommée. Je me rappelle encore du recensement, pour l’Avant Scène Opera, de la première Maria Stuarda gruberovienne au disque, qui disait quelque chose comme «il ne se passe guère de saison sans que Vienne ne programme un tube belcantiste  avec Baltsa et Gruberova, et quand la diva Slovaque est en voyage, on fait appel à Mara Zampieri. »

 

Or voilà ce qu’hier j’ai découvert en flanant sur Youtube :

 




 


Oui vous ne rêvez pas, c’est bien la même chose que cela, bien plus connu, à la Stuarda près :

 

 

 

La production, créée par Sutherland et Tourangeau a été reprise un peu partout dans le monde (c’est aussi celle des adieux de Janet Baker), mais là nous sommes bien à Vienne (en 86, contre 89) avec la même  Elisabetta dont on entend bien la « noblesse (?) » littéralement « trompétante » (certains sons de canard sont redoutables, en dépit de la séduction réelle de la voix) et « cuivrée ».


On notera entre les deux reines d’Ecosse une parenté insidieuse de timbre, de couleurs et une même clarté renforcée par l’absence, presque totale chez Zampieri, de vibrato. Dans les deux cas la froideur intrinsèque de la matière oblige les deux chanteuses à des excès expressifs guère orthodoxes, Zampieri atteignant même à un certain expressionnisme (c’est la seule chanteuse que je connaisse qui termine son poing levé vocal à Elisabetta en sprechgesang), compensant par  l’investissement ce que sa voix à angles droits ne peut guère offrir en souplesse (elle est à peu près incapable de rendre justice à une appogiature et ne peut vocaliser qu’en force).  


Dans le final de Devereux (extrait de l'indispensable coffret anniversaire Ponto) on trouve  une volonté identique de sur-interpréter musicalement et dramatiquement les lignes des cantilènes avec un résultat absolument fascinant à mes oreilles, presque hypnotique, grand-guignolesque aussi sans doute, mais que l’absence de rondeur et d’harmonique rend moins pervers, moins sexuel et partant moins glorieusement obscène que la voix de Gruberova dans les mêmes pages. Finalement je me demande si Zampieri n’a pas été la Stich-Randall de la génération perdue des années 80. D’ailleurs quand Edita en était encore au Mozart rococo et aux roucoulades précieuses, sa cadette (née en 1951) s’attaquait à des formats plus larges (Tatiana, Vitellia, Senta, Leonora du Trouvère) qui culminaient avec la Salomé straussienne (précisément comme Stich). Je l’ai vue dans ce dernier rôle à Vienne en 99 et j’en garde un souvenir impressionnant quoique flou (je ne savais guère, en fait, qui elle était) mais gâché par l’impression d’un visage de bonne fille réjouie, peu approprié sans doute pour la danseuse .


Vouée aux gémonies, avec ardeur, par les amoureux du beau chant, Mara Zampireri brûlera aux Enfers de l’Italianita, aux côtés de Rosalind Plowright et de quelques autres, pour avoir remplacé la tonitruante Ghena Dimitrova dans le Macbeth studio de Sinopoli  et pour avoir chanté et triomphé sans complexe dans des Donizetti et des Verdi de jeunesse virtuoses qu’elle a pourtant servis avec un sens réjouissant de la démesure et des aigus spectaculaires et droits, comme il n'est pas permis de le faire. Aujourd’hui elle est La Veuve Joyeuse à Padoue, pendant que Gruberova aborde dans les plus grands théâtres du monde une Norma dont Zampieri s’emparait déjà il y a vingt ans.


Heureusement, pour moi du moins, de surprenantes remontées discographiques nous parviennent périodiquement, comme un Belisario (qui, dans ce rôle byzantin et démesuré, depuis Gencer ?) et une Luisa Miller (complétée par des extraits de Traviata) inédits et même une série d’hommages qui regroupent ses prises de rôles par compositeur ou par école (Verdi, Bellini et Donizetti, Les Véristes).


http://www.operatoday.com/images/566.jpg


Parce que cette voix peu aimable et raide, aux résonnances étranges et à la rhétorique contestable, je la trouve étrangement captivante dans sa sincérité anguleuse. Mais j'ai toujours eu un certain goût pour les marges et la rectitude vocale.

* avec mes sincères remerciements à Bajazet pour le titre de l'article.  

 

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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 17:19






Symboliquement on aimerait que ce soit la dernière prise de rôle de Stignani. Au disque elle a laissé ensuite une Fidalma un peu embarrassante, sans faute mais sans sourire (un comble !) et engoncée. Et un tardif Orphée. En Grande Vestale elle était encore sidérante d’impact et de facilité, avec le grand ton musical qui convient à cette musique et une véhémence étonnante. A ses côté Callas paraissait presque modeste (et s’appliquait à la paraitre sans doute). Simionato, elle, fera vraiment ses adieux dans un rôle classique dans lequel on ne l’imagine pas : la douce Servilla de La Clémence de Titus. C’était une sortie sur la pointe des pieds, mais infiniment plus digne qu’une ultime et poitrinante Princesse de Bouillon ou Ulrica. 


Entre elles deux six ans d’écart (seulement ? Oui mais Simionato est une survivante et surtout s’épanouira après la départ de sa glorieuse ainée) et en commun Adalgisa avec Callas et Amnéris pour les deux Aïda studio de Tebaldi. Une école aussi sans doute, une éthique du chant, un sérieux, un respect. Après viendront, dans les mêmes rôles verdiens et véristes, les charbonneuses, les Cossotto (qui à au moins pour elle un timbre et parfois une impavidité élégante), les Barbieri, les Obraztsova (que j'aime pourtant, mais pour d'autres raisons), les Gorr, les Zajick aujourd'hui. Et même une Kasarova qui se lance le temps d'un récital. Toute poitrine dehors, tout métal aussi, et tout ce qui ne faut pas à Eboli ou à Amnéris. Stignani et Simionato se contentaient de chanter sans jamais surexposer ni la couleur ni le grave, laissant s’exprimer des timbres colorés, naturellement expansifs. Elles n’avaient pourtant pas les mêmes moyens, ni le même foyer. L’aigu était chez l’une comme chez l’autre d’une aisance prodigieuse et surtout d’une projection large et solide, comme celui d’un soprano. Mais la seule Stignani avait pour elle le grave le plus naturel, le plus profond de l’histoire du disque. Dans la scène du jugement d’Aïda (avec Gigli et Canaglia), elle en faisait ressortir toute l’obscurité âpre et désolée (avant un si bécarre « comme une maison » aurait dit Tubeuf …. Ou Hansk) pour une composition impériale. Simionato était de ce point de vue, plus modeste (mais qui a jamais eu les moyens de son aînée ?) et écouter à la suite leurs deux Ulrica est édifiant de ce point de vue. Là où Giulietta compose vocalement, Ebe est l’évidence noire même.





Leur deux carrières furent également éclectiques en  solides troupières qu’elles étaient, du contralto le plus profond (Ulrica, Fidalma, Orféo ou la Zia Principessa de Suor Angelica) au falcon et aux sopranos (Valentine et Iphigénie en Aulide pour Simionato … Annchën, celle de Weber, pour Stignani, traduite et sans aucun doute trahie). Et tous les rôles qu’on attend du premier mezzo de la Scala : Amnéris, Azucena, Eboli, Laura de la Gioconda, Santuzza, la princesse de Bouillon, Adalgisa, Charlotte, Carmen, Dalila, Marina.  Simionato passait pour plus légère et moins systématiquement sérieuse : elle débuta aux Mozart les plus ensoleillés (un ardent et coloré Chérubin avec la comtesse de Tebaldi) et aux Rossini les plus vocalisants, prenant un peu la suite de Supervia. Elle disait que les fioritures ne s’apprennent pas et on sent bien à l’entendre qu’elles viennent comme elles peuvent, par surcroit plus que comme fin. La discipline de Stignani était encore autre chose et elle aurait pu sans doute en remontrer à beaucoup quand il s’agissait de dessiner réellement des vocalises. D’ailleurs, comme Simionato encore, elle enregistra « Casta Diva » (même Marian Anderson le donnait, presque comme un air sacré, ce qu'il est, dans une certaine mesure) mais sans oublier la cabalette. Dans la prière le timbre de l’ainée est plus lourd, celui de la cadette plus séduisant et reconnaissable à la première mesure. Chez les deux l’étoffe est considérable, somptueuse, mordorée, la texture d’une solidité à toute épreuve et l’élégance de la ligne sans faille.






Dans l’absolu Stignani aurait d’ailleurs plus été à sa place en Norma qu’en Adalgisa dont elle ne pouvait plus, au moment où elle l’enregistrait pour la seconde fois (la première c’était avec Cigna), restituer l’indispensable juvénilité, la lumière. Mais évidemment avec Callas elle faisait au moins jeux égal pour la pâte et la noblesse et elle pouvait lui répondre dans les  duos (et les vocaliser). Simionato donnait sans doute mieux l’impression de la sveltesse vocale, de l’élan, qui éclairent Adalgisa, et aussi ses autres rôles belcantistes (Giovanna Seymour, Roméo ou Leonora de La Favorite, dont s’emparait une Barbieri au même moment) sans cesser pour autant d’exercer une impressionnante autorité vocale (question de couleurs, mais aussi de ton). Dans la Valentine huguenote (elle y remplaçait Callas qui avait eu peur de s’aventurer dans ces terres étrangères face à la jeune et radieuse Sutherland en Marguerite), en italien, tronquée et transposée (mais sans craindre le contre-ut) elle donnait un poids musical miraculeux à chacune de ses interventions, et son grand récitatif, sculpté à la serpe, était celui d’une tragédienne vocale exceptionnelle, une présence en somme, dont le timbre brulant éclabousse la partition. Ce n’était plus tout à fait du Meyerbeer mais c’était du grand chant. Cette incisivité éloquente du phrasé, c'est la même qui rend remarquables, par exemple, les quelques phrases de récitatifs avant le grand air de la Favorite.

Stignani eut rarement l’occasion de chanter les tous premiers rôles. En tout cas pas les premiers rôles glamours et payants de jeunes filles. Mignon je n’en suis pas sûr (alors que Simionato le chanta avec Di Stefano, mais avant sa reconnaissance internationale. Un témoignage existe) et Santuzza est un cas un peu à part. Pas de Valentine, d’Iphigénie, de Rosina, de Cenerentola, de Dorabella, de Leonora. Mais en revanche on lui confiait Waltraud et Brangaine, un de ses premiers rôles à la Scala et un de ceux qui assurèrent sa réputation et son statut. Pour les appels du II, elle n’était pas fiévreuse et angoissée mais purement et sublimement vocale. Elle pensait que c’était ce qui lui allait le mieux, ces rôles silhouettes qui peuvent être parfois chants avant tout. « Je suis quelqu’un sans histoire, sans drame » s’évertuait-elle à répondre aux journalistes. « Votre rôle préféré ? » - « Orphée » et elle le chantait d’ailleurs à contre-courant de ce qu’il devrait être : calme, mélancolique, maternel même. Pas de Fidès du Prophète non plus cependant, guère à la mode en ce temps en Italie et on ne peut que le regretter.





Finalement, comme Simionato, son plus beau rôle ce fut peut-être, à l’opposé du poète demi-dieu, Eboli. Dans ses échanges avec une Canaglia presque policée par contamination, la majesté de Stignani, son ampleur, sa puissance rétablissait la réalité historique : à savoir que la princesse borgne était elle trois fois Grande d’Espagne tandis qu’Elisabeth de Valois n’était, après tout, que la petite fille de marchands Florentins.  Personne n’a eu, à ma connaissance, dans « O Don Fatale », et sur un seul souffle, à la fois le grave écrasant et menaçant, tragique, mais en rien caverneux, et l’aigu flamboyant qui s’attarde sans devenir un cri. L’architecture de la musique de Verdi, sa dynamique, rendraient redondante l’expressivité banale à laquelle d’autres, moins douées vocalement, ont recours (où alors elle peut être reprise à l’envers, comme le fait si bien Regina Resnik, en récital et en intégrale). Simionato  a bien entendu la leçon, qui fait de sa princesse un modèle de réserve, de pudeur et finalement de couleurs séduisantes, exploitant ce que les siennes avaient d’exceptionnelles, comme dans sa fantastique Santuzza, où jamais elle ne s'abaissait à jouer à la marchande sicilienne.

Parce qu'en dépit de leur timbre charnu et de leur langue colorée de natives italiennes, en dépit des maladresses ou des excès scéniques (certaines vidéos sont redoutables) Stignani comme Simionato surent, la seconde s'inspirant sans doute de la première, rester superbement stylée dans le drame comme dans le mélodrame. Des classiques en quelque sorte.


   

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22 décembre 2009 2 22 /12 /décembre /2009 12:42

J’ai reçu hier une carte de vœux virtuelle, spirituelle et youtubesque qui chantait Noël à Vienne. Sur l’Isola disabitata, Bajazet nous invite à célébrer l’hiver à grands coups de Rameau et de Pfitzner. Tout le monde sait que je ne conçois Noël qu’Anglais, édouardien, fantomatique et enneigé. Je m’y essaye donc à mon tour, étant particulièrement conventionnel.


A tout seigneur, tout honneur.




Mais pas de Noël sans Emma Kirkby  accompagnée au luth dans au moins une song de Dowland. J’ai des principes.



Pas de Noël non plus sans Stuart Burrows et ses ballades victoriennes.


Impossible de ne pas écouter la merveilleuse Fantaisie concertante de Tippett sur un thème de Corelli (lui-même compositeur d’un célèbre concerto de Noël, mais italien, ce sera pour l’année prochaine, quand on échangera le pudding contre du panettone).   



Et Brahms à l’anglaise ou plutôt à l’universelle, pour terminer :


Je suis bien conscient que tout cela ne pourra pas remplacer le Barnaby de Noël dont on nous a cruellement privés cette année pour cause de Bêtisier 2009. Audimat, que de crimes on commet en ton nom ! 

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15 décembre 2009 2 15 /12 /décembre /2009 13:38

Allez savoir pourquoi, cette musique me semble idéale au moment de l'Avent.


 


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14 décembre 2009 1 14 /12 /décembre /2009 19:34




http://www.lesmanantsduroi.com/Images11/pasiphae-1.jpg


Si André Tubeuf n’avait pas écrit, ce blog n’existerait peut-être pas. En tout cas je n’y parlerais sans doute pas de musique, car je ne vois pas l’intérêt de le faire avec une autre manière que la sienne.

Adolescent, le seul accès à la culture lyrique que j’avais, outre les catalogues de cd que je collectionnais, était ma petite médiathèque provinciale qui proposait une poignée d’enregistrements (auxquels je demeure terriblement attaché) et surtout la collection  exhaustive des Avant Scène Opera. Les anciens, ceux en noir et blanc, avec Germaine Lubin en couverture pour Alceste. Tout mon imaginaire en la matière s’est donc forgé autour d’un certain ton, voire d’une certaine éthique musicale, qui reste à mes yeux essentiel à toute critique ou toute réflexion sur l’art lyrique. En vertu de cette approche, l’opéra et la vocalité ne sauraient être des objets finis et autocentrés dont l’objectif ultime est le plaisir charnel ou dramatique procuré à l’oreille et parfois aux yeux. On ne peut pas réfléchir la voix qu’en fonction d’elle-même et de son adéquation sonore à la partition. Hérésie ? Pas sûr.

Nos anciens critiques des Avant Scènes qui disposaient d’un bagage musical et culturel autrement plus important que le mien, font preuve d’une ouverture à la transversalité des disciplines dont on ne trouve que peu d’équivalents aujourd’hui. Prenez les Lady Macbeth d’Elisabeth Höngen ou de Martha Mödl. Tubeuf, et pas que lui, y entendait Shakespeare et les sorcières archaïques. Il les entendait vocalement : par les couleurs, le ton, les voyelles et les consonnes, par le grave ou par l’aigu, par l’émission ou l’intonation, qu’elles soient justes ou pas. Ce n’était pas tant la correction qui comptait que l’utilisation. Il est certain qu’une part de fantasmes rentre en jeu. Mais si on a étudié Michelet et Shakespeare comment ne pas avoir les mêmes ?  C’est ce que je me demande quand je lis ici ou là que ces chanteuses sont obsolètes parce qu’elles n’ont pas  « l’italianita », les vocalises ou le contre-ré bémol du somnambulisme. Qu’est-ce que la musique pour ces gens ? Couac ou non couac ? Son ou non son ? Verdi ne pensait-il pas possible d’entendre sa Lady Macbeth autrement que par toutes les notes écrites ? N’avait-il pas aimé, Shakespeare ?  On est heureux de lire que Richard Strauss plaçait Lotte Lehmann au dessus de toutes les autres, car sinon on viendrait sans doute nous expliquer qu’elle n’a pas le moelleux ou la justesse, que sais-je encore, indispensable à la Maréchale.

En évacuant la littérature, l’histoire et tout ce qu’on voudra, de l’interprétation, les mélomanes des années 2000 se sont placés absolument du côté de la « culture Opera International », en utilisant uniquement des données non pas tant musicales d’ailleurs que musicologiques. Horizon singulièrement tronqué et, à mon sens, peu flatteur pour les compositeurs, tout à coup réduits à une identité unique, celle de pourvoyeurs de notes. Au passage on a fait abstraction d’un monde, d’une sensibilité, d’une couleur musicale, d’une culture enfin, parce qu’elle avait été louée mais qu’elle ne correspondait en rien aux nouvelles lois musicologiques. Adieu donc aux wagnériens de l’avant-guerre et aux mozartiens des années 40-50. Non pas que les critiques qui les avaient aimé avaient nié leurs défauts ou leur difficultés, mais ils avaient été capables d’y sentir de la musique et de l’humanité. Aujourd’hui lire une interprétation en utilisant défauts et grâces pour aboutir à une vision semble aberrant. « Les aigus sont trop bas ». « Le trille est escamoté ». « La phrase est transposée ». Certes. Parlez autrement est devenu ridicule. Entendre autrement est devenu anormal. Si on ajoute que la prédominance des voix larges et percutantes l’emporte à peu près partout, dans toutes les tessitures, tous les répertoires et tous les rôles, sous des prétextes qui masquent mal le pur et honorable onanisme auditif qui en découle, il ne reste aux admirateurs d’Irmgard Seefried que leurs yeux pour pleurer. 

Tubeuf à propos duquel j’ai lu souvent qu’ « il s’écoute parler », résume en fait ce phénomène à lui seul et sans doute à son corps défendant, jusqu’à dans le désamour qu’il rencontre aujourd’hui auprès du client habituel des forums lyriques. Il a la culture de « l’avant » (qu’il ne place pas au dessus. Simplement il en connait les codes et sait l’apprécier), l’amour des mots, l’horreur des catégories et la fascination pour les voix (« ce n’était pas l’opéra que j’aimais, c’étaient les voix »)  et pour les héros. A chaque fois que j’écris une ligne, à ma modeste échelle, en rapport avec la musique, j’ai tout cela, qui sont pour moi des qualités, en tête, jusqu’à dans des tics d’écriture que j’ai repris et que j’efface plus ou moins adroitement à la relecture. La flamboyance et la singularité du style lui ont offert sans doute une place à part dans mon panthéon, mais ce que je viens d’exprimer vaut aussi pour Pierre Flinois, pour Piotr Kaminski, pour Remy Stricker, pour Jean-Charles Hoffelé … quel que soit mon degré de sensibilité commune avec chacun d’entre eux.


http://www.jcbourdais.net/journal/images_journal/pasip3.jpg


Tout ce qui précède devait être la courte introduction aux quelques lignes qui vont suivre et que j’avais intitulé « L’Abécédaire Tubeuf ». J’avais pour ambition d’éclairer quelques points qui ne peuvent parler qu’à ceux qui ont Le chant retrouvé comme livre de chevet.  

 

Astrafiammante : La reine de la nuit a un prénom. Qui s’en souvient ?  Tubeuf pour parler de Joan Sutherland avec Klemperer. Elle « flamboie » en plus.

« Bonne voix, mais qui semble vendre du drap » : Antonietta Stella assassinée en une phrase pour ses deux Elisabeth de Valois dans les Don Carlos d’EMI puis de DG dans la discographie de l’Avant Scène. Un peu plus loin il était question de Janowitz « même Janowitz est vivante au jardin ». 

« Chez elle aucun son n’était vierge » : repris à Walter Legg à propos de Lotte Lehmann. Citation approximative, j’ai la mémoire qui flanche.  

Considérable : que l’on doit considérer. Adjectif fréquemment utilisé et redoutablement efficace. Pour ma part j’essaye d’y substituer « miraculeux » ou « phénoménal ». C’est vraiment trop signé autrement.

Edita Gruberova : Tout le monde fait semblant de ne pas remarquer que Tubeuf,  grand et enthousiaste admirateur de Callas, chante avec constance les louanges d’Edita Gruberova depuis trente ans, y compris dans le répertoire belcantiste.  « On verra son école et son imagination » mais là il parle de ses lieder de Strauss.

« Fan jusqu’à l’adoration » : de Brouwenstijn. Déçu par sa Sieglinde d’autant plus qu’il est « fan jusqu’à l’adoration ». Cette phrase m’a hanté et m’a donné une envie irrésistible de découvrir la dame.

Ineffable : voir « considérable ». Autre adjectif inutilisable maintenant.

Janet Baker : Tubeuf n’aime pas Janet Baker. C’est un mystère pour moi et une souffrance je dois bien le dire. Il dit même qu’elle est « nulle » (au sens d’inexistante) dans le Requiem de Verdi. Qu’à son Alceste manque la dignité de la langue. Et je ne sais quelle autre bêtise.  

Liquide, liquidité : encore des mots confisqués. Mais c’est peut-être moins flagrant.    

Il faut savoir quand une affaire est finie : la maréchale au troisième acte du Chevalier à la Rose. Utilisé à toute occasion pour marquer l’idée qu’une page est tournée, qu’un rôle doit être abandonné.   

Je (absence de) /on : l’effacement de la première personne est systématique chez Tubeuf, même quand il parle de chanteuses avec lesquelles il a eu des relations privilégiées. « On » abonde, par compensation, qui est, au fond, un « je ».

Marie-Thérèse et Rosine : voir Astrafiammante. Deux héroïnes particulièrement aimées et tendrement appelées par leurs prénoms. D’un point de vue freudien c’est passionnant.

Même (La crédibilité même, la jeunesse même) : il y aurait tant à dire des procédés stylistiques de Tubeuf. Il en confisque certains avec la même énergie qu’il réquisitionne du lexique.

Une sous-Streich et même une Sous-Otto : à propos d’Erika Köth (en Despina je crois). Quelqu’un sur le site de Bajazet avait écrit (Orlando ?) avait écrit. « Une Sous-Otto ? C’est bien vachard ». C’est sûr.

Pailles d’intonation : cette expression me plonge dans des abimes de réflexions. Je l’ai comprise comme « légères failles d’intonation ». La parenté euphonique peut-être.

Quinquin : Comme son prénom est employé fréquemment dans l’opéra, Oktavian de Rofrano, aimé (ou aimée, c’est selon) a droit, sous la plume de Tubeuf, au surnom que seul pourtant la Maréchale lui donne.   

Raptus vocal : Marianne Schech qui « a pu être impressionnante de raptus vocal  dans la Teinturière» n’est pas une Maréchale (discographie de l’Avant Scène Opera encore). Définition du raptus : « Il s’agit d’un comportement brusque, issu d’une pulsion puissante, et pouvant avoir des conséquences graves (assassinat, suicide, fuite etc...).

Les raptus s’observent notamment dans les crises épileptiques et dans la mélancolie.
Au cours d’un raptus, le champ de la
conscience est fortement perturbé. »  

Qu’en pense Schech ? 

Readiness is all : Hamlet (Acte V, scène 2). Citation fréquente. En anglais parce que Readiness est presque intraduisible.  

De rêve : une Mimi, une Sophie, un Rodolfo, un Werther « de rêve ». En général convient mieux aux rôles positifs et un peu éthérés. Je ne crois pas qu’il dise « un Scarpia de rêve ».

Sublime : je ne me rappelle plus de la citation exacte. C’est à propos du Requiem de Verdi dirigé par Solti. Sutherland aurait comme langage quelque chose comme « le sublime pur ». C’est vrai dans cette œuvre d’ailleurs. 

Stich-Randall : Tubeuf est un petit peu sa Némésis. Pour en vouloir autant à une chanteuse qui n’a pas eu le retentissement international d’autres mal aimées, comme Jones ou Janowitz, il a fallu qu’elle soit beaucoup invitée à Aix.

Troupier/Troupière : Je crois qu’il l’utilise d’avantage  au féminin. Membre d’une troupe, avec les qualités d’adaptation et d’endurance qu’on en attend. Tubeuf a fait du mot, un peu péjoratif, un compliment (à propos de Simionato par exemple).

« Voi l’amaste ? …. Sorgete ! » : à propos de l’Elisabeth de Valois de Sena Jurinac (Le Chant Retrouvé). Tubeuf fait remarquer qu’au lieu de se durcir pour le « Sorgete » Jurinac y est pleine de tendresse et de compassion. Depuis je juge toutes mes reines d’Espagne à ces deux phrases. Cotrubas les fait tellement bien que je la soupçonne d’avoir lu Tubeuf.

http://www.explorecrete.com/history/images/pasiphae-minos.jpg

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