1967 c’est, comme tout amateur le sait, l’année où Katharine Hepburn remporta le deuxième de ses quatre oscars, trente quatre ans après le premier. Victoire controversée, souvent attribuée au sentimentalisme des votants, Hepburn, notoire récalcitrante (encore que Jane Fonda ait prétendu le contraire dans ses mémoires) aux prix et aux cérémonies, venant de perdre son compagnon et partenaire privilégié, Spencer Tracy. Face à elle, deux interprétations restées iconiques dans deux films qui ne le sont pas moins. C’est peut-être là la raison de la grande colère des cinéphiles.
· Anne Bancroft pour Le Lauréat (M.Nichols)
· Faye Dunaway pour Bonnie and Clyde (Arthur Penn)
· Edith Evans pour Les Chuchoteurs (B. Forbes – hélas indisponible avec sous-titres pour l’instant, j’ai une VHS américaine, en ce qui me concerne)
· Audrey Hepburn pour Seule dans la nuit (Terence Young)
· Katharine Hepburn dans Devine qui vient dîner ? (Stanley Kramer – disponible dans le coffret Kramer avec stf)
En parlant d’icône, voilà Anne Bancroft en Mrs Robinson, celle de la chanson. Ou comment faire beaucoup avec peu de choses, ou plutôt comment réussir à suggérer énormément avec peu d’espace. Le Lauréat n’a qu’un véritable personnage et c’est celui qui donne son titre au film. L’énorme succès du film, son retentissement « sociologique », le rayonnement du nom tout neuf de Dustin Hoffmann (et celui de Nichols, un an après Qui a peur de Virginia Woolf ?) pour ne rien dire de la BO, n’empêche pas qu’au fondement de son financement le nom d’Anne Bancroft, première au générique, si ma mémoire est bonne, ait eu quelque importance. On avait d’ailleurs proposé le rôle à Doris Day (excellente idée, dans l’absolu). Le choix d’Anne Bancroft (pas beaucoup plus âgée que son partenaire en réalité) s’avéra le bon et elle remporta, outre une popularité remarquable, le Golden Globes (dans la catégorie comédie, ce qui est amusant, quand on y pense, le personnage étant plutôt sinistre) et une nomination aux oscars. En revoyant le film j’ai été impressionné par la qualité constante de son interprétation, que je ne saurais pas réellement décrire ou analyser. L’autorité et la maturité, d’accord, c’est impressionnant (dans sa fameuse scène de séduction, les ordres qu’elle donne sont toujours remarquablement « donnés »), la séduction physique était indispensable, elle en a revendre, on s’y retrouve. D’autres en auraient eu autant ou plus. Le mystère, qualité plus rare, est une autre caractéristique essentielle du personnage : qui est-elle ? Qu’éprouve-t-elle ? Où en est-elle ? L’interprétation de Bancroft n’offrira aucune clef que ne donne pas le scénario, pourtant on ne peut pas parler d’underplayment. C’est plutôt qu’opérant un choix finalement très naturaliste Anne Bancroft ne raconte rien puisque son personnage lui-même n’exprime rien : Mrs Robinson sait parfaitement qui elle est et pourquoi elle agit ainsi, elle n’a pas besoin de l’expliquer à ceux qui l’entoure. Un exemple parmi beaucoup : quand elle dit que Benjamin est tout à fait à la hauteur de sa fille, elle n’use pas d’un ton haineux (« tiens une mère qui déteste sa fille, c’est intéressant »), elle énonce un fait avec simplement une pointe d’agressivité. Ce sentiment ambivalent par rapport à son enfant elle y a trop réfléchi, ce n’est pas une découverte. C’est un peu le problème de Mrs Robinson : rien n’est une découverte pour elle (sauf peut-être le degré de colère qu’elle est capable d’atteindre quand elle gifle à toute volée Katharine Ross). Malgré ses qualités (pour ne rien dire de l’humour, de l’intelligence, de sa manière de réagir à l’inexpérience de Benjamin à l’hôtel) je comprends ceux qui l’écartent de la catégorie : comme je l’ai dit, le film appartient avant tout au protagoniste.
Après Mrs Robinson, Bonnie Parker, madone des tueurs et presque première rôle de Faye Dunaway. J’aime énormément, ça n’étonnera personne, Faye Dunaway, mais c’est dans le registre sophistiquée que je la préfère. Et si Bonnie and Clyde est un classique, il ne fait précisément pas partie des classiques que j’affectionne. En découvrant il y a peu Pretty Poison, qui date de 1968, j’ai été frappé par ce que, par comparaison, Bonnie and Clyde pouvait avoir de daté. Cette critique pourrait d’ailleurs s’appliquer également au personnage et à l’interprétation de l’actrice. Paradoxalement c’est la sexualité (et nous sommes en pleine libération sexuelle) qui structure l’interprétation de l’actrice, occupée à éblouir et troubler par tous les moyens le spectateur. Ainsi de la scène de rencontre, culminant avec le moment où Bonnie découvre le gros pistolet de son Clyde. Dunaway affiche et revendique la métaphore sexuelle des séquences, avec franchise mais pas vraiment de finesse, humecte ses lèvres et roucoule sensuellement. L’allure, la jeunesse, le chic inné de l’actrice offrent un magnifique visage à une petite frappe, probablement bien moins distinguée et élégante que son imitation. Cela dit je pense que Dunaway, manifestement anxieuse de faire impression, était le choix de casting idéal pour la vision que Penn avait de son personnage : effectivement on comprend qu’elle espère autre chose de la vie qu’un mari et un travail minable. Les meilleurs moments de l’interprétation de Dunaway se joue d’ailleurs dans les scènes où elle affiche une frustration, une tristesse, qui nous rappelle sa fragilité (quand Clyde devine qu’elle est serveuse par exemple, sa réaction est très émouvante). Evidemment je reste client de ses moments d’explosion, qui annoncent un peu ses futurs maniérismes. Evidemment je vois bien le naturel et la fougue conjugués et évidemment le couple qu’elle forme avec Beatty est superbe (la franchise de son désir pour lui, à nouveau, est intéressante et nouvelle). Mais je reste sur une impression mitigée : rien ne surprend vraiment dans ce jeu, pas plus que dans celui de son partenaire d’ailleurs et surtout rien ne dérange vraiment, quand on les compare à d’autres couples maudits de l’histoire du cinéma (Perkins-Weld dans Pretty Poison encore !) Peut-être qu’en 1967 cette séduction presque prédatrice pouvait surprendre, mais aujourd’hui … icône d’accord, mais je ne sais pas s’il y a beaucoup plus. Et j’ajoute pour finir qu’elle se fait quand même manger en deux par l’interprétation brillantissime d’Estelle Parsons en belle-sœur hystérique et stupide. Un comble.
Edith Evans était une légende du théâtre et avait déjà été nommée deux fois aux oscars avant d’être la favorite en tant que leading lady (pour la première fois) en 1967 pour Les Chuchoteurs (d’un réalisateur qui avait déjà porté chance à Leslie Caron et Kim Stanley). Finalement elle remporta tout (Bafta, Golden Globes, National Board of review, Prix de la critique new-yorkaise et prix d’interprétation à Berlin) hors l’oscar. Gloire à elle, présence fascinante (quel visage !) et actrice extraordinaire qui trouva un rôle à sa mesure à un âge où d’autres ont raccroché depuis longtemps. Il faut vraiment voir le film pour prendre la mesure de son interprétation, prouesse émotionnelle qui laisse pantois, épuisé et dépressif à la fois. Evans interprète, elle qui était patricienne en diable, une pauvre femme, presque idiote ou en tout cas extraordinairement naïve, qui semble représenter à elle seule toute l’idée qu’on peut se faire de la misère sociale et de la pauvreté spirituelle ou culturelle. Son interprétation est curieusement peu théâtrale, d’un réalisme quasi cru, documentaire en fait, ce qui s’accorde parfaitement au ton du film. Le poids de sa diction est, à lui seul, phénoménal et donne à toute ses performances un pouvoir immense, mais c’est ici question de charisme et de technique. Si l’on s’en tient au cœur émotionnelle de l’interprétation, il y a encore plus à admirer, la composition de l’actrice oscillant avec brio entre le pathétique le plus bouleversant (ses échanges avec son mari indigne, revenu pour un temps bref) et une espèce d’absurdité « à l’anglaise » qui pourrait, si la situation n’était pas aussi tragique, faire rire le spectateur. Elle ne tranche jamais et le spectateur ignore finalement si elle est absolument folle, complètement stupide ou juste désespérée au point de se réfugier dans une bulle imaginaire. Ce que j’ai ressenti devant cette interprétation c’est le sentiment si douloureux de l’incompréhension et de la gêne devant l’étrangeté d’autrui. Quand Edith Evans parle toute seule, s’embrouille, se perd dans ses incohérences on se retrouve brutalement confronté, avec, j’insiste, un sentiment violent de réalisme, à la folle du métro croisée la veille ou à sa voisine en voie de clochardisation et bipolaire. J’en frissonne encore.
Evidemment, Audrey Hepburn souffre de la comparaison. J’ai été surpris en revoyant Seule dans la nuit de la relative médiocrité de son jeu, dès qu’elle est confrontée à un défi technique. Elle joue ici une aveugle terrorisée (le film est assez connu et passait souvent à la télévision autrefois), un rôle plutôt « oscarisable » même si Seule dans la nuit est un thriller, genre pas exactement prisé des votants. Mais enfin elle décrocha sa dernière nomination pour le rôle. Ce fut une année faste d’ailleurs, puisque les GG la nommèrent deux fois : pour ce film (catégorie dramatique) et pour le célèbre et incomparablement meilleur Deux sur la route de Stanley Donen. Un rien bêlante (ça dépend de l’humeur, on peut aussi l’entendre vocalement plutôt touchante j’imagine) mais physiquement encore adorable en 1967, Audrey Hepburn ne semble pas à l’aise du tout pour représenter son handicap. Cette impression est sans doute due, comme me le fait remarquer Anne-Laure, à des lentilles posées pour simuler l'aveuglement et terriblement gênante pour l'actrice. Le regard est souvent, presque imperceptiblement, mobile et on le spectateur le perçoit vaguement. Un des plans censés nous révéler justement l’absence de lumière dans le regard est marqué par une intensité, par ailleurs assez facile, absolument hors de propos pour un tel rôle. Hepburn a toujours tellement utilisé ses yeux pour séduire le spectateur qu’elle semble démunie quand on lui enlève cette part essentiel de sa personnalité cinématographique. Il faut comparer vraiment ce que fait Hepburn avec la composition de la jeune Elizabeth Hartmann deux ans auparavant dans Un coin de ciel bleu. L’impression de fragilité, de perte des repères était beaucoup plus poignante et réaliste (cela dit Hepburn interprète une jeune femme devenue aveugle récemment, Hartmann jouait visiblement une jeune fille qui était handicapée depuis la naissance). Pour le reste la performance est sympathique, parce qu’à la fois l’actrice et le personnage le sont, ce qui donne l’essentiel de sa force au scénario puisqu’il est nécessaire qu’on s’intéresse à elle pour accepter les ficelles du scénario, mais l’interprétation à proprement parler ne dépasse pas, comme le film, le niveau attendu pour un honnête divertissement.
Je ne crois pas que les deux Hepburn aient été en compétition l’une contre l’autre une année autre que celle-ci. Katharine faisait, après une pause de cinq ans, son retour au cinéma dans Devine qui vient dîner de Stanley Kramer qui, comme producteur puis réalisateur faisait partie des grands favoris de l’Académie des Oscars. Dans l’absolu la nomination n’était pas vraiment étonnante donc, même si on écarte la question de la mort de Tracy (lequel est d’ailleurs remarquable, à son habitude). Je le dis haut et fort et sans honte : je ne vois pas quoi reprocher à l’interprétation dénuée de sentimentalisme de Katharine Hepburn, qui n’a sans doute pas un rôle aussi actif que celui de son conjoint (elle n’a pas de grands monologues, même si son « clip oscar » est assez visible dans le film), mais dont la présence à l’écran est effective et d’ailleurs relativement développée. Ce qui m’a frappé dans ce qu’offre le personnage c’est d’abord son humour, vrai, franc, net qui nous apprend (nous rappelle ?) que l’actrice pouvait exceller dans un registre réaliste (assez éloigné pourtant de ses grandes performances comiques). Anne Bancroft était très drôle, mais le film la servait mieux. Dans ses toutes premières scènes, Katharine Hepburn, découvrant Sidney Poitier, son futur gendre, noir, affiche une suite d’expressions à la fois très analysables et vraiment drôle. Ensuite, le personnage est posé et brille tout de suite par son mélange de décontraction (la partie est jouée) et en même temps de tension (ce n’est pas si simple). Très chic finalement. Justement l’élégance est caractéristique non seulement de la femme Hepburn (dans ce qui ressort chez le personnage qu’elle ne compose pas de ce point de vue, ce qui est assez classique chez elle) mais aussi de tous ses choix d’interprétation, qui privilégient une quasi nonchalance, une distance intéressante, car naturel. Hepburn ne fait pas un drame de la situation (il faut la voir renvoyer sans élever la voix une employée malintentionnée par exemple), sauf, lors de sa discussion avec Tracy, les larmes dans les yeux et la voix tremblante, mais la tendresse que le couple a manifestée pendant toute la durée du film rend cette manifestation d’émotion juste, naturelle et attachante. Ce seront mes derniers mots sur la question !
Pour rappel Evans rafla tout. Parmi les concurrentes rencontrées en dehors des nommées : Vanessa Redgrave en Guenièvre de conte de fée dans Camelot (GG), Julie Andrews s’ébrouant avec entrain dans une de ses meilleures prestations comiques (Millie - GG) ou Elizabeth Taylor éblouissante Mégère apprivoisée (Donatello italien, Silvana Mangano remportant le prix pour la catégorie italienne pour Les Sorcières) pour un film où elle offre une interprétation pleine de richesses et de sous-entendus (plus que ce lui offrait le rôle, finalement). Voilà ce que pour quoi je me suis décidé (sachant que je n’ai pas vu, à mon grand regret, The Fox, autre classique à prix de cette année avec Anne Heywood nommée aux GG et Sandy Dennis) :
· Julie Andrews pour Millie
· Edith Evans pour Les Chuchoteurs
· Audrey Hepburn pour Deux sur la route (comme tout le monde en fait : Audrey Hepburn y est, dans mon souvenir, déconcertante et assez loin de son image cinématographique tout en formant un couple inoubliable avec Albert Finney).
· Katharine Hepburn pour Devine qui vient dîner ?
· Elizabeth Taylor pour La Mégère apprivoisée