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23 octobre 2009 5 23 /10 /octobre /2009 10:54





Encyclopédie subjective du cinéma

Il y a dans l'écriture de Sagan, dans ses choix de structure, dans sa narration, quelque chose de profondément cinématographique. La nudité, la froideur simple, la concision, qu'elle mettait à ses récits s'illustrent avec aisance à l'écran, qui, en réponse, les prolonge et même les humanise. D'ailleurs les adaptations scénaristiques de ses romans sont toujours remarquablement fidèles.

Aimez-vous Brahms ? s'ouvre sur l'image d'une femme parisienne pressée qui court après un taxi et bien entendu, métaphoriquement, après le temps qui passe. Un plan la ressaisit de plus près, légèrement essouflée. C'est Ingrid Bergman, perdue au milieu des bâtiments et de la circulation. Absolument rien, ni la quarantaine, ni la silhouette un peu alourdie, ni l'attitude agitée, ne peut venir ternir la beauté d'un visage qui semble justifier à lui seul l'invention à la caméra. Pendant qu'on la voit courir on entend plusieurs variations sur les mesures initiales du 3ème mouvement("Poco Allegretto" - On est tenté de traduire par « peu allègre » ce qui définit assez bien le film) de la 3ème symphonie de Brahms. Ces quelques notes plaquées sur le paysage urbain, expressément parisien, filmé dans un noir et blanc austère suffisent à donner au film une dimension profondément mélancolique et rythmeront de manière entêtante le récit des amours tourmentées de l'héroïne cueillie in media res par le réalisateur.


Vêtue par Christian Dior et ainsi donc à la pointe d'une certaine mode française, Bergman s'appelle ici Paula (curieusement c'était aussi son prénom, relativement rare pourtant, dans Hantise, tourné plus de quinze ans auparavant). Elle exerce un métier aussi futile et élégant que l'est sa garde-robe : « décoratrice d'intérieur ». Autour d’elle pourtant tout est bancal. La capitale l’entoure et la broie un peu.

Tourné en extérieur, le film, en quelque sorte victime de sa double nationalité franco-américaine, insiste volontiers sur les composantes urbaines les plus reconnaissables de Paris. La bande annonce pour la sortie américaine du film (sous le titre de Goodbye again) est passablement insupportable de « oh là là, naturellement mon ameee, ici Pareeee et les Champs Hélysées ». Si le public s’attendait à une nouvelle version de J’ai épousé un français (adaptation, sortie deux ans auparavant, d’un délicieux roman de Nancy Mitford) on comprend l’insuccès relatif du film outre-Atlantique.


La relation amoureuse de Paula reflète bien ses rapports avec ce monde qui l’entoure : elle est stérile, un peu sordide, un peu brillante et très française puisque c’est Yves Montand qui joue son amant inconstant. Pour jouer un parisien très fat, à la séduction gominée, Montand n’a pas à composer, il n’a qu’à paraître. Pendant tout le film le spectateur ne peut que constater le masochisme de Bergman qui, croisant, au détour d’une commande pour une cliente, un américain très beau très jeune, très sensible et rapidement amoureux d’elle à en mourir (c’est Antony Perkins, un an après Psychose, qui offre à son rôle une fragilité et une grâce poignantes. Il recevra le prix d'interprétation à Cannes.) hésite entre les deux hommes pendant les deux heures que dure le film pour choisir de revenir à sa médiocrité initiale, plus rassurante, plus normale aussi.


Aimez-vous Brahms ?
ne raconte que cela et Anatol Litvak (dit « Tola » et ancien spécialiste du Women’s picture à la Warner puis à la Fox, il avait dirigé Bergman dans son retour hollywoodien, après l’intermède italien, dans Anastasia en 56) prend son temps pour épouser chaque détail du récit et mettre en valeur les deux acteurs principaux dont la tendresse éclabousse l’écran. Leur différence d’âge, qui est au centre de la problématique du scénario, sans avoir rien de choquant visuellement, est soulignée par les tenues, les coiffures, l’assurance de Bergman, quelque chose de serein aussi, en dépit de tout, que contre systématiquement l’immaturité triomphante de Perkins, ses regards d’enfant affamé. Le spectateur ne peut donc que constater, dès leur rencontre, que cet amour n’est pas voué à l’éternité.

C’est pour cela, peut-être, qu’Aimez vous Brahms ? est un film plus mélancolique que triste, un film automnal, même s’il se passe en partie au printemps.
De même que le passage des saisons la mise en scène ne révèle aucune surprise et c’est ce qui explique aussi sa modeste perfection : chaque plan de la scène finale, par exemple, est parfaitement attendu par le spectateur, qui peut ainsi se livrer en toute tranquillité à un sentiment de catharsis libérateur, constater le gâchis que peut représenter une vie (la sienne ?) et laisser libre cours, et sans honte, à ses larmes quand Bergman, après avoir rompu avec son trop bel américain, parce que elle est « trop vieille », comme elle le répète inexorablement, voit son dîner annulé par l’amant infidèle auquel elle a tout sacrifié. Sans avenir, ni à court ni à long terme, elle se contemple dans le miroir de sa luxueuse coiffeuse et dans un long et lent mouvement, devenu un classique, se démaquille. Le plan final (que Stephen Frears reprendra quasiment à l’identique à la fin de ses Liaisons dangereuses, vingt ans plus tard) repose sur le visage bouleversant de l’actrice. De l’art de faire du beau avec du désespoir.


 

Le titre du film, et du roman, provient directement d'une question que pose Perkins-Philipp à Bergman-Paula avant de l'inviter à un concert. Ils y entendent, évidemment, la 3ème symphonie de Brahms. Ici le 3ème mouvement par Furtwangler.

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22 octobre 2009 4 22 /10 /octobre /2009 15:04






J’aime les listes, c’est là mon moindre défaut. Elles ont quelque chose de si parfait, de si achevée dans leur modestie. C’est tout une partie de ma personne qui se réjouit quand elle confrontée à une belle liste. Donc pour l’instant cet article ne sera qu’une assez banale « liste de mes films préférés », rayon naphtaliné. Au fur et à mesure j’espère développer le concept pour en faire  une petite encyclopédie cinéphilique.

Il n’y aura rien de suivi ou de systématique. Ce n’est pas la première visée de ce blog. Certains films ont été très bien analysés sur Sniff and Puff (voir ici : link) aussi je renverrai tout simplement, le moment venu, au blog en question. Pour d’autres je remplacerai l’article sur le film lui-même (s’il fait déjà l’objet d’une riche bibliographie) par un portrait de l’actrice principale.

C’est un peu une démarche « anti Tavernier-Coursodon » (dont j’admire et apprécie énormément l’ouvrage, là n’est pas la question) : pas un Ford, pas un Preminger, pas un Lang, pas un Mankiewicz. Le plus romanesque, le plus hollywoodien, des films d’Hitckock. Le plus luxieux (le seul luxieux ?) des films de Lumet. Delbert et Daniel Mann, Wyler, Leroy, Miller ou MacDougal. Un wester égaré ici, mais qui m’avait coupé le souffle. Peu de films noirs et aucun classique du genre. Mais des mélodrames flamboyants à la pelle, de somptueux romans-photos et beaucoup de films pseudo-historiques.

Le camp rode, j’en suis conscient mais je ne peux pas me voiler la face : c’est le cinéma que j’aime, même au premier degré et même en le suranalysant pour me donner bonne conscience. Autant de films, quelles que soient leurs qualités artistiques (et elles sont parfois très grandes), que je pourrais regarder inlassablement (j’emploie le conditionnel car certains, pour m’avoir fait une impression inoubliable lors d’un passage télévisuel ou une séance à la cinémathèque, n’en ont pas été plus édités officiellement pour autant).


 

 

Aimez-vous Brahms ? (1961) Anatol Litvak

Airport (1970) George Seaton/Hotel International (1963) Anthony Asquith

L'Arbre de vie (1957) Edward Dmytryck

L'Atlantide (1949) Gregg C. Tallas

Au revoir Mr Chips (1939) Sam Wood

L'Aventure vient de la mer (1944) Michel Leisen  

The Best of Everything (1959) Negulesco, voir ici

La Blonde défie le FBI (1966) Franck Tashlin  

Camelot (1967) Joshua Logan  

Car sauvage est le vent (1957) Cukor

Ces folles filles d’Eve (1960) Levin

La Chanson du souvenir 1945 C.Vidor

Le chant du printemps (1937) Robert Z. Leonard

Les chemins de la liberté
(1941) Hansen

La Chute de l’empire Romain (1962) A.Mann

La Colline de l’adieu (1955) King

Le Crime de l’Orient Express (1974) Lumet

Deanna mène l’enquête (1945) David

Depuis que ton départ (1944) Cromwell

Désirée (1954) Koster

Les Dolly Sisters (1945) Cummings

Duel au soleil (1946) K. Vidor

La dynastie des Forsythe (1949) Compton-Bunnett

Echec à Borgia (1949) King

Ecrit sur du vent (1956)  Sirk

Les Ensorcelés (1952) Minelli  

L’Egyptien (1954) Curtiz

Fanny (1961) Logan

Feuilles d’Automne (1956) Aldrich

Le Fil du rasoir (1946) Goulding

La Furie du Désert (1947) Allen, voir ici : link

La Garce (1950) K.Vidor

Géant (1956) Stevens

Le Grand Mensonge (1941) Goulding

Histoire d’un amour (1961) Miller

Ils n’ont que 20 ans (1959) D.Daves, voir ici : link

In This our life (1942) Huston

Les Invités de huit heure (1933) Cukor

The Lost Moment (1947) Gabel

Justine (1968) Cukor

La Loi du Seigneur (1956) Wyler

Lydia (1940) Duvivier

Ma Cousine Rachel (1952) Koster

Ma Femme est un grand homme (1947) Potter

Ma Tante (1958) Da Costa

Madame Curie (1943) Leroy

Madame X (1966) Lowell-Rich, voir ici : link

Maison de Rendez-vous (1950) Gout

La Maison du Diable (1963) Wise

Mame (1974) Saks

Marie-Antoinette 1938 Van Dyke

Le Masque arraché (1952) Miller

La Mauvaise graine 1956 Leroy

Le Mirage de la vie (1959) Sirk

Myra Breckinridge (1970)  Sarne

Les Oubliés (1941) Leroy

Le Narcisse noir (1947) Powell

La Nef des fous (1965) Kramer

Les Noces de cendre (1973)  Pierce

Par l’amour possédé (1961) J.Sturges

Passion immortelle (1947) Brown

Péché Mortel (1945) Stahl

Picnic (1955) Joshua Logan  

Piège à Minuit (1960) Miller

Les Plaisirs de l’Enfer (1957) Robson

Plus on est de fous (1943) Stevens

Quarante tueurs (1957)  Fuller  

Rebecca (1940) Hitchcock

Reviens, petite Sheba (1952) Daniel Mann

Rivalités (1964) Dmytryck

La Rumeur (1961) Wyler

Soledad (1969) Camus, voir ici : link

Something for everyone (1970) Prince

Songe d’une nuit d’été (1935) Dieterle

Stolen Face (1952) Terence Fischer

Tables séparées (1957) Delbert Mann

Tout ce que le ciel permet (1955) Sirk 

Toute la ville danse (1938) Julien Duvivier  

Une femme diabolique (1955) MacDougall

Une femme en enfer (1955) Daniel Mann

Une fille de la Province (1954) Seaton

Une île au soleil (1957) Robert Rossen

Vacances à Venise (1955) Lean

La Vallée des poupées (1967) Robson

La Vénus au vison (1960) Delbert Mann

La Vieille fille (1939) Goulding

Ville Haute, ville basse (1949) Leroy

Visages d’Orient (1937) Franklin

Volupté (1961) MacDougall

Young at heart (1954) Douglas  

 

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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 22:33



Le cinéphile ne connaît Edith Evans que comme une vieille dame, elle qui, après avoir été un nom légendaire des scènes londoniennes, trouva sur le tard quelques rôles mémorables à l'écran. N'est-ce pas déjà une coïncidence merveilleuse qui la fit débuter au cinéma, ou presque, en comtesse de la Dame de Pique ? Un rôle qui, à l'opéra, fut celui des plus hautes interprètes, en fin de carrière, mais pas en fin de gloire (Resnik, Forrester, Mödl entre autres). Elle commençait précisément là où d'autres terminent.

Ensuite elle jouera, pèle-mèle, la mère supérieure du couvent d'Audrey Hepburn dans Au risque de se perdre ou la grand-mère d'Heyley Mills dans Mystère sur la falaise. De brillants emplois de composition avaient trouvé en elle une interprète incomparable. Avant cela encore des créations épiques dans la comédie chez Wilde (dans L'Importance d'être constant où elle atteignait directement au sublime)  Thackeray (dans Tom Jones). Une espèce d'ange burlesque qui semblait avoir un don insurpassable pour le registre héroï-comique. Et en récompense même d'être descendue jusqu'au cinéma, une fois un rôle premier, "top billing", dans les Chuchoteurs.

Bien plus tôt donc Edith Evans jouait et triomphait au théâtre. Elle créa six rôles pour Shaw et fut une Rosalind et une Mégère apprivoisée légendaire. En 1912 elle osa même la Cressida shakespearienne : une seconde Hélène, pendant la guerre de Troie, qui dit des vers sublimes (repris par Berlioz dans ses Troyens) et trahit ses amours. Une ombre, un personnage en creux qui existe d'abord par son apparence. "The Beautiful Cressida." Or personne n'aurait osé appeler l'actrice (même dans la fleur de sa jeunesse) "The Beautiful Edith." Quelques photos, fascinantes par ailleurs, nous le montre assez bien.

Une toute jeune Hermione Gingold raconte que, perdue un soir dans les coulisses du théâtre, elle surprit  Edith Evans en train de se préparer pour une représentation. Il ne s'agissait pas de se remémorer des répliques biens connues. Maquillée et costumée, la comédienne était assise devant sa coiffeuse, un miroir à la main, abimée dans la contemplation d'elle-même, en train de murmurer. La jeune aspirante tendit l'oreille. "I'm the beautiful Cressida ..... I'm the beautiful Cressida ... I'm the beautiful Cressida ...." martelait Dame Edith. Quand ce fut le moment de son entrée elle reposa le miroir. Elle était prête. Mieux. Si l'on en croit Gingold, elle était belle.




Juste pour le plaisir : le duo de Troyens qui reprend la scène d'amour de Troïlus et Cressida. Par Gedda et Verrett (et au cours d'une représentation qui révèle quelle surprenante interprète de Berlioz fut, au moins ce soir-là, Marilyn Horne).
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21 septembre 2009 1 21 /09 /septembre /2009 09:20

 

"Moitié ange, moitié sirène, entièrement femme", disait l'affiche de L'Insoumise. On peut raisonnablement se poser la question.


Bette Davis, on l’a dit et répété mais certaines vérités sont toujours bonnes à entendre, ou plutôt à lire, phagocitait l’écran. Par quel miracle ? Quelle grâce divine ? L’œil du spectateur ne peut qu’avec peine se détacher de sa silhouette à partir du moment où elle rentre dans le cadre. Comment analyser ce qui, encore au-delà du talent de comédienne et de la grosse caisse commerciale, fait que le public sacre une actrice « star », « étoile », littéralement « celle qui brille » ? Est-ce cela le charisme ? L’aura passé par le prisme magique de la caméra ?


D’abord impossible de ne pas être interpellé par ce physique hors norme qu’on aurait tort de trouver ingrat alors qu’il n’est qu’inhabituel dans le paysage du cinéma américain. Les yeux à fleur de tête, les traits fins dans leur tracé osseux et lourds dans leur prolongement charnel et jusqu'au grain exceptionnel d’une peau qui, comme celle de Marie-Antoinette, « ne prenait point d’ombre » font sa première force. La violence que constitue le contraste entre ce corps hyper-féminin (les cheveux blonds platine des premières années de sa carrière vont laisser place à une chevelure chatain, mais la lippe envahissante, la poitrine encombrante et la démarche agressivement chaloupée resteront et même s’accentueront avec le temps) et la masculinité voulue et assumée de son personnage cinématographique, prolongent encore le choc visuel initial. Davis s’impose donc immédiatement par une puissance quasi virile, caractéristique paradoxale des grandes actrices de mélodrame qui n’avaient pas d’autres choix pour exister en dehors de l’homme. Il ne s’agit pas ici de parité mais bien de dépassement. Davis brillait et il n’y avait pas de place pour ses partenaires masculins dans ses films.



A côté des centaines d’idées, de tics, de maniérismes, à côté d’une femme dont la technique frénétique de jeu la conduisait à occuper tout l’espace dans chaque plan et qui, de manière fulgurante, à travers les excès expressionistes, et parfois grâce à eux, parvenait à toucher du doigt la vérité d’un personnage, que peut faire une George Brent (son partenaire attitré à la Warner)? Ou même les bien moins communs, mais parfois un peu ternes, Joseph Cotten, Herbert Marshall, Paul Heinred, Gary Merrill ?  Face à Davis son partenaire pouvait choisir de s’effacer et de jouer de cet effacement comme le fit avec intelligence et un tact exquis Claude Rains dont l’underplayment calculé est une merveille en soi. Ou alors il pouvait être simplement le plus bel objet de désir imaginable et gagner le cœur du spectateur en prenant la place qui est habituellement celle de la femme : c’est le parti adopté (consciemment ?) par Errol Flynn dans La Vie Privée d’Elisabeth d’Angleterre et dans Nuits de Bal. Evidemment il avait pour lui la beauté et plus encore, le charme : confronté à la Diva (et quel rôle exige le plus cette dimension que celui d’Elisabeth ?) il est une autre figure de la divinité, physiquement éclatante. Pas étonnant que Bette l’ait détesté comme elle l’aurait fait d’une rivale plus séduisante et plus belle.

 



Peut-être, cela dit, sentait-elle ce que la situation avait de particulier. Actrice de composition mais dans des rôles de star, elle ne s’affronta jamais aussi directement aux aspirantes et aux prix de beauté qui l’entouraient comme elle le fit avec Flynn. Elle ne semblait pas les craindre. D’Olivia de Havilland, d’Anne Baxter ou de Geraldine Fitzgerald elle se fit des amies, si tant est qu’elle fut capable d’en avoir de réelles. Elle se tenait, face aux femmes, sur un autre plan que celui de la séduction. On était actrice et on était prima donna ou on était rien ou bien simple ingénue, ce qui n’est pas grand-chose. A Flynn seul peut-être elle réserva la jalousie physique. A celles qui étaient ses égales en tant qu’interprète la haine mortelle. Et parce que ses rapports s’équilibraient, les meilleurs films de Davis sont peut-être ceux où elle est confrontée aux membres rares de la même race qu’elle : celle des gagnantes.  



Dès 1939 La Vieille fille d’Edmund Gouldin lui offrait pour partenaire, dans ce mélo parfaitement agencé d’après rien moins qu’Edith Wharton, la crème des actrices de théâtre : Miriam Hopkins. Depuis des années (elles s’étaient rencontrées alors que Davis était encore aspirante) elles se détestaient et le tournage du film s’apparenta à un enfer pour toute l’équipe. Dans ce premier pas de deux féminin Davis qui sera si souvent « La Garce », « L’Insoumise », « L’Ambitieuse » aura le bon rôle, en tout cas  celui de la femme « bonne ». Ce sera une curieuse constance dès que l’occasion se présentera de travailler avec une autre actrice. Ce fut peut-être salvateur pour les films. Qui dit héroïne positive dit souvent, du moins à Hollywood, douceur et effacement. Inconcevable pour Bette Davis. En chacune de ses sacrifées pointe la révolte, le durcissement est bien là, perceptible, derrière la tendresse. La Charlotte de Davis, créature romanesque vouée par faute de la société à se transformer en la vieille fille du titre est passion et souffrance bien avant d’être compassion. Hopkins, figure inoubliable dès qu’elle surgit dans sa robe de mariée pour sa première scène, tout voile dehors, est tout aussi ambigüe qui, dans chacun de leurs affrontements (et le film n’est qu’un long affrontement entre deux femmes qui s’aiment et se haïssent, autour d’un homme et d’un enfant) laisse planer le doute sur des motivations que l’on devine pour le moins troubles. Succès fulgurant. La star Davis semblait s’accomoder à merveille de briller en compagnie.



L’année suivante ce fut plutôt un pas de trois mesuré qu’on lui fit danser en compagnie de Charles Boyer et de Barbara O’Neil dans l’Etrangère, flamboyant feuilleton au cadre louis-philippard. O’Neil, qui jouait la mère de Scarlett O’Hara l’année de La Vieille fille, hérita là encore du rôle gratifiant d’une duchesse volcanique qui criait son désir d’être désiré par un mari absent en pensées. Elle écrasait de sa présence impériale, de son ton véhément, une Davis gracieuse, mais comme en retrait pour un personnage délicat, et qui d’ailleurs aurait voulu jouer l’autre rôle. Mais son temps de présence à l’écran ne justifiait pas qu’on le confia à l’actrice principale de la Warner.



Plus complexes furent les rapports qui s’établirent dans Le Grand mensonge. Les producteurs rêvaient de reformer l’équipe de la Vieille fille, engagèrent Goulding et offrirent le rôle positif à Davis en attendant de convaincre Hopkins de défendre une autre flamboyante monstresse. Hopkins tergiversa. On en parla à la jeune Rosalind Russell, à Sylvia Sydney, à une Crawford en perte de vitesse. Finalement Davis batailla pour obtenir Mary Astor, transfuge du muet qui s’illustrait la même année en femme fatale atypique et fascinante dans Le Faucon Maltais. Ce fut la chance d’un film bancal (dans son synopsis) et charmant (dans son fonctionnement). Bette s’effaca « pour le bien du film » et retravailla le scénario. Elle avait pour elle son charme particulier, la conviction qu’elle mettait à tout et son aura. Elle en avait besoin, tant la force centrifuge d’Astor est exceptionnelle à l’écran. Mangeuse de lumière et de partenaire de la force de sa rivale dans le film, « monstrueusement narcissique » dira un critique inspiré, l’actrice, une des plus remarquables du cinéma d’une époque qui comptait son lot de comédiennes de génie, héritait des répliques assassines, des tenues follement élégantes que lui créait Orry-Kelly, le costumier attitré de Davis et d’un personnage haut en couleur de pianiste égoïste, capable de vendre son enfant et de triompher en jouant le concerto de Tchaïkovsky (qui trouvera son interprétation « corporelle » dudit concerto affectée et grandiloquente ira voir ce que font certains pianistes, même dans Bach ou Scarlatti, pour comparer). La collection de  chapeaux que les deux femmes arborent pendant le film et les relents de lesbiannisme qu’instille au scénario Goulding suffisent à donner une touche de perversité civilisée au film.




Comme toujours dans les studios une formule devait être explorée jusqu’à saturation. On rengagea Goulding pour guider Bette Davis dans un nouveau rôle de femme sympatique en but aux manigances d’une forcenée. Davis pria pour avoir n’importe qui comme partenaire : Margaret Sullavan ou Norma Shearer, qui l’on voulait, mais pas Hopkins, surtout pas Hopkins. Ses prières ne furent pas écoutées. De frayeur Goulding simula une crise cardiaque et partit se reposer le plus loin possible. Vincente Sherman récupéra le projet un peu par hasard et s’en sortit du mieux qu’il put, c'est-à-dire très bien. L’alchimie que dégagait le duo Hopkins-Davis dans un film (le titre français est stupide : L’Impossible amour) dont le ton est très différent pourtant de celui de La vieille fille restait incontestable. Si Hopkins papillonne (ce qu’elle fait à outrange tout en étant délicieusement drôle ici) Davis lui apporte un point d’ancrage remarquable, évitant avec finesse les maniérismes trop voyants. La féminité caricaturale d’Hopkins (aussi caricaturale que l’était la fonction prédatrice chez Astor) s’harmonise parfaitement avec une Davis soudain « saine» qui utilise sa force virile pour incarner une abgénation devenue presque masculine (Tavernier et Coursodon dans leur analyse du film ont très bien vu que Kit joue le rôle généralement dévolu à l’homme dans les films de Sherman).


Une année auparavant elle se sera essayée à "l’autre rôle" dans un film de John Huston méconnu en dépit d’un ton ouvertement anti-raciste : In This our life. Monstrueux (au sens premier du terme) alliage de féminité poisseuse et d’agressivité masculine dans son personnage de southern belle qui aurait abusé de substances illicites, Davis avait pour partenaire la très claire, très jolie et d’apparence très solide Olivia de Havilland (en réalité c’était leur troisième film ensemble, mais le premier où elles avaient ce rapport d’égalité) qui jouait sa sympathique sœur aînée (sic). Les deux performances, chacune à leur façon, sont excellentes (Davis est même absolument grandiose dans un dérapage controlé constant qui annonce ce qu’elle fera dans la Garce) mais elles cohabitent plutôt qu’elles ne se répondent, sans doute en raison du scénario.

 



Les deux actrices devaient se retrouver des années plus tard, en 1964, lors du tournage de Chut, chut, chère Charlotte. Astor jouait, magistralement, dans le même film deux scènes, dans un rôle que Barbara Stanwyck avait refusé. Ce fut sa dernière apparition à l’écran. De Havilland (l’hyper civilisés, dont l’aspect lisse a toujours été troublant à force d’être controlé : qu’est-ce qui peut se cacher derrière un sourire si poli ?) et Davis (qui jouait là un tour de force et dira que le rôle était un des plus difficiles de sa carrière) se superposent sans vraiment se rejoindre, encore une fois, parce que les deux personnages ne cohabitent pas dans le même univers mental (c’est même ce qui structure le film). Regrets personnels : j'aurais aimé que Loretta Young, a qui on proposa le rôle, ait accepté.

Charlotte (c’était la quatrième fois que Bette Davis portait ce prénom au cinéma) avait été calculé par Robert Aldrich, à la fois producteur et réalisateur, pour renouveller le succès surprise de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? qu’il avait dirigé deux ans auparavant, opposant Davis à son ancienne rivale de la Warner, rien moins que Joan Crawford (la perte de vitesse de Davis dans son studio correspondait exactement aux plus belles années de Crawford à la Warner.) Baby Jane a été analysé à satiété à la fois satire, film noir, film d’horreur, film hollywoodien sur Hollywood, Grand Guignol et monument de la culture camp. Les deux stars, qui n’en étaient plus tout à fait en 62, en vinrent à sa haïr sournoisement,  jusqu’à la campagne orchestrée par Crawford pour que Davis n’obtienne pas l’oscar. Comme du temps d’Hopkins les vocalises des deux prime donne s’équilibrèrent remarquablement, car si les deux femmes dégagaient une force identique, leurs techniques étaient foncièrement différentes et s’accordaient d’ailleurs parfaitement à leurs deux personnages. Au beau masque tragique de Crawford, constament tendue et donc sans souplesse, répondait l’effarante gesticulation de Davis ne reculant devant aucune ignominie visuelle ou vocale. L’économie obligée de l’une était le contre-point idéal aux déversements torentiels de l’autre. Les deux dynamiques ne s’annulent pas mais ne se complètent pas non plus : elles s’ajoutent, ce qui explique en partie l’épuisement du spectateur.




Après les deux Aldrich (et sans compter les films choraux – le duo avec Maggie Smith  dans Mort sur le Nil est particulièrement réjouissant, confirmant encore une fois la faculté d’adaptation de l’actrice) Davis devait atteindre la fin de sa vie et son avant dernier film pour retrouver une partenaire à la mesure de son éclat. C’était dans Les Baleines du Mois d’aout … Bette se survivait à elle-même tant bien que mal. Et surtout l’actrice, face à elle, n’était pas un monstre. Lilian Gish, radieuse à l’âge vénérable de 90 ans, illuminait le film de son charme miraculeusement intact. Par d’autres armes que celle de sa partenaire elle était devenue une légende. Pour une fois Davis perdit. C’était un peu la revanche des sylphides sur les ogresses.

 

 

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10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 12:13

 



Mildred Pierce n'était pas, sur le papier et à première vue, un rôle très gratifiant : ce n'était pas une aristocrate décadente, une vieille fille frustrée et névrotique, une actrice dramatique ou une chanteuse de jazz prise dans les filets de l'alcoolisme, elle ne mourrait pas en état de grâce à la fin du film et ne sombrait à aucun moment dans la folie.
Cain nous la présente d'abord comme une jeune femme séduisante, blonde, avec de jolies jambes et qu'on devine un peu commune. A la fin du roman, en même temps que la fortune elle a aussi perdu la ligne (que l'écrivain met quasiment sur le même plan, dans la même phrase) et devient donc une matrone entre deux âges, mère d'une jeune fille de 17 ans, beaucoup plus attractive qu'elle.




Quand la Warner acheta les droits en 1944 elle proposa le roman d'abord à la reine du studio : Bette Davis. Celle-ci commençait à se fatiguer d'incarner des femmes plus âgées qu'elle-même au cinéma. Elle avait déjà refusé de jouer dans Les Folles héritières pour cette raison ("j'ai bien le temps pour cela" disait-elle sans se rendre compte peut-être que les premiers rôles intéressants pour les quadragénaires n'étaient pas si nombreux  et  sans savoir que quand elle aurait atteint précisément cet âge on ne lui en proposerait plus). Elle refusa également le rôle titre dans Mildred Pierce. Qu'aurait-elle fait d'un rôle si terrien, si incarné, si entièrement maternel et charnel ? Imagine-t-on Bette Davis en train de faire des gateaux pour les voisinage et de servir dans un snack-bar ? Au dela de l'âge sentit-elle que le rôle n'était simplement pas pour elle, par essence ?

Aurait-elle, enfin, remporté un succès qui aurait pu renouveler sa carrière  ? Enfermée dans les mélodrames de prestige qu'elle servait comme nulle autre, avec sa grâce inquiétante et la conviction de sa hauteur qu'elle mettait dans tout ce qu'elle faisait (et la facilité déconcertante avec laquelle elle portait les crinolines et les robes à tournure) elle était destinée à s'éloigner du public d'après-guerre, qui ne recherchait plus les mêmes sensations, ni, evidemment, la même sentimentalité flamboyante. L'année de Mildred Pierce, revenue brutalement sur sa décision d'incarner des femmes mures, elle jouait une institutrice proche de la retraitre dans l'adaptation corsetée du The Corn is green.  Mal lancé, mal produit, ne répondant à rien, le film ne rencontra pas son public. Pendant les cinq ans qui lui restait à la Warner Davis ne devait plus rencontré les triomphes critiques qu'elle avait connus durant les années de guerre. Partenaires, réalisateurs, techniciens, scénarios restaient les mêmes (Jalousie en 1946 reprenait exactement les mêmes ingrédients que le triomphal Now Voyageurs de 1942), mais le coeur n'y était plus, ni du côté du public, ni du côté des artisans, et la grâce de cette première époque ne pouvait pas, dans ses conditions axphyxiantes, être retrouvée.



Après elle la Warner fit le tour du studio et même au delà. Claudette Colbert, curieusement sollicitée (comment exploiter ses qualités propres : son aristocratie naturelle, sa fantaisie, dans un tel rôle ?) et qui venait de jouer, magnifiquement, un rôle de mère dans Depuis que tu es parti, ne se montra pas très intéressée ou du moins ne fut-elle pas assez impliquée dans le projet pour s'y intéresser réellement. Pour elle aussi, et pourtant il lui restait plus d'une dizaine de films à tourner, la période la plus faste, celle où son nom suffisait à faire afluer les spectateurs, était terminée. Cinq ans plus tard elle laissait échapper pour un problème de santé le rôle, devenu mythique, de Margo Channing dans All about Eve mais trouvera, en compensation, un de ses personnages les plus touchants et radieux dans Three came home.

Rosalind Russell fut une candidate plus sérieuse. Elle avait  voulu tourner dans l'autre film que réalisa cette année Curtiz, Roughly Speaking, dans le rôle gratifiant d'une femme de la bonne société à la fois élégante, énergique, passionnée, drôle et charmante. Ses rapports avec le réalisateur furent excellents (on ne pouvait pas en dire autant de Davis). Qu'elle ait abandonné le projet ou que le projet l'ait abandonné, elle, est assez cruellement ironique. Pressentant le succès que rencontrerait l'adaptation de James Cain la Warner réduisit au maximum sa publicité autour de l'autre film du même réalisateur. Au lieu de tourner dans un des succès les plus important de l'année, la pauvre Russell donna l'impression d'avoir choisi un véhicule de second plan .... Et elle passa les prochaines années à enchaîner les rôles dramatiques sans rencontrer de succès comparable, jusqu'à son triomphal retour au théâtre.

Plus évidente pour le rôle (on peut penser assez facilement à elle, en lisant le roman) Ann Sheridan figura en assez bonne place également. Comme elle le dit simplement dans l'interview qu'elle accorda à John Kobal (dans People will talk) elle refusa le scénario. "Ce n'est la faute de personne d'autre que moi". Et, immense star glamour des années 40, Sheridan perdit peut-être là l'occasion de trouver là enfin un rôle avec lequel on l'aurait associé définitivement, au lieu de demeurer une actrice dont la talent étonne au vue de sa réputation mais qui n' a pas pu, en définitive, briller dans la mémoire collective pour autre chose que ses charmes.  On ne l'a vu dans aucun film sorti en 1945.




A l'autre bout du spectre (et offrant des qualités non moins précieuses mais différentes) Stanwyck venait elle d'éclater (à nouveau, car c'était loin d'être la première fois) dans Assurance sur la mort, un autre James M.Cain et en 1937 elle avait incarné un des classiques des personnages maternelles américains en souffrance dans Stella Dallas. Elle avait pour elle la dureté et la ferveur, ce qui était beaucoup. Peut-être désirait-elle sortir de ce registre ? Elle tourna à la place une comédie, devenue un classique des fêtes de Noël Christmas in Connecticut. De toute manière elle menait sa carrière avec tant de brio depuis les années 30 que jouer Mildred n'aurait sans doute pas influer sur son parcours. La fin des années 40 devait la voir recupérer la panoplie de la femme fatale prédatrice comme bien peu pouvait le faire sans doute et ce avant les westerns des années 50 et la télévision dans les années 60. Peut-être que le film de Curtiz lui aurait apporté la seule chose qui lui manquait : l'oscar qu'elle briga quatre fois, sans jamais l'obtenir. 

L'oscar que Crawford, follement inquiète à l'idée de ne pas triompher, reçut dans son lit, s'évitant, sous le prétexte de la maladie, l'humiliation de repartir bredouille, elle, la vieille routière, qui avait dit (avec raison) que jamais la MGM ne la candidaterait parce qu'elle était utile à autre chose, et finalement pas si aimée que cela des dirigeants. Ils oublièrent ce qu'elle avait montré d'intelligence et de talent dans, par exemple, sa superbe trilogie avec Cukor (FemmesIl était une fois, Susan et ses idées). Mildred ne forçait pas ses dons d'actrice (contrairement à Susan et ses idées par exemple) : c'était la rencontre parfaite entre elle, une époque et un rôle. Elle pouvait dominer tranquillement de sa force chaque plan, être séduisante sans prétendre à la noblesse. Oui Crawford, sans cesser d'être elle-même, peut être une travailleuse manuelle et acharnée (elle l'avait souvent joué avant) et être aussi une femme mortellement angoissée et interrogative. Elle a les yeux faits pour ça.

L'oscar de 1945 récompensait donc aussi le choix judicieux des studios qui l'avait laissé faire des tests, alors que depuis 2 ans elle se morfondait dans l'attente du film qui lui conviendrait. Mildred Pierce lui convenait ... ô combien ! 

La victoire était donc prévisible. Trois des autres nommées avait déjà obtenu le prix les trois années précédentes.
En 1942 Greer Garson l'avait remporté pour Mrs Miniver. L'année de Crawford c'était pour La Vallée de la décision qu'elle était nommée. "Rien de nouveau sous le soleil" est-on tenté de dire, tant le film déroule tout le charme attendu des films de Garson à la MGM : début léger et souriant, scénario qui tombe progressivement dans le drame, beaux décors, beaux costumes (et robes longues), Garson inaltérablement belle (la différence d'âge avec son partenaire un tout jeune Gregory Peck est presque invisible, n'était l'assurance de l'une et les timidités de l'autre) et bonne, accent gallois en plus.   (On peut voir tout le film ici : link)
En 1943 Jennifer Jones s'était revélée en Sainte Bernadette. A partir de là elle fut nommée quatre années de suite, supportée par son prestige, les campagnes publicitaires de son producteur de mari et la fièvre qu'elle apportait, quoi qu'elle joue. Je n'ai pas vu ce Poids du mensonge, mais on peut imaginer l'aura de romantisme qu'elle devait donner à cette varation sur Cyrano de Bergerac, en regardant simplement cet extrait :   




En 1944 c'était au tour d'Ingrid Bergman pour Hantise. Elle était précisément à ce moment là en train de tourner dans Les Cloches de Sainte-Marie qui lui devrait en 1945 une nouvelle nomination. En religieuse dévouée Bergman parvient à rendre tangible et crédible et réelle et sympathique et touchante un personnage de bonté pure qui avait tous les risques d'être totalement inhumain à force de compassion. C'est sans doute un de ses rôles les plus difficiles et certainement pas le plus gratifiant.

En dehors de Crawford une autre actrice était nommée pour la première fois. Comme Crawford c'était pour un succès public très important dans un film dont la trame épousait les interrogations noires de l'époque. Gene Tierney éblouissait dans Péché Mortel. Si le film et elle même sont un régal pour les yeux, si scénario lui offrait un personnage délirant et inoubliable, reste que ce n'est sans doute pas ce qu'elle pouvait donner de meilleur. Ses plans les plus impressionnants sont d'ailleurs ceux qui lui demandent d'être une superbe statue de la féminité mystérieuse. On préférera, par exemple, ses prises de risque interprétatives dans Le Fil du rasoir l'année suivante.  Elle était, de toute manière, encore une aspirante, surtout par rapport à Crawford et ne bénificia sans doute pas du capital sympathie de l'actrice quadragénaire.
 

Tant qu'à privilégier une actrice à la Fox mon choix se serait plutôt porté sur la douceur lasse, poisseuse d'amour non déversé d'Alice Faye dans Crimes passionnels. Tant qu'à rester dans l'univers du film noir j'ai une pensée aussi pour Joan Bennett dans La Rue rouge à propos de laquelle Danny Peary écrit si justement qu'elle donna " a terrific, overlooked performance as an antypical femme fatale" dont elle fait ressortir de manière terrifiante la vulgarité et la nullité foncière.



Et j'aurais sans doute franchi l'Atlantique pour offrir mon trophée à Wendy Hiller, qui dans Je sais où je vais était à la fois si vulnérable et si sûre d'elle. Ce qu'elle fait dans le film de Powel est pour moi, à chaque moment, une des plus belles représentations d'un être humain normal, et donc riche et complexe, d'une tête pensante, d'une femme intelligente, que j'ai pu voir à l'écran.

(L'oscar, Wendy Hiller l'obtiendra 12 ans plus tard et en tant que "supporting actress")

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3 mai 2009 7 03 /05 /mai /2009 15:11




En 1944 la Paramount engrangea succès critique et recette publique grâce à l'adaptation que Billy Wilder fit d'un textes les plus sombres, les plus désespérés de James M. Cain : Assurance sur la mort. Après les films de gangster des années 30, des mélodrames du début des annnées de guerre,  en usant de la conscient le réalisateur posa les bases de ce qui allait devenir le "film noir" -en français dans le texte- (crimes et chatiments, femmes fatales, anti-héros, enquête tortueuse et amitié masculine) et les porte directement à un degré de maturité et de perfection qui font que tout ce qui suivra ne sera qu'une répétion de ce premier film, y compris la réponse que fit deux ans plus tard la toute puissante MGM avec une autre adaptation de Cain, à la trame jumelle : Le Facteur sonne toujours deux fois.
 
Entre temps la Warner récupéra les droits d'une autre réussite du même auteur, Mildred Pierce. Il ne s'agissait pas d'un polar. Aucun crime, au mieux quelques escroqueries, un récit qui se déroule sur une dizaine d'années, un personnage central féminin, le récit d'un ascencion social. Mildred Pierce était un roman aux personnages et au cadre américain et, même mieux, californiens et l'époque était à l'exaltation d'une identité culturelle nationale. Mais ce n'était pas un roman noir.  Et pourtant .....

L'adaptation du roman mit un pied dans le fim noir à partir du moment où il fut décidé de sa construction en "flash back", fataliste par définition et donc si appropriée au genre. Elle s'y absorba totalement quand le malheureux "Monte", qui dans le roman s'en sortait à très bon compte, fut assassiné au cours d'une ouverture nocturne inoubliable laquelle le laissait gisant, le corps transpercé de balles, ayant juste le temps de murmurer "Mildred", comme une accusation ou encore un cri d'amour, avant de s'éteindre. La morale était sauve, on se débarassait de cet être veul (d'origine européenne, évidemment) et on allait pas tarder à faire de même avec l'autre pôle négatif du scénario, Véda dont l'absence de conscience aurait pu être ruine de l'âme pour le public. Le code Hays pouvait être rassurer, on ne faisait pas dans le film l'apologie des mauvais. Au passage on offrait un éclairage nouveau au texte, susceptible de séduire immédiatement les spectateurs qui, ayant aimé l'année précédente Assurance sur la mort, venaient séduits par le nom de Cain. Film noir alors Mildred Pierce, comme le suggère la photographie brumeuse, les imperméables des hommes, le commissariat par lequel passe tous les personnages et Joan Crawford en manteau et toque de fourrure (signés Adrian) prête à se jeter à l'eau avant d'en être empêchée par un agent de police ? Film noir qui commence par un crime et s'achève par une arrestation ? Oui, sans doute.




Cependant on s'interroge. On s'interroge parce que ce n'était pas le propos de Cain dont la trame narrative est, à ce détail d'importance près, parfaitement suivie. Le meurtre est en fait totalement accessoire. Mais surtout Mildred Pierce est l'histoire d'une femme dont le scénario adopte le regard, dont il épouse la subjectivité. Or Ava Gardner dans Les Tueurs, Lana Turner dans Le Facteur sonne toujours deux fois, Mary Astor dans Le Faucon Maltais, Lizabeth Scott dans En marge de l'enquête, Kim Novak dans Du plomb pour l'inspecteur ne sont pas sujets. Leur force vient justement de rester opaques parce que vues à travers le prisme déformant de l'amour et du désir du héros pour l'objet qu'elles sont uniquement et absolument. Que savons-nous de leur motivation ? De leur réalité ? De leur humanité ? Rien. Il faut la force peu commune, diabolique et artificielle, de Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort ou à l'inverse la vulnérabilité et la sensualité de Turner ou de Novak pour que le spectateur s'interrogent au moins sur l'essence de leurs personnages. A l'inverse que comprenons-nous, que savons-nous de Mildred ? Tout. Dans l'atmosphère du film noir surgit tout à coup la féminité. Pas la féminité unilatérale, dangereuse et attractive à la fois de la femme fatale. Pas non plus la féminité douce et un peu mièvre, réconfortante, de la petite amie officielle, de la confidente vers laquelle on voudrait revenir quand tout sera apaisé. Mais une féminité totale et complexe, même si avant tout maternelle, d'un personnage à la fois séduisant, combatif, aimant, bourreau puis victime (ou l'inverse), vainqueur puis vaincue dans une certaine mesure. C'est cela : dans un film noir, une femme prenait la parole et cela suffit à nous interroger.




Crawford, aidée par la conjoncture, la Warner et Curtiz, créait donc un prototype et autour de ce prototype un genre. (Appelons-le d'un nom barbare mais qui pourrait bien le synthétiser : le "Noir Women's picture". Women's picture ... "films de femmes" à comprendre au sens de films avec des femmes/destinées au public féminin. Traduit on sent immédiatement les limites du terme, mais en anglais cela prend un parfum exotique non sans charme ...Nomenclature faite, revenons à la Warner.) Avec le succès de Mildred Pierce il semblait tout coup que l'outsider Crawford dont on prédisait la fin de la carrière (elle n'avait rien fait depuis deux ans et avait été rachetée, à vil prix, à la MGM par la Warner) rencontrait à la fois un personnage et un nouveau public. Les hommes avides de personnages forts et entrepenants, de violences aussi, les femmes à la recherche d'une autre évasion que pourrait leur procurer des héroïnes à la fois déterminée, carrièristes mais belles aussi. Pas comme une pin up, comme une femme qui aborderait la quarantaine avec de nouvelles armes. Crawford apporta tout cela alors qu'on la pensait terminée. Quelle revanche ce dût être ! Péril en la demeure cependant : tout système a son revers. L'efficacité des studios a la sienne : la systématisation. En 5 ans à force de répéter ce schéma la Warner épuisa la filon et Crawford fut obligée de se créer un nouveau personnage cinématographique et de quitter, cette fois définitivement, le cocon protecteur des studios.


En 1946, Humoresque biaisa un peu le procédé : le même personnage compliqué et entier, la même détermination, la même fragilité aussi qui pointait sous le masque de l'énergie, la même photographie typique de la Warner qui pouvait faire illusion au début. Mais pas l'ombre d'un crime. Rien de "noir." L'année suivante La Possédée la confrontait à nouveau à une enfant haineuse et rivale et surtout, après une ouverture qui valait en mystère et en mise en scène celle de Mildred Pierce, se réorganisait autour de la juste dose de suicide et de meurtres, dominée par le visage sculpté et les épaulettes de l'actrice. Elle retrouva Curtiz le temps d'une lutte à mort avec Sydney Greenstreet, transfert des classiques films noirs de la Warner, dans Boulevard des passions. Par rapport à Zachary Scott ou même à Van Hefflin dans La Possédée elle avait face à elle un adversaire formidable et dans cet affrontement de présence elle ne fut pas toujours gagnante. Mais elle avait, là encore, un pistolet à la main et c'était ainsi que l'on finissait par l'attendre et par l'aimer. Dernière réussite The Damned don't cry synthétisait l'ensemble des éléments évoqués en les convoquant directement comme dans Boulevard des passions : le personnage devenu aussi dur que ses traits (où est-ce l'inverse ?) partait de rien, arrivait à tout et se sacrifiait, en affrontant rien moins qu'un véritable gang de malfaiteurs (!). A partir du succès que rencontrait Crawford les studios réalisèrent soudain qu'il était possible d'exploiter autrement toutes les femmes fortes, toutes les actrices de prestige d'une époque qui voyait surtout le triomphe des "plus beaux animaux du monde."




Comme les comédies roses et gentiment coquines de Doris Day furent à l'origine, au début des années 60, d'un genre particulier, les films noirs menés de main de maitresse par une femme, dans lesquelles il était surtout question d'analyser les rapports humains et dans lequel les crimes sont des conséquences ou des accessoires, mais pas le sujet réel du scénario, connurent dans la deuxième moitié des années 40 une floraison remarquable. On chercha évidemment à l'adapter à la personnalité des actrices qui s'y essayèrent.

On mit Stanwyck sur un cheval, puisqu'elle montait si bien, et on l'envoya au Far West tuer froidement et souffrir pour des hommes qui ne la valaient pas toujours dans Les Furies ou plus tardivement Quarante Tueurs ou Le Souffle de la violence. En dépit du cadre ce n'était pas exactement de western dont il s'agissait, mais bien d'un nouvel avatar de ces "Noirs Women's picture" dont ils avaient tous les caractéristiques. Dans le même temps pour la MGM, revenue à New-York, elle était une femme du monde sur laquelle on enquêtait quand la maîtresse (Ava Gardner), fatale et adictive, de son mari (James Maison) était assassinée dans Ville haute, ville basse. Mélodrame mondain et enquête policière à la fois le film bénéficie de la maitrise harmonieuse de Mervyn Le Roy. (Dans une moindre mesure son personnage des Folles héritières aurait pu être l'héroïne de ce type de film, ce que l'utilisation d'une voix off narratrice accentue à un moment).



La Warner tenta d'appliquer la formule, en vain en ce qui concerne le succès public, auprès de Bette Davis dans La Garce. Le film s'ouvrait sur un procès et un flash back. Terrifiante et excessive, Davis, maquillée comme un indien se colore de peintures de guerre, emperruquée pour paraître plus jeune, ce qui produit l'effet inverse, semble refuser tout filtre entre son personnage et le public et lui assène en une suite de scènes explosives le portrait d'une héroïne jouée au premier degré, totalement mauvaise, dont le crime, d'ailleurs acquitté, n'est qu'un des nombreux méfaits que sa course au plaisir exige pour être satisfaite.
La même firme ressortit de ses cartons un des grands succès de la même Davis, qui semblait préfigurer les succès de Crawford : La Lettre de William Wyler. Mélodrame à prestige, nimbé d'un orientalisme poisseux, en 1940 il devint un véhicule noir pour Ann Sheridan sous le titre de L'Infidèle en 1947, la même année que Nora Prentiss également signé Shermann et avec la même actrice. Il s'agissait cette fois de la modernisation d'un roman de Dreisler, Sister Carrie (adapté en costume d'époque par Wyler en 1952) dans lequel Carrie est transformée en héroïne sulfureuse et l'athmosphère dûment embrumée.



La RKO s'y mit également et exactement au même moment (soit deux ans après le succès de Mildred Pierce) en faisant de Rosalind Russell, dans Quand le rideau tombe (qu'on peut voir intégralement à partir d'ici : link)  une comédienne meurtrière rongée par le remord aussi impressionnante que Davis, Stanwyck ou Crawford d'ailleurs desquelles on ne la rapproche pas spontanément mais auquel son jeu volontairement puissant, démonstratif, fait évidemment écho. Dans le même soucis qui avait fait d'Ann Sheridan une séductrice, de Stanwyck une cavalière émérite et presque masculine, de Davis un monstre fascinant, c'est à dire pour la servir le mieux possible au coeur de ce genre, Russell jouait, au début du flash back devenu inévitable, un personnage plutôt fantaisiste qui voyait sa vie bouleversée par un geste inconsidéré. A noter qu'elle avait à nouveau face à elle le décidemment fascinant Greenstreet, en inspecteur chafouin qui n'est pas sans annoncer celui joué par JC Flippen dans Secrets de femmes, deux ans plus tard. Avec ce film on passa de Cain à Vicky Baum (l'auteur de Grand Hotel !) mais on resta dans un genre très proche, à ceci près que l'enquête policière prenait des allures délirantes aussi bien dans la manière dont elle était menée (avec l'intervention récurente de l'épouse de l'inspecteur) que dans sa résolution passablement rocambolesque.
Qu'importe ! Les flash back et le coup de pistolet tiré au milieu de la nuit permettait de voir s'affronter en beauté une Maureen O'Hara au visage ravissant et douloureux à la fois et une Gloria Grahame confondante à force d'être évaporée, dont l'abyssale simplicité (on n'ose dire bêtise) s'assortissait parfaitement à la séduction, ici très primaire, très directe, de l'actrice. Nous étions en 1949. Déjà le genre perdait de sa popularité et même Crawford qui y était toujours aussi souveraine, sentait que le vent tournait.


Heureux versant féminin d'un genre lié étroitement à l'après-guerre, le "Noir Women's picture" devait être curieusement ressuscité dans un cadre totalement différent, grâce à Ross Hunter pour la Universal en 1960. Dans Meurtre sans faire-part Lana Turner, devenue l'actrice phare des productions luxieuses aux trames mélodramatiques de Hunter était la meurtrière d'un époux tyrannique, qui sombrait dans la paranoïa avec son amant et complice, Anthony Quinn. Les costumes étaient signés Jean Louis, Turner était sompteuse à regarder, Sandra Dee souriait blonde et rose à son habitude et la photographie en technicolore portait la marque de la Universal. On n'en oublierait presque le rapport, lointaint il est vrai, avec Mildred Pierce et consoeurs.
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16 avril 2009 4 16 /04 /avril /2009 15:58





Non, répond littéralement, Michael Redgrave, son partenaire, dans ses mémoires. Le Deuil ne lui seyait pas. Non répondirent également les votants de l’Académie des Oscars. En dépit d’une impressionnante campagne publicitaire organisée par le spécialiste qui avait contribué aux victoires d’Olivia de Havilland et de Joan Crawford les années précédentes, Rosalind Russell, pour la troisième fois candidate, n’obtînt pas l’oscar de la meilleure actrice, contrairement à tous les pronostics, pour sa Lavinia dans Le Deuil sied à Electre de Dudley Nichols.

Réticents à voter pour cette prestation, les tenants des interprétations dramatiques s’éparpillèrent entre Dorothy MacGuire (pour Le Mur invisible), Susan Hayward (pour Une Vie perdue) et Joan Crawford (pour La Possédée), cette dernière paradoxalement désavantagée par le fait d’avoir reçu le prix seulement deux ans auparavant. Le noyau des irréductibles amateurs de performances plus légères resta fidèle à la seule actrice en lice qui jouait dans cette cours : Loretta Young, couronnée à la surprise générale, pour Ma Femme est un grand homme. La situation annonce très clairement ce qui se passa trois ans plus tard, lorsqu’au lieu de Bette Davis (Eve !) ou de Gloria Swanson (Boulevard du Crépuscule !!) ce fut Judy Hollidays (Comme l’esprit vient aux femmes !!!) qui obtînt l’oscar.

Ainsi se fait et se défait l’histoire de l’Académie. Rosalind Russell resta ce qu’elle appelait une « bridesmaid ». Elle-même, dans ses mémoires, n’insiste pas beaucoup sur le film et encore moins sur cette occasion manquée. Elle s’étend davantage sur Sister Kenny, réalisé l’année précédente par le même Dudley Nichols et qui était un projet personnel. Le Deuil lui apparait comme une entreprise plus ou moins délirante, exagérément fidèle à la pièce, jusqu’à la mise en scène et dans lequel elle s’estime mal distribuée. Elle aurait proposé de jouer plutôt Christine, la mère, laissant à Olivia de Havilland le rôle de Lavinia, la fille. Nichols rétorqua qu’elle devait lui rendre le service d’accepter le rôle principal, puisqu’il avait réalisé Sister Kenny pour elle. Il est difficile de déméler les motivations de l’atrice, des producteurs, du réalisateur. Nichols, scénariste renommé, avait particulièrement à cœur la transcription à l’écran de la pièce d’un dramaturge, O’Neil, qu’il idolatrait.




Il avait travaillé avec De Havilland, alors au plus haut de sa renommée critique, entre A chacun son destin qui lui valut son premier oscar en 1946 (Russell était pour la seconde fois  candidate malheureuse pour Sister Kenny, justement) et La Fosse aux serpents. Sister Kenny avait, cependant, remporté un bien meilleur succès critique que le film qu’il avait fait avec De Havilland, même s’il avait perdu de l’argent (presqu’autant que Le Deuil sied à Electre devait en perdre l’année suivante. La RKO aurait pu ne pas s’en remettre, si elle n’avait également produit le très rentable Ma femme est un grand homme). Peut-être Nichols voyait-il davantage de stature tragique dans la figure imposante de Rosalind Russell que dans la délicatesse des traits de la plus jeune De Havilland ? Peut-être avait-il déjà en tête sa Christine ? Russell elle-même peut avoir été plus enthousiaste pour le projet que ce qu’elle en a laissé paraître. Après plusieurs années à la Metro et à la Columbia à enchaîner les rôles comiques pour lesquels elle semblait faite (avec d’imposants succès comme Femmes, La Dame du vendredi ou My Sister Eileen mais encore davantage de productions de série, exploitant à saciété les mêmes aspects de son jeu et de sa personnalité) son récent mariage avec un producteur la poussa à exploiter d’autres genres et même si elle se disait prête, après Sister Kenny, à repartir vers la comédie, il n’en reste pas moins qu’elle joua dans le même temps dans Peter Ibetson avait raison, Le Deuil puis dans Quand le rideau tombe, tout films qui avaient manifestement pour but d’assoir sa réputation comme actrice dramatique. Ce fut un demi-succès, à l’image de cette nomination aux oscars, presque un lot de consolation pour l’actrice, laquelle allait, suite à cette série de films qui n’engendrèrent, au mieux, qu’un succès d’estime, privilégier la scène pendant les 10 prochaines années.




Et puis jouer le rôle principal d’une des pièces les plus respectées du jeune répertoire américain dégageait un indiscutable parfum de prestige. (D’ailleurs la RKO avait envisagé, 10 ans auparavant, d’y faire briller Katharine Hepburn et … Greta Garbo en Christine.) D’autant plus que finalement l’adaptation de Nichols tenait presque du cinéma expérimental, en tous cas du cinéma « intellectuel ». Autour de Russell Dudley Nichols ne réunit pas moins qu’un acteur aussi prestigieux que Raymond Massey, deux bêtes de théâtre en la personne du jeune Mickaël Redgrave et de la grecque (ce qui pour le sujet n’était pas rien) Katina Paxinou, une brillante ingénue Warner, Nancy Coleman, et un acteur presque débutant mais à la personnalité déjà remarquable : Kirk Douglas. Ceci étant fait il s’appliqua à respecter à la règle tant le texte que les indications scéniques, d’une précision caractéristique. Nacquit donc un film hybride, proche du théâtre filmé. Dans une immense maison dont on n’apperçoit jamais le toit, dans des rues qui donnent l’impression d’être déserte, dans des pièces symétriques et froides les personnages se perdent et se meurent de la manière la moins réaliste possible. En ce sens le jeu de Katina Paxinou, totalement libérée du carcan du naturalisme hollywoodien, est exemplaire.  Pas un geste ou une expression qui ne soit une pause tragique, d’une force étonnante d’ailleurs, bien au-delà encore du cabotinage cinématographique. Elle tend la main vers l’origine mythique de son personnage, rien moins que Clytemnestre. Car - faut-il le rappeler ?- le Deuil sied à Electre est une tentative d’incorporer les mythes grecques dans l’histoire des Etats-Unis en adaptant l’Orestie à l’époque de la guerre de seccession, avec une fidélité à la lettre, mais l’esprit biaisé par les théories freudiennes. La pièce est donc elle-même une chimère au sens étymologique du terme et a une saveur très particulière pour le spectateur européen, réticent sans doute devant le projet même. Cette tragédie en crinoline, impossible compromis entre Autant en emporte le vent et Les Troyennes est rédemptée sans doute par l’ampleur de la langue de l’écrivain, sa poésie aussi. La réalisation de Nichols se veut donc au service de ce texte et demande à ses acteurs de l’être tout autant que lui.
Russell écrit que le film durait à la base 4 heures. Reste en DVD un peu moins de 3 heures, comme dans la version télévisuelle. Du coup on ne fait qu’apercevoir Sarah Algood (la « Ma » de Qu’elle était verte ma vallée) qu’on aurait certe pas créditée au générique uniquement pour lui faire monter un escalier. Le film est beau à voir, avec une photographie particulièrement douce et soyeuse, un soin extrême apporté aux décors et aux costumes et une caméra qui suit avec sérénité les acteurs. Russell et Paxinou se positionnent au milieu de portes coulissantes qu’elles ouvrent par des gestes amples pour passer d’une pièce à une autre avec un souci certain de l’équilibre, sans qu’on puisse parler de la grâce, de la moindre de leur attitude.



L'actrice principale n’est effectivement pas un modèle de grâce, ni de jeunesse d’ailleurs. Avec son visage sans âge Paxinou permet de rendre plus crédible leur rapport mère-fille, d’autant qu’une certaine ressemblance entre les deux actrices aux traits sculptés et aux bandeaux noirs (dans la pièce elles sont blondes) accentue encore cette possibilité.




Mais il est vrai que la première impression tant visuelle que vocale (la voix de Russell, qui a toujours été sombre, est devenue ces années là franchement rauque) est mitigée, peut-être aussi parce que quelque chose dans le visage semble mal s’accorder avec les costumes et les coiffures du milieu du XIXème, pourtant extrêmement flatteurs pour certaines. Décidemment cela ne lui allait pas. La performance ne laisse pas d’être, cependant, impressionnante. Le personnage qu’elle compose n’est qu’angles et fermeture, sans qu’une once d’empathie vienne adoucir Lavinia. Il y a souvent eu dans les meilleures performances comiques de Russell quelque chose de presque effrayant, de démesuré, d’agressif qui va bien au-delà de la clownerie. C’est la même fermeté qu’elle offre à son personnage tragique et la même obstination. Ce parti pris de l’absence de vulnérabilité (c’est bien un parti pris, pas une impossibilité : dans La Dame du vendredi, sous l’abattage, la fragilité et la féminité perçait à plusieurs reprises) donne une force brute au personnage qu’elle incarne, qu’on peut imaginer interprété avec davantage de retenu ou de variété mais pas plus de glaciale implacabilité, de poids dramatique, ni non plus de majesté. Dans la logique, théâtrale et étouffante, du film cette interprétation spectaculaire prend tout son sens. Rosalind Russell savait donc s’adapter à une pluralité de registre avec une pertinence qui confirme le talent de la grande actrice méconnue qu’elle ne cesse d’être aujourd’hui.

Elle perdit pourtant, victime des circonstances que nous avons évoquées, autant que de son adéquation difficile au rôle. 1947 était une belle année pour les oscars. La jeune, et inconnue, Deborah Kerr avait été oubliée pour sa troublante religieuse du Narcisse noir dont elle rendait magistralement l’ambiguïté. Mais toutes les nommées offraient des performances inoubliables. Joan Crawford, dans ses œuvres, en Possédée au bord de la folie, et parfois un peu plus loin, jouait avec brio une partition écrite pour elle, dont elle pouvait illustrer comme personne, d’un seul regard immense, la soif d’amour sous la haine. Dorothy MacGuire, qui doit sans doute sa nommination au fait de jouer dans le film le plus important de l’année (Le Mur invisible) autant qu’à celui d’être, dans une certaine mesure à contre-emploi, était aussi remarquablement juste que d’habitude, avec un visage dont l’expressivité rendait les mots d’un scénario parfois verbeux presque inutiles. Susan Hayward, pas encore glorieusement « bigger than life », dont la jeunesse, les hésitations, épousaient génialement celles de son personnage d’alcoolique malheureuse dans Une Vie perdue recevait la première de ses 5 nominations. Onze plus tard elle allait à nouveau se retrouver en compétitions avec Russell (l’une pour Je veux vivre l’autre pour Ma Tante) : on ne pardonnait peut-être pas à cette dernière d’avoir laissé le cinéma et d’y revenir avec un triomphe. Ce fut Hayward, favorite malheureuse deux ans auparavant, qui gagna. Celle qui remporta la compétion en 1947, Loretta Young, était une actrice enfant déjà du temps du muet. Peut-être récompensait-on un peu sa longévité et sa beauté. Mais son interprétation dans Ma Femme est un grand homme est loin d’être négligeable et pas que pour l’accent suédois qu’elle adopte joliment pendant le film. Qui pouvait mieux qu’elle, sous les dehors de la jolie petite servante, affirmer d’un geste, d’une inflexion, une autorité sous-jacente et un prosaïsme bien terrien ? Non il n’y aurait vraiment vraiment pas eu de honte à perdre au profit d’aucune d’entre elles. Mais la surprise non feinte de Young, son « At least !» est peut-être la meilleure raison, a posteriori, de cette victoire qui lui seyait à ravir.




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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 22:14

Restons pour l'instant d'un côté clairement défini de la frontière que nous bordons.
Les éléments essentiels sont multiples, mais peu sont indispensables et ils peuvent se croiser comme au contraire s'éviter. 
Le Gothic Female prend évidemment sa source dans les romans dit "gothiques" qui à la fin du XVIIIème et au début du XIXème firent la joie des lectrices amatrices d'émotions fortes (on songe tout de suite à Nothanger Abbey) et la fortune d'écrivains et d'écrivaines, dont, bien évidemment, Ann Radcliff. Mais le chef d'oeuvre, pourtant non clairement assimilé au genre, du roman gothique "au féminin" est sans doute Jane Eyre (qui est aussi bien autre chose que cela, bien sûr) même si certains textes de Wilkie Collins, La Dame en blanc et surtout Maris et femmes sont particulièrement brillants. De cette tradition provient les quelques points qui permettent d'assoir un roman ou un film dans cette catégorie moins accessibles qu'on pourrait le penser : le personnage principal est une femme qui se sait, ou se croit menacée. Cette menace n'est évidente que pour elle, les autres, sauf des enfants ou des êtres très sensibles ou compatissants ne la sentent pas. L'héroïne est déracinée de son environnement et demeure dans un environnement luxieux et confortable auquel elle est cependant étrangère et qui participe à cette menance. Qui dit demeure veut souvent dire château. Qui disait chateau menaçant à l'époque d'Ann Radcliff se référait à un autre âge, dans lequel les demeures pouvaient être source de danger. Rien à voir avec les villa de Bath. On n'avait pas encore inventé les cauchemards urbains. Le chateau se dû donc de ressembler peu ou prou à cela :

Et le cadre est donc historique. L'histoire au XVIIIème pouvait cadrer avec le Moyen Age, voire avec le 16ème siècle. Quant Hollywood adopta cette logique il préféra s'ancrer dans le XIXème siècle, seyant à l'oeil, mais dont les robes longues et les lampes à gaz promettaient déjà un certain dépaysement. Ainsi le siècle de la reine Victoria devînt celui de Jack l'éventreur.
Hantise de George Cukor, remake d'un film anglais avec Diana Wyniard,  était adapté d'une pièce anglaise qui reprenait et développait tous les éléments des romans de Wilkie Collins (dont l'action était contemporaine à la vie de l'auteur) et offrait un rôle bouleversant pour une Bergman,  si éblouissante de santé peut-être lors des premières images qu'on avait du mal à entendre la prostration qui l'atteignait plus tard. Qui regarde Hantise a une excellente définition du genre. Tellement que lorsque la Universal adapta pour Heddy Lamarr qui avait refusé le rôle de Paula l'année précédente, un roman basé sur une trame très proche, Angoisse l'actrice exigea que le cadre contemporain dans le texte soit repoussé dans le temps.




Dans le même temps ou presque, Le chateau du dragon relisait Jane Eyre à la lumière de la réussite de Cukor et en y introduisant un élément non obligatoire mais pas non plus excluant : le fantastique, qui épargnait Joan Fontaine dans Rebecca et Soupçons, Ingrid Bergman dans Hantise ou Dorothy MacGuire dans Deux mains la nuit,  ou avant cela les sources directement anglaises, comme la première version du film de Cukor ou L'Auberge de la Jamaïque.

C'est ce qui conduisit directement à des films fantastiques reprenant tous les thèmes du Gothic Female comme Les Innocents ou, d'une certaine manière, La Maison du Diable si on s'attache à Eleanor, interprétée dans ce sens par Julie Harris comme une héroïne menacée.

L'autre branche du Female Gothic Movie s'inscrit dans une contemporanéité trompeuse (comme celle de la Maison du Diable) qui prend prétexte dans l'isolement des demeures et de leur caractère non seulement vieil européen mais en plus anglais pour opérer un glissement vers un XIXème finalement tout proche. Il suffit de se souvenir de la robe de bal de Joan Fontaine dans Rebecca, autre film matrice :




Joan Fontaine dont le jeu systématiquement frémissant et à fleur de peau dans ce registre semble fait pour  l'aider à incarner la modeste victime de forces qui la dépassent. Elle courbe le cou et rentre les épaules avec un naturel attendrissant. L'année suivante elle aborda un autre aspect du genre, toujours dans un contexte contemporain : la nouvelle mariée (comme Tierney, Bergman, Bennett dans Le Secret derrière la porte, Katharine Hepburn dans Lames de fond et évidemment elle-même dans Rebecca, comme Doris Day dans Piège à Minuit également) qui identifie progressivement la menace comme provenant de son époux, qu'elle ait tort (comme ici) ou raison (comme le plus souvent). En ce sens Soupçons annonce déjà Hantise, postérieur de 3 ans. L'ombre menaçante est donc masculine, ce qui semble également constant dans le genre, sauf chez Hitchcock dont le fétichisme trouve à s'exercer à travers des figures féminines sombres et presque masculines : Judith Anderson, dont on ne redira jamais assez la force glaciale qu'elle apporta à son personnage de Madame Denver, mais aussi la Margaret Leighton dans Les Amants du Capricorne ou le personnage de la belle-mère nazie d'Ingrid Bergman dans les Enchainés, dont certains élèments autorisent une lecture en mode "Gothic female movie" (ce n'est pas par hasard si lors du bal la tenue et surtout la coiffure de l'héroïne sont d'inspiration médiévale).



Bergman comme Fontaine semblent donc particulièrement inspirer les réalisateur dans ce registre : la féminité et la sensualité des deux actrices fonctionnent de manière finalement plus similaire que leurs apparences physiques ne pourraient le laisser supposer et laissent une part très large au fantasme et aussi sans doute au sadisme. (On regrette que Dorothy MacGuire n'ait pas davantage exploité cette facette de sa personnalité). Ce n'est pas un mince compliment, certaines grandes actrices ayant échoué à rendre humain et crédible leur personnage de jeunes femmes troublées et donc troublantes. Katharine Hepburn est ainsi incapable à l'époque de Lames de fond de se départir de sa superbe sophistication, et Barbara Stanwyck dont la versatilité n'embrasse pourtant pas la fragilité humaine et juvénile comme le montre La deuxième Mrs Carroll résoudra le problème en hystérisant sans faiblesse son personnage de Raccrochez c'est une erreur. Claudette Colbert, parfaite technicienne, finissait par devenir presque anodine à force d'enfiler la parfaite panoplie de la victime sans le surplus de grâce d'autres plus à l'aise dans ce registre, dans L'Homme aux lunettes d'écaille pourtant signé Sirk. Dans Le secret derrière la porte, superbe exemple de Gothic Female Movie contemporain de Fritz Lang, Joan Bennett, dont le biographe Brian Kellow souligne que la dimension très terrienne de l'actrice jouait en sa défaveur, finit au bilan par attacher l'intérêt justement par son côté pratique, américain, par son détachement presque,  idéal contre-point à l'onirisme du film.

Curieusement le recours d'actrices peu habituées à ce registre conduira justement les réalisateurs à ouvrir de nouvelles voies dans ce domaine ... et à parfois s'éloigner quelque peu d'une frontière poreuse  et tracée à la fois.

Ainsi Chut, chut Chère Charlotte a une place à part dans la tétralogie qu'Aldrich construite autour d'empoignades de monstres sacrés. D'abord parce qu'il ne parle pas de cinéma. Ensuite parce qu'une bonne partie des éléments constitutionnels du Gothic Female sont bien présent, y compris les plus essentiels (la demeure) mais aussi d'autres à la fois familiers et non systématiquement exploités (l'héroïne qu'on veut rendre folle). On est réticent pourtant à la classer dans cette catégorie, en raison des éléments horrifiques et surtout de la prestation de Bette Davis, "Jezabel loufoque" comme l'a écrit un critique. 

Curieusement la fragilité ou plutôt l'incertitude sont loin d'être absent de la personnalité de Joan Crawford, autre figure féminine forte. Dans Le masque arraché (de David Miller, comme Piège à Minuit auquel il est antérieur de 8 ans) l'actrice joue une victime potentielle qui aurait sa place dans un Gothic Female Movie. Ce dernier film, en l'affrontant à un mari peut-être maléfique, ouvre cependant l'espace traditionnel du genre. Certe la maison est bien présente (mais l'héroïne y a sa place cette fois) et le placard d'un appartement peut se révéler particulierement dangeureux. Mais la scène finale change les couloirs habituels en rues sombres dans lesquelles la protagoniste court et se perd de la même manière. Pour s'accorder à la volonté qui émane de la personnalité de l'actrice, son personnage est une des rares héroïnes qui passent de victime possible à vengeresse. La puissance de son jeu permet que le changement de registre ne surprenne pas le spectateur.



Loin des adaptations des classiques, de Jane Eyre (une version avec Jon Fontaine en 1944 exploite bien entendu ce qui est devenu un trait essentiel de l'actrice), de Jack l'éventeur (dont le thème inspire John Brahms dans The Lodger avec Merle Oberon) ou des romans de Daphné du Maurier, Caught de Max Ophuls se situe encore à la frontière du genre. Dans un cadre contemporain une jeune femme passe d'un univers social à un autre, se retrouve mal mariée dans une grande maison et sous la coupe d'un époux au mieux indifférent, au pire haineux. Barbara Bel Geddes est idéale pour le rôle d'une jeune femme modeste et commune, mais attachante, dont les sentiments vont prendre une intensité qui la dépasse. Ophuls joue sur beaucoup de poncifs du genre, depuis les rideaux volants, jusqu'à l'escalier écrasant et l'héroïne, en chemise de nuit blanche et intemporelle terrassée par un mal mystérieux dans son lit. Pourtant les nombreuses échappées, très urbaines et contemporaines, de la jeune femme, qui veut recouvrir une vie normale nous sortent totalement de ce registre, de même que la petite musique particulière d'Ophuls qui donne un parfum spécifique au dramatisme de l'oeuvre, finalement plus inquiétant ou surprenant qu'effrayant. 


  

Ma Cousine Rachel en 1952 reprend en revanche de manière très fidèle tout ce qu'on attend d'un Gothic Female. Roman de Daphné du Maurier, immense demeure isolée, XIXème siècle anglais, landes désolées, jeune personne peut-être menacée, qui se demande si la folie ne l'atteint pas .... A ceci près que la jeune personne en question est un jeune homme (même si on a du mal à accepter la prime jeunesse de Richard Burton, au demeurant fascinant et vocalement extraordinaire puisque comme Joan Fontaine dans Rebecca ou Joan Bennett dans Le Secret derrière la porte lui aussi porte la charge d'une voix off introductive. Il avait pourtant littéralement l'âge de son personnage) et que la menace est, peut-être,  représentée, comme dans Chut, chut chère Charlotte, par Olivia de Havilland, troublante à force d'être ultra civilisée. Dernière variation possible, et pas la moindre, autour du genre.



Reste que pour l'amoureux du Ghotic Female Movie quelques films restent encore inacessible en DVD ou à la télévision. On aimerait voir Female on the beach (ailleurs qu'ici : link) avec Crawford à nouveau, Oncle Silas (adaptation anglaise d'un phénoménale "Ghotic novel" de Sheridan Lefanu, avec Jean Simmons et Katina Paxinou), La Dame en blanc, d'après Collins, avec Eleanor Parker, Dark Waters avec Merle Oberon ou encore The Men I married avec Joan Bennett qui transposerait le thème dans l'Allemagne du début du nazisme. Mesdames les décideuses ..... Monsieurs les décideurs ... si jamais vous nous lisez !

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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 20:12




Hier soir pour fêter Doris Day Arte avait choisi un étonnant film de David Miller, datant de 1960 : Midnight Lace (Piège à Minuit en VF). Ni une comédie musicale, ni une de ces comédies roses acidulées qui firent sa gloire dans les années 60. Un film noir ? Un "ennuyeux suspens" comme l'écrive Coursodon et Tavernier ? Un "thriller" à la sauce Universal ? Rien de tout cela en fait, puisque c'est justement en attendant un suspens d'un tel film qu'on est susceptible de s'ennuyer.

Doris Day joue une jeune (enfin ... peut-être un peu moins jeune que cela) héritière américaine, fraichement mariée à un homme d'affaire londonien. Un jour de brouillard anglais évidemment elle s'aventure dans un parc, s'y perd quelque peu et entend tout à coup une voix surgissant de nulle part, qui l'interpelle par son nom ("Mrs Preston") et lui annonce qu'elle va mourir. La malheureuse affolée rentre à partir de là dans une spirale infernale d'angoisse et de dénégation. La présence menaçante qu'elle sent dans la rue, à sa fenêtre et qui la harcèle au téléphone semble disparaitre systématiquement dès qu'un tiers s'interpose. Enfermée dans un somptueux appartement aux multiples ouvertures vers l'extérieur, coincée dans un ascenceur, entourée d'une multitude de relations inquiétantes et d'amis qui finissent par penser qu'elle est paranoïaque ou même totalement folle, l'actrice joue une partition redoutable avec maestria. La composante banale, yankee à se damner, de son personnage cinématographique rend encore plus émouvante l'angoisse qui la submerge, les troubles qu'elle ressent, la dépression qui l'atteint. Avec presque un unique sentiment à exprimer la variété de sa palette expressive dans ce registre étroit est remarquable et l'empathie qu'elle parvient à créer fait qu'on ne s'ennuie jamais devant la multiplicité de ses crises d'hystérie. On se serait simplement passer de sa dernière expression, quand le mystère est résolu, de libération (on n'échappe pas non plus au manteau resséré sur soi).

Mais reprenons : une femme et ses névroses n'ont jamais fait le sujet d'un film noir, dans lequel la femme est soi douce compagne soit mante religieuse, au sens traditionnel du terme. Une héroïne qui se sent menacée, une grande demeure qui peut se révéler inquiétante, en dépit de sa cheminée et de ses portraits de famille, le brouillard londonien, plusieurs silhouettes masculines inquiétantes ou en tous cas ambigües, dont celle du mari, joué par Rex Harisson et une question lancinante : est-elle folle à la fin? Sa fragilité féminine l'aurait-elle emporté sur la raison cartésienne ? 

Cela n'éveille-t-il pas un souvenir ? ....  Plusieurs même ..... Rebecca, Soupçon, Hantise, Le Chateau du Dragon pou reprendre simplement les titres les plus célèbres de ce genre bien oubliée aujourd'hui (encore que quelque tentatives plus ou moins ratées aient pu surgir ça et là, comme Apparence avec la tremblante Michelle Pfeiffer) : le "Gothic Female Movie". Oublié des cinéastes, mais sans doute pas des cinéphiles et surtout pas des cinéphiles féministes qui ne cessent d'interroger ces genres féminins, par exemple dans l'Hollywood héroïnes d'Helen Hanson.


En l'espèce le cadre contemporain n'est pas un empêchement à cette classification que nous proposons pour Piège à Minuit. Les premiers titres que nous citions partagent finalement ce cadre. Mais l'isolement des demeures dans lequel la nouvelle de Mrs Winters se perd, la robe longue de Mrs Denver, rendent flous sans doute, et c'était le but du réalisateur, une localisation spatio-temportelle précise. Piège à Minuit  est en fait au genre ce que les films de Sirk ont été aux mélodrames romantiques de Stalh : une vision transcendée (sans qu'il soit question de qualité évidemment) et transposée et urbanisée. Autrement dit il s'agit d'une production Ross Hunter : la photographie est spectaculaire, Doris Day change de costume à chaque scène, un beau jeune (plus jeune que cela) homme (John Gavin spécialiste de la question) la courtise et une charmante star sur le retour la couve de son affection (ici Mirna Loy). La production est d'un luxe constant, musique et cadrage à l'appui. Tout est fait pour faire rêver, procurer dépaysement romanesque. Et bien entendu il y a la couleur qui transforme chaque topoï du genre. Pensez-y un brouillard en technicolore ! 
Reste que ces topoï sont bien présents et visuellement aussi : il n'y a qu'à voir la manière dont les rideaux frémissent et se soulèvent de manière inquiétante pour savoir qu'on est bien là dans un Gothic Female Movie. Un avatar ultime et frontalier en quelque sorte, mais pas le moins intéressant du genre. 

Les genres étant fait pour être transgressés Piège à Minuit n'est pas le seul film qui va brouiller notre perception d'un style de film extrêmement codifié. La promenade ne manque pas d'intérêt.

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20 mars 2009 5 20 /03 /mars /2009 15:15

 

 

Les adaptations shakespeariennes sont légions, encore aujourd’hui. A quelques exceptions près cependant il s’agit essentiellement de productions destinées à un public restreint. Après le succès de Beaucoup de bruit pour rien, voire de son Hamlet, Kenneth Brannagh, comme acteur ou comme réalisateur et ses émules ont fait une suite de variations autour de l’heureuse formule initiale. L’effet de surprise littéraire passé les nouvelles moutures ne connurent pas le succès de l’original et ne s’exportèrent, comme les adaptations d’Oscar Wilde, que difficilement et en tous cas sans battage médiatique, en dehors de l’Angleterre.

Les producteurs restent donc très prudents et finalement la dernière grande machine inspiré de Shakespeare c’est le très pop  Romeo + Juliette qui lança définitivement sur orbite la carrière du jeune Di Caprio … Cela fait 15 ans.

On nous promettait pour 2010 une vision épique du Roi Lear. Anthony Hopkins, après avoir été Titus au cinéma, devait y ternir le rôle titre. Keira Knightley un visage presque nouveau devenu habituée à 20 ans des grands rôles prestigieux en costume aurait prêté son prognathisme distingué et sa réserve à Cordelia, Naomie Watts son ambigüité parfois glaçante à Goneril … et Regane aurait pris les traits de Gwyneth Paltrow. Le projet, faute de moyens finalement, est annulé. Comme à peu près d’ailleurs tous les projets intéressants auquel on a accolé le nom de cette dernière depuis un peu trop longtemps.

 

Les temps ne sont peut-être plus à la fresque historique. Pourtant le Nottingham de Ridley Scott reprend un thème qu’on pourrait penser épuisé, celui de Robin Hood, sans que personne ne s’inquiète. Et il peut compter en « Maid Marianne » sur Cate Blanchett, après, entre beaucoup d’autres, Olivia de Havilland et Audrey Hepburn.

Il y a 10 ans il semblerait que les carrières de deux jeunes femmes se soient croisées. En 1998 elles étaient toutes les deux candidates aux Oscars. Et toutes les deux portaient, de manière très différente d’ailleurs, le costume élisabéthain pour les films qui leur valurent ces distinctions, respectivement Shakespeare in love (déjà !) pour Paltrow et Elisabeth pour Blanchett.


L’Américaine de 26 ans était, comme on l’a souvent dit, une de ses enfants chéries d’Hollywood, la fille d’une actrice et d’un producteur, la filleule de Steven Spielberg qui lui offrit sa première apparition à l’écran, peu ou prou, l’ex-fiancée de Brad Pitt. Deux ans avant elle avait été avec dureté et éclat en même temps l’Emma ressuscité de Jane Austen. Elle n’avait pas été nommée. Elle remporta finalement l’oscar qui allait si bien avec tout le reste en 98, quitte à choquer les ronchons qui associent prix d’interprétation et composition transformiste.

Sa Lady Viola, sans parler de sa blondeur, de sa beauté, de la manière dont sa peau peut être photographiée, sans parler non plus de l’alchimie qui se dégageait dans ses scènes avec Joseph Fiennes, était pourtant d’une parfaite justesse. Réservée, certes, ne se livrant pas, mais en rien distante. Et lumineuse. Un plan, qui adoptait le regard de Joseph Fiennes/William Shakespeare où elle attendait sa réplique en Juliette la montrait le cou fléchi, concentrée, investie, mais sans raideur. Tout son jeu est à l’image de ce plan, tant elle refuse systématiquement de le tendre, de l’extérioriser.






Auprès d’elle on avait le plaisir de voir Judy Dench, un an après avoir incarné la Reine Victoria, s’emparer avec vigueur de celui de la Reine Elisabeth le temps de quelques scènes. Mais un tel rôle autorité n’était presque pas pour elle une composition. Le même soir que sa radieuse partenaire elle fut primée et commença une longue histoire d’amour avec le public et la critique cinéphilique, elle qui était la fleur de pois des commédiennes londoniennes.
(Elle partagera plus l'affiche avec Blanchett dans dans Notes sur un scandale, où son interprétation très impressionnante, une de ses meilleures sans doute fait un peu palir celle de sa partenaire.)

 


L’autre Elisabeth, le versant jeune et tourmentée du personnage serein de Judy Dench perdit donc, si l’on veut, une bataille. Pourtant Cate Blanchett proposait finalement une caractérisation autrement spectaculaire que celle de Paltrow, dans un rôle davantage gratifiant et, qui plus est, dans un film dramatique. On n’avait pas vu le personnage aussi séduisant depuis sans doute la vision qu’en donna la jeune et ravissante Jean Simmons dans La Reine Vierge de George Sydney.  L’actrice australienne de 29 ans y apportera le même charme et aussi la même surprenante souveraineté. Paltrow était écrasée avec grâce par ses costumes, Blanchett faisait des mêmes une armure qu’elle arborait avec un naturel désarmant. Et le timbre prenant de sa voix retentissait et imprégnait toutes les oreilles. Elle n’eut pas l’oscar, mais, presque inconnue la veille en dehors de son pays, se révéla au cinéma internationale.

L’année suivante elles se retrouvèrent dans Le Talentueux Mr Ripley. Gwyneth y était la star et y était finalement effacée, presque en retrait, en dépit du rouge à lèvres sanguin qu’elle arborait lors d’une scène. Cate, elle « composait », un personnage secondaire d’héritière un peu évaporée.

Dès lors on la croisa partout, sous tous les masques, capable, semble-t-il de tout faire et de faire tout bien, et même avec brio. Elle ne se livre jamais elle-même, se niant toute personnalité derrière le personnage dont elle adopte les attitudes (voir ce qu’elle fit du rôle périlleux de Katharine Hepburn, où elle donna une vie propre à ce qui était aussi une extraordinaire imitation. Paltrow, sollicitée pour jouer Ava Gardner refusa) Et elle n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’on lui demande de ne pas être normale, de ne pas être australienne, de ne pas être elle-même. Elle reprendra il y a deux ans Elisabeth (j’en ai parlé un peu ici : Face à face (I) ) mais avec de vraies « poses » de la tragédienne, de « poses » à la Bette Davis. Du grand ton, des grandes manières. Too much, dirait les Américains …. Mais avec style.

Paltrow acceptait de jouer par affection (un film de son père, un film de son frère), prenait des directions surprenante en vue de casser son image jeune fille sage et peinait à trouver de bons rôles dans de bons films. Longtemps avant Shakespeare in love elle avait été la fille de Jefferson à Paris. Le film montrait avec quelle facilitait elle s’intégrait dans les décors d’Ancien Régime. Il montrait aussi que l’expression de la tristesse, de l’amertume était naturelle à l’actrice, tout d’un coup austère. Et que jamais elle ne forcera l’empathie du spectateur, ni par une exposition de sa souffrance (elle reste énigmatique) ni par un adoucissement du personnage. Les interprétations marquantes de l’actrice dans les années post-oscar furent effectivement celles qui exploitaient cette facette, Sylvia (encore une biopic littéraire, sur Sylvia Plath cette fois), Proof (qu’elle avait fait au théâtre) ou encore le récent Two Lovers, pensé pour elle et dont elle est le pôle négatif, en dépit de son apparente clarté.




On est en rage pour cette Regane manquée, dont certainement elle aurait fait quelque chose de surprenant et qui aurait pu relancer sa carrière vacillante, mal entretenue, « peopolisée », rabaissée, blessée par les couvertures de magasines et les déclarations bien pensantes et un peu mièvres de l’actrice.

On est heureux par contre de la tournure brillante qu’à pris celle de Blanchett, dont on n’attendait pas nécessairement ce niveau de versatilité et d’excellence, le rayonnement qui a fini par éclipser d’autres noms, par nature plus star ou plus glamour.

Un vœu double donc pour clore ce parallèle : que l’une continue dans les bonnes directions qu’elle a prises. Que l’autre s’écarte un peu des spirales des médias et du succès d’Iron Man pour trouver un rôle à sa mesure. Et pourquoi chez Shakespeare ?      

    

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